Algérie

ELECTION PRESIDENTIELLE



Par Badreddine Mili
«Vous n'êtes pas la foule, vous êtes les citoyens.»
(Jean-Luc Mélenchon)
Reléguée et maintenue, depuis 30 ans, au-dessous du seuil humiliant des 5 % par la proportionnelle distillée dans le code électoral par François Mitterrand, le florentin du socialisme français, dans le but de la disqualifier en même temps que le Front national, tous deux jugés à l'aune de Weber et des sociologues américains, comme des pôles extrémistes à isoler et à neutraliser, la gauche populaire française que l'on croyait éteinte pour toujours, rejaillit sur la scène politique, à la faveur de la présidentielle, avec la vigueur d'une force neuve, déterminée, créditée par les sondages d'un inespéré 17%
De quoi faire trembler les aiguilles des oscillographes de la haute finance, du CAC 40, du capitalisme anglo-saxon, des agences de notation, de beaucoup de médias, des partis de la droite et de l'extrême droite et même des bookmakers, des b.win et autres sites électroniques de paris ! Il va sans dire que le resurgissement de cette force ne s'est pas opéré sous le coup d'une baguette magique. La crise économique internationale qui a rasé, de façon impitoyable, tout ce qui montrait le bout du nez, était passée par là. Le capitalisme rentier, encore retardataire, d'une France supposée être la 5e puissance économique mondiale, a été réduit, dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail, à un rôle de sous-traitant des Etats-Unis et de l'Allemagne, délocalisant ses entreprises, à tour de bras, pour continuer à vivre sur le grand pied, cédant sa sidérurgie à ArcelorMittal, son patrimoine hôtelier, culturel et même sportif, au plus offrant des roitelets du Golfe et poussé à partir guerroyer, pour le compte de l'OTAN, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire et en Libye, sans qu'il ait l'envergure et les moyens de ses ambitions et sans en tirer, en fin de mission, les dividendes économiques et stratégiques escomptés. Les composantes de cette nouvelle gauche populaire française qui paraît, au jour d'aujourd'hui, déborder du cadre politique traditionnel qu'on lui connaissait, en l'occurrence le Parti communiste, les radicaux de gauche, les dissidents du Parti socialiste, du NPA de Philippe Poutou et de la Ligue ouvrière de Nathalie Arthaud, sont revenues de toutes les illusions dans lesquelles elles s'étaient laissées embarquées, il y a cinq ans, séduites soit par le chant des sirènes lepénistes, soit par les raccourcis sarkozystes du genre «travailler plus pour gagner plus» ajoutés aux amères déceptions que leur avaient infligées les apparatchiks des années 1970 et leurs successeurs, les tièdes et peu charismatiques réformateurs de l'ère post-Marchais. Le réveil fut dur mais salutaire. Il commença dès le début du quinquennat «blingbling » de Nicolas Sarkozy. Les travailleurs auxquels s'agrégèrent de larges pans des classes moyennes appauvries par une récession que le pouvoir de droite taisait pudiquement, prirent, dans toute son ampleur, la mesure de leur déconvenue lorsqu'ils se rendirent compte que, derrière l'écran de fumée des promesses électorales, se mettait en place la cynique politique du bouclier fiscal, des cadeaux et autres exonérations consenties aux banques, consortiums, groupes, classes et cercles d'amis et de proches, déjà nantis, au premier rang desquels se trouvaient Total, Dassault, Bolloré, Lagardère, Bouygues et Bettencourt, dont le scandale des généreuses donations, intervenu en pleine discussion, au Parlement, des lois sociales, coûta son portefeuille à Eric Woerth, le trésorier de l'UMP et non moins architecte du nouveau dispositif anti-retraités. Les grèves, les marches, les protestations contre les atteintes au pouvoir d'achat, les superprofits et les parachutes dorés du grand patronat, les licenciements, le recul du départ en retraite, amplifièrent le mouvement qui connut son apogée avec les luttes des sidérurgistes lorrains du groupe indien de Gorange et de Florange qui vinrent lui donner du sens et une direction, absorbant, dans la foulée, aussi bien les Indignés que les altermondialistes, désorientés par la fulgurance de la capitulation de l'Internationale Socialiste avec en tête, le Grec Papandréou, l'Espagnol Zapatero et le Portugais Socratès, face aux ultimatums de la haute finance internationale. Et c'est sur ce lit de souffrances et de combats désespérés que bourgeonna ce qui prit, quelque temps plus tard, le nom fédérateur de Front de gauche que Paul Laurent et Marie- Georges