Algérie

Elections «tchamba»


Même les bombes artisanales explosées la veille des élections législatives dans la paisible ville de Constantine n'ont pas réussi à augmenter le taux de participation évalué officiellement à près de 36,51%. Officiellement bien sûr. Les députés élus ne représenteront donc pas les 63,49% restants, et correspondant à la part des jeunes en âge de voter, mais continueront tout de même à se faire appeler «représentation nationale». «Chèvre même si elle vole». On est évidement loin des taux plébiscitant le président de la République lors de ses deux mandats et de son programme de réconciliation nationale. Qu'est-ce à dire ? Que les électeurs voient dans le Président la seule personne digne de confiance et de mobilisation ? Un père ?  Trop dangereux pour construire des institutions stables et durables car la vie d'un homme, aussi prestigieuse soit-elle, ne peut constituer à elle seule une garantie pour une nation. Mieux, elle ne le doit pas, car l'homme n'est pas immortel, l'institution, si. L'institution c'est le texte et le sens qu'il donne à une civilisation, à une nation. Un seul homme ne peut constituer une garantie pour le bonheur d'une nation, particulièrement lorsque les indicateurs sociaux sont au rouge, bien que les caisses soient selon les officiels pleines à craquer. Lorsque le pneu brûlé devient le seul moyen d'expression... Lorsque les électeurs ne voient dans la «représentation nationale» qu'une coquille vide dans laquelle se meuvent des individus soucieux de leurs seuls intérêts et de ceux de leurs seules tribus. Raisonnement simpliste si l'on ne creuse pas les causes qui ont alimenté cette image de l'élu algérien, les causes de la démobilisation générale.  L'Algérien en tout cas traîne de plus en plus la patte pour se diriger vers les urnes, qu'il considère comme une simple formalité administrative par habitude. Juste pour obtenir un cachet sur sa carte ocre jaune, en cas de besoin. Le vote du troisième âge, voilà ce que sont devenues les élections législatives. Les jeunes quant à eux en ont marre d'attendre les promesses d'où qu'elles viennent. Durant cette journée du 17 mai, l'unique, à travers ses trois têtes, a eu du mal à assurer une image de jeunesse de l'électorat. Elle a eu du mal à remplir ses missions de propagande, malgré la honteuse prestation de ses animateurs anodins se croyant obligés de donner des leçons de nationalisme, pour remplir les vides entre deux correspondants, pendant que la population suivait sur les chaînes françaises les discussions relatives à la formation du premier gouvernement du règne Sarkozy ou du match de l'Entente de Sétif sur la chaîne jordanienne.  Après les attaques commandées et en ordre serré contre elle, Al Jazeera n'a pas cru bon accorder trop d'importance à l'événement préférant rapporter fidèlement et avec sérieux les raids israéliens contre le peuple palestinien. Une lutte qui vaut la peine d'en parler, et qui mieux que la chaîne qatarie sait en parler. L'ENTV, malgré ses sondages ramadanesques, ou les autres « chaînes cabarets » arabes ? Revenons sur terre et essayons de comprendre ce que les élections peuvent bien représenter pour nous à l'ombre du tribalisme et du déni du détail qui fait la durabilité du système. Pourquoi le ministre de l'Intérieur sautant sur la comparaison avec les élections italiennes et américaines, a-t-il cru bon sauver la face de l'échec de cette dernière campagne, au lieu de proposer une relance du débat sur le sens à donner à une institution ? Pourquoi le Premier ministre accoutré de son fameux costume traditionnel des jours de prière pour une interview accordée à France 24 a-t-il avancé les mêmes arguments de l'échec italien et américain pour justifier le taux honteux de participation ? Pour dire que nous sommes au même stade que ces pays ? Risible. Ne sommes-nous donc comparables qu'aux échecs qui restent d'ailleurs à vérifier ?  