L'élection n'est
plus une solution en Afrique. De dérive en dérive, elle est même devenue le
problème.
Alassane Outtara
a remporté les élections présidentielles en Côte d'Ivoire. Mais l'opposant
ivoirien n'est pas pour autant assuré de jouir de son triomphe, ni même
d'assurer la survie de son pays. Sa victoire dans les urnes n'a pas été
reconnue par son rival et président en exercice Laurent Gbagbo, qui s'accroche
au pouvoir de manière caricaturale, entraînant la Côte d'Ivoire dans une
incroyable dérive.
Ouattara aurait
pu devenir le héros autour duquel s'organiserait la sortie de crise dans son
pays. Les évènements ont cependant pris une autre tournure, et il risque de devenir
l'un des éléments autour duquel se cristallise la crise, au risque d'accentuer
le dérapage que subit le pays depuis une décennie; ceci, même si sa
responsabilité ne paraît pas aussi lourde que celle de M. Gbagbo.
Après une
décennie de rendez-vous avortés, d'élections reportées et de complots émaillés
d'affrontements et d'incidents, les élections de dimanche dernier devaient
constituer un virage décisif. Le monde entier souhaitait que le pays prenne le
chemin de la détente et s'oriente vers une vraie solution.
Mais les
pesanteurs du passé et les archaïsmes sociaux se sont révélés trop forts. Le
poids des ethnies et des tribus s'est révélé excessif. Ouattara est du Nord,
proche du Burkina-Faso, et représente des tribus pauvres ainsi qu'une
importante population immigrée qui s'est installée dans cet îlot de prospérité,
toute relative, que représentait la Côte d'Ivoire. Par opposition, Gbagbo est
un homme du Sud, représentant une population plutôt chrétienne, qui se veut
l'héritière de Félix Houphouët-Boigny. Mais Gbagbo est aussi l'héritier de la
Françafrique, ce système néocolonial qui a mis le continent en coupe réglée,
avant que ses amis français ne se retournent contre lui, le jugeant trop
encombrant.
Laurent Gbagbo
savait depuis longtemps qu'il perdrait des élections libres. Il les a donc
refusées pendant près d'une décennie. Acculé, il a été contraint d'y aller à
reculons, peut-être avec la promesse d'être maintenu au pouvoir. Aussitôt après
les élections, il a empêché la commission électorale d'annoncer les résultats,
pour réunir un Conseil constitutionnel composé d'éléments de sa cour et se
faire proclamer vainqueur. Et, pour prendre tout le monde de court, il s'est
immédiatement fait introniser président de la République.
En Egypte, le
président Hosni Moubarak, immuable chef d'Etat depuis trois décennies, n'a
guère fait mieux. Il a mis en place un système tellement verrouillé, qu'il est
devenu impossible d'en sortir. Malgré un clientélisme érigé en système de
gouvernement, la clientèle du pouvoir elle-même n'arrive pas à se mobiliser.
Cela donne un taux de participation ridicule, une élection caricaturale, un
résultat digne du parti unique et, en fin de compte, un scrutin absurde. Si
négatif pour le pays que même les alliés américains se croient obligés de
condamner, en exprimant leur déception, car le pourrissement est devenu tel que
certains analystes considèrent désormais le pouvoir en place comme le principal
danger pour le pays.
Pour la Côte
d'Ivoire comme pour l‘Egypte, le drame est là : la crise est devenue
inextricable, et la sortie de crise apparaît impossible. En Côte d'Ivoire, même
si les médiations engagées permettent d'éviter l'engrenage de la violence, il
sera très difficile de remettre le pays en marche. Les plaies sont trop vives,
les déchirements trop graves, les divergences trop fortes pour être surmontés
rapidement.
Quant à l'Egypte,
elle s'est enfermée dans un système tellement opaque qu'elle ne pourrait pas en
sortir, même si elle le voulait. Les pesanteurs sont devenues telles qu'aucune
force politique ne peut les dépasser. La corruption politique et la gestion par
les appareils sécuritaires sont devenues une donnée fondamentale de la vie
politique du pays. L'Egypte ne s'est pas seulement ligotée, elle a fait en
sorte d'interdire toute alternative crédible.
Dans un tel
climat, les élections ont aiguisé la crise au lieu de tracer l'ébauche d'une
solution. Elles ont été le révélateur d'une situation ingérable, provoquée par
des dirigeants irresponsables, prêts à sacrifier leur pays pour assurer leur
pouvoir.
Mais on ne peut
pour autant s'arrêter là. Au Kenya, des élections avaient débouché sur une
grave crise, avec des affrontements qui ont fait plus d'un millier de victimes.
Le pays avait frôlé le chaos. Au Zimbabwe, des élections législatives ont
débouché sur une victoire de l'opposition, mais le pouvoir en place, fort de sa
« légitimité historique », a refusé d'en tenir compte. Le vainqueur des
élections a été harcelé, ses partisans pourchassés, ce qui a fini par jeter le
discrédit sur un pays qui a pourtant été un symbole de la lutte contre le
racisme.
Pourquoi les
élections débouchent-elles sur des crises en Afrique ? Le continent n'est-il
pas mûr pour ce type d'opération politique ? C'est ce que tentent de faire
croire les pouvoirs en place qui font tout pour discréditer les élections, même
si, du bout des lèvres, ils y affirment leur attachement. Ils trouvent
également appui auprès de dirigeants occidentaux qui estiment que l'Afrique
n'est pas mûre pour la démocratie, et disent publiquement que l'homme africain
n'est pas encore entré dans l'Histoire.
La boucle est
alors bouclée : la victime africaine a été transformée en coupable, et
l'élection, qui était une solution, est devenue le problème.
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Posté Le : 09/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com