Elite et société.

* * * Tweet* *Mohamed JebbaraLe terme élite revient très souvent dans les discussions sur LQA et il me semble utile de creuser un peu autour, afin de le rendre un peu moins flou, qu'on s'entende sur sa signification et ses dérives et qu'on l'utilise dans un sens unifié qui en facilitera la compréhension et améliorera la communication entre nous.A force de voir les discours sur la question, je me suis dit que peut être à mon âge je ne connais pas encore le sens du mot et que j'en parle de manière fausse et cela m'a amené à vérifier mes modestes certitudes.Voici comment définit le Larousse en ligne le terme élite: « Groupe minoritaire de personnes ayant, dans une société, une place éminente due à certaines qualités valorisées socialement »Cela veut dire que pour qu'il existe une élite, il est indispensable :1-Qu'il y ait une société.2-Que cette société produit son élite qui est une minorité en son sein.3-Que cette élite dispose d'une place éminente dans la société c'est à dire qu'elle se distingue socialement, or la société actuellement n'a d'égard pour personne, la scène politique et sociale est tolalement démolie. Ce n'est pas que l'élite se ressent comme telle qui compte pour la définir, c'est ce que ressent la société envers elle, sinon elle n'a aucun poids et de ce point de vue il n'y a pas encore d'élite en Algérie, même si on peut considérer que les ingrédients pour la constituer existent en partie.4-Que pour qu'elle puisse se distinguer cette élite doit posséder des qualités.5-Que ces qualités soient d'une part reconnues et admises et d'autre part valorisées socialement en produisant un statut de reconnaissance envers celui qui les porte.6- Que pour être valorisées, il est indispensable que la société soit dotée d'un système de valeurs admis et reconnu par tous, un système valeur/reconnaissance. Il faut dire que le système de reconnaissance de valeurs et son expression sont défaillants en Algérie.7-Que la société soit donc organisée pour que ce système puisse exister.Et je me suis dit que peut être la société existe, car qu'est-ce qu'une société 'Voila ce qu'en dit encore le Larousse en ligne :1- « Ensemble d'êtres humains vivant en groupe organisé : Les hommes vivent en société ». Je me dis qu'une société n'est pas seulement un groupe d'hommes qui vivent ensemble, ils sont obligés d'élaborer une organisation qui assure la pérennité du groupement social, sans citer Durkheim ou Strauss ou autre sommité dans le domaine et discuter leur vision, cela semble évident. Des gens se groupent, des règles surgissent, qu'on appelle à un certain degré de complexité l'organisation. Cette organisation se complexifie en permanence et peut conduire soit à l'amélioration de la cohésion du groupe, soit à sa destruction.2- «Milieu humain dans lequel quelqu'un vit, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles » ?Encore l'organisation de la société. Mais qu'est-ce qu'une société organisée ' La société algérienne est-elle organisée 'Une société est toujours organisée peut-on dire, mais il existe deux sortes d'organisation comme dit plus haut. La première renforce la cohésion sociale et conduit à l'amélioration du système social et la seconde détruit cette cohésion sociale et conduit à des ruptures dans la trame sociale et même à plus ou moins brève échéance à la déchéance de la trame sociale. J'ai l'impression que c'est la seconde voie qui est prise par l'Algérie.Sans avoir besoin d'évoquer les notions de sociologie compliquées, nous pouvons dire qu'une société organisée est une société qui possède des institutions, des lois et des règles sociales composées par le droit, la morale et la religion et autres règles qui sont respectées, suivies et conduisent à des sanctions positives et négatives. Chez nous rien de tout cela n'a plus de valeur. Chacun àa fondé son état et sa société dans sa tête.Si on réfléchit un tout petit peu, il semble à première vue que rien de tout cela ne concerne l'Algérie à qui donc il est difficile d'appliquer le terme de société humaine de la première catégorie. Elle se dirige droit dans le mur si un sursaut ne se produit pas. Tout le monde en est conscient, mais l'organisation actuelle empêche toute tentative de changement.Il n'existe pas ce qu'on peut appeler des institutions, c'est une évidence. Celles qui sont en place, ne répondent ni aux conditions de mise en place, ni aux conditions d'exercice et sont boiteuses, instables et pour jouer leur rôle social il leur est demandé de la stabilité et de la confiance qui n'existent pas. Or ce sont des éléments fondamentaux pour constituer une société et une élite.Les règles de droit, de morale et de religion ne sont respectées qu'en apparence et la sanction à leur manquement n'existe pas faute d'organisation, d'institutions, de règles et de stabilité.S'il n'y pas donc d'élite et de société qu'appelle t on élite chez nous 'Serait-ce qu'on appelle élite des gens qui ont