En dehors d'une minorité qui croit encore que les choses peuvent changer par les mécanismes classiques de la démocratie et qui s'accroche faute de mieux à un rêve imposé, qui connaît la suite réservée à la noblesse de ce geste qui consiste à s'isoler derrière un rideau pour choisir un bulletin à placer dans une urne ? Il ne s'agit plus de faire dans la démagogie et de considérer, comme le prétend le ministre de l'Intérieur, que le peuple algérien a atteint par son scrutin le stade de la maturité, mais de voir les choses en face et s'interroger si l'Algérien sait encore voter. S'il sait choisir parmi une vingtaine de bulletins avec la seule photo lugubre de la tête de liste et alignant des noms en arabe et en français ainsi que des sigles de partis loufoques, à l'image des anciennes Entreprises communales en éternelle cessation de paiement. Si maturité il y a eu, ce sera certainement celle de renvoyer dos à dos l'administration et les partis politiques par une abstention massive y compris dans les wilayas habituellement considérées comme acquises au système, depuis l'indépendance.  A la veille de l'indépendance, en tout cas, le peuple algérien était mature avant même l'arrivée des clans de l'extérieur et avec les seuls «fellaghas» de l'intérieur. Il était confronté aux affres de la guerre et résistait aux différentes primautés des uns sur les autres. La suite on la connaît. Rejeter la balle sur les partis politiques et s'empresser de proposer une réforme des textes, une de plus, sur le fonctionnement de ces partis, n'est-il pas un aveu d'échec. L'échec d'un système qui ne répond plus à une dynamique sociale, confrontée à la globalisation. Devons-nous attendre que les changements nous viennent de l'extérieur devant cette obstination à faire toujours croire que la machine du pouvoir tourne à vitesse régulière ? Même le sérail n'y croit plus et l'étonnante intervention de l'inamovible coordinateur de la Commission nationale politique de surveillance des élections législatives en dit long sur le niveau atteint par la fausseté du spectacle électoral. Comme si les autres élections étaient normales. Mais de cela le coordinateur n'a rien dit. La dénomination même de cette commission a de quoi faire réfléchir sur la paralysie des institutions, sur leur sens. C'est trop !  N'oublions pas que nous appartenons à un espace méditerranéen dont la France sarkoziste veut faire une priorité pour une meilleure circulation du capital et des idées novatrices. Les règles du jeu risquent de changer et les relations charnelles établies par Chirac risquent de demeurer des relations des seuls intérêts. Les exigences qui accompagneront ces dernières relations notamment concernant certains dossiers de corruption jusqu'à présent sous le coude de l'Elysée peuvent ressurgir. Kouchner aura à ce niveau un rôle à jouer sur le registre des droits de l'homme et une occasion de rêve lui est offerte. On ne pourra ainsi en aucune manière reprocher à la France de jouer le rôle anti-arabe, du fait des alliances des gouvernants arabes avec les Etats-Unis car qui plus que les arabes est anti-arabe ? Pris entre le projet euro-méditerranéen de la France actuelle et celui du Grand Moyen-Orient, les choix risquent de ne plus être des seules souverainetés nationales. Déjà que maintenant...  Les petites combines nationales devront alors cesser de fait. Devront cesser de fait les bourrages d'urnes, les présidences à vie et l'arithmétique des containers et des alliances familiales. Devra cesser l'alliance de l'argent avec la politique car le monde aura besoin d'ouvrir des dossiers aussi sérieux et urgents que celui de l'environnement, celui du nucléaire et des biocarburants, celui de l'argent sale, celui du terrorisme dont il faudra désormais expliquer les causes en dehors de la vision restreinte de l'islamisme. Devra cesser cette pratique impunie de confiscation des voix des citoyens transformés en simples spectateurs de leur processus d'infantilisation. Devront cesser les élections « tchamba » qui font se faufiler des opportunistes entre les mailles d'une démocratie de façade, encouragées par une administration qui ne voit aucune utilité à rendre compte de l'état du pays et de son président, laissant libre cours à la rumeur. Dans un pays où la rumeur finit toujours par refléter la réalité. Toujours.  Devront revenir à la norme institutionnelle les Etats qui croient pouvoir continuellement se servir des ressources de leurs pays au profit de la même minorité. Les mêmes tribus. De sorte à remettre de l'ordre dans des urnes transparentes. De sorte à bannir les politiques des quotas et celle des alliances contre nature pour le maintien en vie d'un système agonisant qui recherche son oxygène dans la gesticulation de quelques serviteurs zélés y compris dans l'opposition en contrepartie d'avantages sur le dos de la majorité. Ce sera désormais le prix de la survie. Ou celui du changement.
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