Buffet, le nouveau et l'ancienne secrétaire nationale du PCF, eurent le bon goût et l'intelligence politique de refuser de diriger au profit de Jean-Luc Mélenchon, un homme de conviction, dissident du PS que beaucoup de médias, pensant tenir leur nouveau Georges Marchais pour meubler les grilles des soirées du PAF, avaient avancé comme le bateleur de foire idéal, l'amuseur public accompli, celui qui allait dérider une campagne présidentielle annoncée morne et bicéphale. Tout à leur ignorance — feinte ou réelle — des profonds ressorts de leur société, ils ne tardèrent pas à découvrir, à partir des meetings de Paris, Toulouse et Marseille, que derrière Jean-Luc Mélenchon, c'est tout un peuple qui s'était mis en marche, pour une révolution citoyenne, le mot d'ordre choisi par le Front pour illustrer un programme dans lequel se reconnaissent, selon les pronostics, un cinquième des Français. Ce peuple est devenu le cauchemar des pétroliers, des diamantaires, des marchands de canon, des exploitants d'or et d'uranium, des francs-maçons qui font suer le burnous des Gabonais, des Ivoiriens et des Nigériens jusqu'aux stars du football et du showbiz. Ce peuple a fait reculer le FN en l'acculant à se présenter pour ce qu'il est : un parti de racistes, d'islamophobes, de petits blancs, de pied-noirs et de harkis, les vaincus de toutes les guerres de la France coloniale. Un peuple qui dit tout haut sa solidarité avec le drame des chômeurs, des retraités, des SDF, des émigrés, des sans-papiers et son opposition aux stakhanovistes des charters et leurs supplétifs, les néo-mokhaznis qui obéissent aux instructions de leurs maîtres, comme le faisaient, le doigt sur la couture, leurs parents, aux plus beaux jours de l'Algérie française. C'est ce peuple de France qu'on attendait, depuis longtemps, qu'il reprenne de la voix et nous reparle ; non pas celui dont le chef remontait les Champs-Elysées vers le Panthéon, une rose à la main pour fleurir la tombe des héros de l'Histoire révolutionnaire et de la Résistance, tout en baissant, honteusement, les yeux sur les crimes qu'il avait personnellement commis à la guillotine ; non pas celui qui se découvre sur le tard, un passé d'esclavagiste, en inaugurant un musée à Nantes, la ville natale du général Lamoricière, le tueur des enfants de Constantine, tout en détournant la tête, pour ne pas voir le sordide et affligeant spectacle des «instruments de travail» étalés par les tortionnaires-collectionneurs de la guerre d'Algérie sur les places de Navarre, en attendant de les retrouver — qui sait ' — chez Drouot, poinçonné du label de la distinction. Non ' Vraiment ' Alors, qu'attendez- vous, pour ouvrir dans votre capitale, le Musée des Horreurs coloniales, en face du Musée de l'Homme ' A un journaliste, l'œil goguenard, qui lui demandait dans quel pays étranger il se rendrait, en premier, s'il était élu président, ravi de la perspective de le piéger, croyant lui faire dire que ce serait les Etats-Unis, la patrie de la Lehman Brothers et de Madoff, Jean-Luc Mélenchon eut cette réponse qui claqua, dans le studio, comme une gifle : «Le premier pays dans lequel je me rendrai, ce sera l'Algérie parce que son peuple mérite le respect pour son combat d'hier et d'aujourd'hui et pour ce qu'il représente pour le Sud de la planète. J'irai lui demander pardon pour les crimes commis par la France contre sa Nation...» Eh bien, même si celui que l'on présente comme le Lula européen ne gagne pas cette élection parce que tous les capitalistes et leurs relais, les partis et les lobbies, lui feront barrage, il aura eu, au moins, le mérite d'avoir porté haut la voix du véritable peuple de France, celui des Lumières, de la Bastille, de la Déclaration universelle et de Charonne, de Jaurès, Moulin, Mocquet, Aragon et Ferrat. Il l'aura, en tous les cas, mis, en bonne position, pour influer, après le 6 mai, sur le cours de bien des événements. A ce moment-là, Jean-Luc Mélenchon pourra venir en Algérie, comme il l'a promis, et le peuple algérien écoutera ce qu'il sera venu lui dire de vive voix. A la veille du Cinquantenaire de l'Indépendance, cela revêtira la valeur d'un symbole et d'un signal très forts, sachant ce que le leader du Front de gauche représentera comme poids politique, en phase ou non, avec François Hollande dont on connaît, déjà, la position puisqu'il est venu, ici à Alger, la défendre personnellement. C'est ce dernier qui semble être le mieux placé et le plus près de la ligne d'arrivée, muni d'un réservoir de voix plus important que son concurrent