A la recherche d’une mémoire perdue Le premier tome de la nouvelle production de Kaddour M’Hamsadji est depuis quelques jours sur les étals des libraires.
Auteur prolifique et éclectique, Kaddour M’Hamsadji s’en est allé cette fois-ci à la recherche de la mémoire de la Qaçba d’Alger. Tout un programme, mais surtout un pari quelque peu fou au regard de la médiocrité du legs mémoriel et d’écrits, souvent insuffisants, sur ce lieu mythique et historique de ce qu’a été le Vieil Alger. En fait, l’idée d’écrire un texte sur la Casbah «autrefois», même si elle remontait à loin, est venue à nouveau titiller Kaddour M’Hamsadji quand il n’arriva pas à mettre un nom sur un air festif qui l’habitait en relation directe avec la vieille Médina.
Depuis quelque temps, en effet, un air insistant d’une vieille chanson, dont il en a la réminiscence mais n’arrivait pas à en saisir la trame, lui trottait dans la tête sans qu’il parvienne à le remettre dans son contexte. Il voulut alors en avoir le coeur net, ce qui l’amena à entreprendre une véritable enquête pour essayer de retrouver des us et coutumes -aujourd’hui, partiellement ou en totalité, perdus- de la culture algéroise qui a fait l’originalité et le charme spécifique d’Alger.
Mais il lui a fallut, aussi, creuser profond: le résultat, du moins dans sa première partie est là, «El Qaçba, zemân, La Casbah d’Alger, autrefois». Cela est loin d’avoir été une évidence d’autant plus qu’il s’est trouvé rapidement face à un mur, celui de l’incompréhension, certes, mais surtout celui de l’ignorance. Tous ceux qu’il sollicita et qui passaient pour des connaisseurs des ‘’traditions’’ du Vieil Alger, sinon des détenteurs de parcelles de la mémoire lyrique et artistique «kasbadjie», se sont révélés être des outres vides, sans consistance.
Dès lors, c’est à une véritable quête, digne d’un tamiseur de sable, que l’auteur s’est livré, par la recherche de textes anciens, de contes, de chansons festives qui disent et célébrent la pérennité de ce lieu magique qu’est la Casbah d’Alger. Mais avant d’en arriver là, il fallait encore se livrer à un rappel historique, resituer le site dans son contexte d’époque(s). D’ailleurs, Kaddour M’Hamsadji écrit à ce propos:
«Je me suis résolu à proposer à mon lecteur, qui souhaite pénétrer dans la Casbah, deux portes, comme il en existe dans les anciennes demeures; d’abord celle qui s’ouvre sur la sqîfa, le vestibule, puis celle qui donne accès au ouast ed-dar, le patio (...) Dans mon propos, la première porte est une utile introduction; elle constitue un rappel historique (...).»
Il fallait donc en passer par là pour essayer de retrouver les traditions ancestrales et resituer El Qaçba dans son contexte historique et son antériorité d’autrefois, pour ne point dire son authenticité.
Une recherche exaltante...et déprimante Cela s’est révélé, pour l’auteur, autant exaltant que déprimant tant il était difficile de mettre la main sur des documents avérés. Exaltant à la perspective de contribuer à une meilleure connaissance du patrimoine national dont la Casbah d’Alger en est l’un des joyaux, déprimant au fait que peu a été préservé de ce patrimoine immémorial dont la mémoire en a mal conservé le souvenir. Les archives sur la Casbah sinon n’existent pas du moins sont ténues ou ont été, pour la plupart, perdues ou dégradées.
Faut-il alors renoncer? Que non! Kaddour M’Hamsadji, tenace dans son entreprise, s’en est allé, à son tour, interroger les vieilles pierres de la Casbah, lesquelles, outre de continuer à défier le temps, gardent jalousement leurs secrets, tentant de traduire en faits lisibles ces vestiges qui disent un passé ancien, qui racontent une ville, Alger, sur laquelle il y a encore beaucoup à dire et à apprendre. Retrouver «l’âme» d’Alger n’est assurément guère chose aisée sans tomber dans la redondance -quand d’autres ont déjà emprunté ce chemin escarpé- et éviter les redites.
Mais, sous quelque angle qu’on l’aborde, la Casbah reste en fait un sujet neuf car il y a tellement à en dire qu’aucun livre n’est à même d’épuiser les confidences qu’elle veut bien consentir de lâcher ici et là. En historien -il se dit pourtant «amateur»-, Kaddour M’Hamsadji apporte donc sa touche particulière, où la poésie n’est pas absente, à la connaissance de ce patrimoine, objet de maintes investigations mais gardant inviolables ses secrets.
Appréhender la Casbah, c’est encore aller interroger ses vieilles pierres, ultime recours pour celui qui veut apprendre, ce à quoi s’est astreint l’auteur qui avoue, en songeant, qu’il doit apporter du neuf à ses lecteurs, que «Ces ‘‘fouilles’’ (parlant de ses recherches sur le site) ont été pratiquées dans un site qui, pour familier qu’il me soit -et, par ainsi, m’obligeant à une position personnelle réfléchie et modeste-, reste néanmoins singulier, difficile et certainement exceptionnel.»
L’inimitable stature de la Médina algéroise Ce travail s’est révélé tellement immense que l’auteur s’est vu contraint de le partager en deux parties, dont le tome1 vient de paraître aux éditions de l’OPU (Office des publications universitaires). Ce premier tome s’articule autour des lieux «physiques» qui font la pérennité de La Casbah en faisant (re)découvrir dans toute sa splendeur, parfois sa singularité, un patrimoine qui donna à la Médina algéroise sa particularité et son inimitable stature.