fait des études plus ou moins « sous-dév » et qui n'arrivent pas à s'adapter à la situation actuelle qu'ils ne comprennent pas faute de pouvoir la maîtriser ' Non seulement par le fait qu'elle est difficile à saisir en raison notamment du fait que la reconnaître est un aveu d'échec, ce qui est difficile à supporter et qu'inconsciemment l'homme rejette pour ne pas se sentir rabaissé, mais encore par le fait que s'adapter à la situation actuelle reviendrait à se sentir étranger, aliéné, inadapté, externe, exogène?Ce qui chez nous veut se faire appeler élite, ce sont soit les gens qui veulent dominer la société ou la dominent effectivement, soit des gens instruits qui n'arrivent pas à imposer leurs points de vue inadaptés dans un milieu social désorganisé totalement. Y a t-il une autre frange 'Pour qu'une élite apparaisse, il semble être nécessaire d'abord, à mon humble avis, de réorganiser la société, restaurer ses institutions et ses règles et ça c'est l'affaire de tout un chacun sans distinction, c'est la seule idée qu'il faut privilégier pour reconstruire, il me semble.Nous n'avons besoin pour cela ni de connaître Hobbes, Karl Marx, Ernest Renan, Max Weber ou même Ibn Khaldoun, ni de savoir lire et écrire même. Il suffit de se dire que la société est désorganisée ou organisée en vue de sa perte et qu'il faut agir pour qu'elle se réorganise pour se remodeler afin de continuer sa course, que la saleté disparaisse des rues, que les voitures ne stationnent plus sur les trottoirs, que les commerçants ne soient plus agressifs et malhonnêtes, que les fonctionnaires changent leur façon de traiter l'administré, que l'employé ne soit plus le patron ni le patron un agresseur, que ce soit le médecin qui ordonne au malade et non pas l'inverse, que l'avocat serve la justice et non son client, que le juge statue en fonction du droit et sans contrainte ni sentiments, que le mensonge disparaisse, que la vérité prime, que la confiance soit restaurée, la liste est extrêmement longue, avant de parler d'élite ?.le fait de connaître des bribes de savoir importé d'occident ou d'un passé révolu n'est pas constitutif d'élite, l'élite se construit avec la société en feed back, ici et sur place et produit un savoir local spécifique et adapté, productif de biens et d'évolution intellectuelle proprement algérienne. On construit la société et l'élite en même temps et de façon dialectique car l'élite à besoin d'une société organisée pour exister et pour être reconnue en tant que telle et suivie mais la société a aussi besoin d'une élite qui la guide vers les sentiers rentables et explore les marais devant elle pour les lui faire éviter, ce qui suppose qu'elle accepte de prendre des risques, cette exploration n'est pas sans danger pour ceux qui la mènent, surtout en l'étape actuelle, il faut qu'ils acceptent quelques sacrifices et cessent de s'agiter derrière un écran. Actuellement l'élite ne suscite pas la confiance qui est à la base de son rayonnement. Et une élite sans rayonnement n'existe pas. Ce rayonnement ne peut provenir que de l'organisation de la société qui lui attribue un statut, or pour ça il faut que la société soit organisée positivement. D'autre part, pour être organisée positivement une société a besoin impérativement d'une base économique en premier lieu. Mais notre économie n'existe simplement pas. Autour d'importateurs qui sont devenus légion, se satellise une économie parallèle, qui interdit toute tentative locale de production ou au moins la perturbe au plus haut niveau, OMC oblige.A moins qu'il y ait deux sortes d'élites, l'une fondatrice et l'autre réservée à la maintenance?.ou à la destruction.Mais y a t-il jamais eu de société en Algérie au sens moderne ' Avant les turcs peut être qu'elle existait, me hasarderais je à dire. Mais du temps des Turcs et après, l'organisation sociale qui n'a été que tribale, ne pouvait que se maintenir dans cette optique et dès que la tribu à été disloquée, surtout après la colonisation, pour fonder une nation à la façon occidentale des siècles passés, il ne pouvait rester que les règles de ce système tribal déplacées de leur contexte et l'état national, non encore construit, ne pouvait prétendre à remplacer ces règles en cinquante ans à peine, avec les pratiques que l'on constate et fonder une société unifiée.Notre société est donc gérée en partie par des règles d'origine tribale encore en usage, mais les nouvelles règles de débrouillardise prennent le relais et élargissent leur champ d'application, car la sanction tribale n'existe plus et celle de l'état non encore construit, n'est pas en mesure de le faire.Dans ce contexte, parler d'élite me semble osé. Car il n'y a plus d'élite tribale et il n'y a pas encore d'élite moderne, notre société ne pouvant pas à maints égards être encore qualifiée de moderne. Les instincts sont libérés totalement et chacun veut imposer son point de vue à la société.Nombre de lectures: 981 Views