du 2e tour, même s'il faut rester prudent, une élection n'étant jamais jouée d'avance, a fortiori, lorsqu'il s'agit d'une élection présidentielle. Ceci dit, qu'est-ce que l'Algérie peut prétendre y gagner politiquement et économiquement ' Difficile de le dire d'emblée. D'abord parce que, en règle générale, le pouvoir exécutif français, quelle que soit sa couleur, est prisonnier des grands corps de l'Etat connus pour leur conservatisme et leur forte résistance aux grands bouleversements. Nicolas Sarkozy qui s'était présenté comme «candidat du peuple» n'a-t-il pas, lui-même, au début de sa campagne, accusé l'establishment de l'avoir trahi en sabotant l'exécution de ses grands projets ' La seconde raison tient au fait que le programme de François Hollande prévoit de mettre la France au régime du pain sec jusqu'en 2016 : plus de délocalisations, priorité à l'investissement national créateur d'emplois et recentrage sur les intérêts stricts du pays avec pour objectif la réduction drastique de la dette publique, l'introduction de coupes sombres dans les dépenses publiques et la révision de la politique sociale, y compris le chapitre relatif aux retraites pour sauver le modèle français qui ambitionne, à la manière des Scandinaves, de limiter les hauts revenus et d'empêcher les salaires de descendre au-dessous d'un seuil vital. Le candidat socialiste envisage même de réguler les flux migratoires et de faire fixer leur taux, annuellement, par le Parlement, menaçant de réviser le traité de Lisbonne et les accords de Schengen, son œil demeurant rivé sur le rééquilibrage des relations de son pays avec l'Allemagne, la locomotive économique de l'Europe. Pour le
reste, on devrait s'attendre à un désengagement de la France des champs de bataille où l'a conduite le bellicisme de Sarkozy, une prise de distance avec les USA et l'OTAN, une plus grande circonspection dans la gestion des dossiers syrien et iranien, plus de respect pour la Chine et l'Afrique éclaboussée par le discours de Dakar et une rapide normalisation des rapports avec la Turquie, brouillés par le vote de la récente loi sur le génocide arménien. Et l'Algérie dans tout cela ' Apriori et à terme, l'Algérie ne pourra tirer un avantage tangible d'une succession socialiste que sur deux registres essentiels ; celui de la mémoire, en priorité : la loi glorifiant l'occupation et le discours prononcé par Sarkozy à l'Université de Constantine qui valut à un jeune étudiant une peine infamante, pour en avoir dénoncé le propos hautain et paternaliste, devront être remisés dans les archives poussiéreuses de la République française. Et seul un geste de reconnaissance des crimes de l'Etat colonial, accompli, avec la solennité qui convient, par le nouveau pouvoir, pourra en effacer les séquelles. La porte sera, dès lors, ouverte à la révision des nombreux textes régissant les relations entre les deux Etats, aujourd'hui largement dépassés et pourquoi pas, la reprise des discussions sur un possible Traité d'amitié, conclu sur la base du respect et des intérêts, bien compris des deux peuples. Celui-ci relancera une coopération privilégiée fondée sur le donnant-donnant : l'énergie contre la technologie, un deal qui sécurisera l'approvisionnement de la France en hydrocarbures et permettra à l'Algérie de moderniser son économie et négocier, en bonne position, le virage de l'après-pétrole, à la condition, bien sûr, de commencer à balayer devant sa propre porte. Autrement dit, d'accepter l'émergence, ici aussi, d'un nouveau pouvoir dirigé par les jeunes élites, intègres et compétentes capables de mettre, résolument, le cap sur la réalisation de grandes ambitions en se libérant du bricolage des politicards à la petite semaine qui en sont encore à rivaliser de zèle pour placer à la tête des listes électorales qui un frère, qui une épouse et qui un fils, pensant que la corruption vaut l'intelligence. Vous me direz que Sarkozy avait tenté de le faire, l'année dernière, en plaçant son fils à la tête d'un organisme juteux. Mais, là-bas, les vigiles de la méritocratie l'ont renvoyé, dare-dare, à ses chères études, le priant d'aller réviser son cours sur la politique et la morale... Ainsi que les Sénégalais l'ont fait, pacifiquement, dans l'honneur et la paix, en invitant les Wade, père et fils, à rentrer chez eux sans trop insister… «La religion appartient à Dieu et la Nation à tous», avait dit Makram Obeid, le vice-président du Wafd égyptien historique qui en a fait sa devise…




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