C’est là un peu le parcours du combattant avant que d’en arriver à l’objet premier de cette gageure consistant à retrouver, dixit M’Hamsadji «El Djazaïr, zemân, cité de traditions, de coutumes et de fêtes». L’auteur met d’ailleurs, d’emblée, en garde ses lecteurs en précisant que son objet demeure celui de recouvrer un espace historique, d’en faire une lecture à partir des connaissances d’aujourd’hui, indiquant; «Aussi, vais-je -prétentieuse ou magnanime gageure- essayer de retrouver El Djazaïr, zemân, Alger autrefois, avec les yeux d’aujourd’hui, c’est-à-dire, en fait, à partir d’une mémoire exhumée, je trace à grands traits ce que furent l’histoire et les traditions de cette Ville, quitte à malmener de temps à autre, la stricte règle de la concordance des temps et à mélanger les époques.»
Pouvait-il en être autrement lorsque la mémoire des hommes est déficiente, que les archives sont incomplètes sinon absentes, les documents souvent peu fiables, les souvenirs incertains? Aussi, reconstituer le passé de la Casbah, ou l’Alger d’autrefois, c’est un peu partir à l’aventure tant ce site historique reste un terrain mouvant pour lequel toute précaution n’est guère superflue surtout lorsque l’on sait que c’est aussi un terrain, outre d’être changeant, a été arpenté dans toutes ses dimensions et sous toutes ses facettes par les historiens et autres sociologues d’hier et d’aujourd’hui.
Il faut produire du neuf, poser un regard sans a priori sur un patrimoine qui reste toujours à comprendre! C’est en fait surtout celle-là la gageure à laquelle s’attaque notre auteur, donner à voir et à lire quelque chose qui apporte du consistant à la connaissance du Vieil Alger, sans doute pas le Sésame qui ouvre les portes secrètes de La Casbah, à tout le moins faire sortir lesdits sur la Casbah des chemins archi-battus de la recherche classique.
Kaddour M’Hamsadji qui s’est toujours défendu d’être un historien -dans le sens académique du terme- opère donc en dilettante éclairé, en amoureux de l’art qui aime peaufiner son travail, lui donner le fini qui lui sied. En un sens, M.M’Hamsadji est un ciseleur, un perfectionniste qui aime à faire partager ce qu’il aime et la Casbah est l’un de ses amours, pas du tout secret, lui qui y a vécu, quoique natif de Sour El Ghozlane, ses plus belles années.
Cet opuscule sur la Casbah d’Alger, enrichi de très belles photos et gravures de l’ancienne Médina, de même que d’une nomenclature de quelques noms (originaux) de rues du Vieil Alger, se compose de dix chapitres, chacun s’articulant autour d’une spécificité du site. Remonter le temps à rebours, raconter les mille et un faits de la Casbah -ou l’île des Mouettes comme la qualifie poétiquement l’auteur-, voilà une oeuvre qui mérite le respect.
Mille ans? Trois mille ans? Plus? Qui peut donner un âge à ces pierres d’une Casbah qui n’avoue rien, à une Ville, coquette sans doute, qui hésite à dévoiler le nombre de ses printemps. Même les dates de ses restaurations par Bologhine Ibnou Ziri -vers 973 de notre ère- et celle commencée par Aroudj en 1516 et achevée par Khédar Pacha en 1590, font controverse. C’est qu’il est toujours difficile de donner un «âge» à la Casbah d’une part, dire quel a été son emplacement réel ou d’origine, d’autre part.
La Casbah que nous connaissons est-elle celle qui a existé voici deux ou trois millénaires, est-ce celle restaurée par les Zirides, ou celle plus récente des frères Barberousse? Et la Vieille Citadelle en demeurant muette sur une question qui a dérouté tout au long des siècles maints historiens -qui, tantôt l’estiment comme légataire de la mythique Icosium (dont aucune trace n’a subsisté pour attester de son historicité), tantôt la situent sur la colline faisant face au célèbre Penon (cause de plusieurs guerre, entre les souverains d’Alger et d’Espagne), n’aide pas à mieux connaître un patrimoine de la culture et de Histoire de l’Algérie.
Pour ne point se disperser, sans doute, Kaddour M’Hamsadji s’est limité à la période ottomane de la Casbah d’Alger, qui est déjà en elle-même appréciable, tant il est vrai qu’à chaque chose suffit sa peine. Ainsi, l’auteur écrit au chapitre 1 de la seconde partie de son ouvrage (page 69 et suivantes) que la Casbah, à proprement parler, a été commencée, en 1516 par ‘Aroudj et achevée, en 1590, sous le pacha Khédar. Elle a remplacé, en renommée, la primitive Casbah berbère, «el Qaçbah el Qadîma», qui s’élevait, selon lui, sur l’emplacement du bastion n° 11 (Rampe Valée, aujourd’hui, Arezki Louni).
El Qaçbah, zemân, La Casbah d’Alger, autrefois, est un livre qui se lit facilement avec plein d’anecdotes et de faits savoureux, sinon inédits, sur la Médina d’Alger, revisitée et remise au goût du jour pour le plus grand plaisir, et pourquoi pas de découvertes, pour ceux qui ont le Vieil Alger au coeur, tandis que les autres tireront sans doute profit d’un ouvrage qui, sans être savant, apporte une autre lecture et approche à la connaissance de la Casbah d’Alger, l’un des fleurons du patrimoine national.
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Posté Le : 25/03/2007
Posté par : nassima-v
Ecrit par : N. KRIM
Source : www.lexpressiondz.com