Algérie

El-Jazaïer contre El-Jazeera



La presse algérienne est unanime, tout aussi que l'opiniontélécommandée: El-Jazeera a dérapé. La chaîne qui a fait sortir les médiasarabes du champ lexical de l'autobiographie romancée des régimes locaux et dela poésie publicitaire pour les rois et les présidents à vie, a fini parsuccomber à l'excès de liberté. Après la fameuse question du « Qui tue qui ? »,elle a fait circuler, sur son site Internet, la question du « Etes-vous pour oucontre » celui qui tue tout le monde ?Tout juste à la sortie des cimetières où des Algériens ontenterré des Algériens, on ne pouvait pas faire pire et dire plus mal. Laréaction algérienne a été forte, dure et unanime. Le patron de la chaîneunique, l'ENTV, a résumé le procès de cette chaîne unique en son genre, avantde conclure à la complicité de meurtre de la chaîne El-Jazeera, déjà accusée decomplicité de crime par l'Occident.Dans le tas cependant, tout le monde a trouvé à dire sur laquestion (êtes-vous pour ou contre les attentats d'Alger ?), mais personne nes'est attardé sur la réponse tout aussi choquante (54.7% de « oui » et 45.3% de« non »). Et là, même si on explique doctement qu'un sondage reste toujours unsondage, qu'il ne traduit pas une réalité mais une approche du réel, qu'il peutsignifier un chiffre mais pas une vérité et qu'il peut avoir été fait dans unvillage irakien, un commune de chômeurs ou un pays d'exclus et d'aigriscollectif, le chiffre reste toujours là, impassible et intraitable.Il y a quelque part dans la planète d'Allah une géographieéparse et non discernable de près de 55% de gens qui sont pour le meurtre envrac de gens en vrac. Et là aussi, si les morts ont été identifiés, ces 55%restent anonymes mais pesants. Comment convertir ces gens-là et à quoi lesconvertir puisque, d'une part, ils ne croient pas à la démocratie qui n'existepas dans la planète d'Allah et que, d'autre part, il n'y a rien de valableentre le maquis qui tue et le régime qui ne fait pas vivre ? Comment lesconvaincre puisqu'ils vivent dans des pays où l'islam politique est interditmais l'islamisme conservateur et bigot est encouragé comme recette de stabilité? Comment les amener à respecter la vie d'autrui puisque, d'un côté, ils sontencouragés à voir dans les attentats islamistes contre l'Occident un acte delutte et de résistance et, d'un autre, ils sont appelés à condamner ces mêmesbombes lorsqu'elles explosent chez eux ? Comment faire pour les ramener àl'humanité lorsque, d'un côté, on leur apprend, de l'école à la mosquée, quel'humanité c'est d'abord eux et que le reste ce n'est que des « impies », etque, de l'autre, on les oblige à se replier sur des archaïsmes entre le choixde « citoyen de service » ou d'islamiste d'opinion ?L'autre question reste tout aussi insoluble: qui sont ces54.7% ? Des chômeurs ? Des résistants irakiens ? Des cyber-islamistes enréserve ? Des opposants impuissants, sauf dans l'acte de l'hallali et de lameute ? Des piétons plaisantins ? Des voyeurs adeptes d'El-Jazeera ? Desrepentis mal repentis ? Des tueurs en série sans numéros de série ? Ou la vasteet aveugle masse qui peuple la planète d'Allah et que les propagandes desrégimes locaux nourrissent d'une fausse identité de folklore, de mauvais livresdatant de quelques siècles, de chaînes religieuses thématiques vendant la Rokiaet la Fetwa, d'islamisme conservateur destiné à défendre les moeurs enaugmentant l'indice de frustration ? Ou simplement des gens comme vous et moiet qui confondent le film d'Errissala, la conquête de Badr avec leurs époqueset qui consomment les bilans des bombes comme des effets spéciaux ?Les techniciens des mécaniques électorales savent tous ceque signifie le concept de « vote-sanction ». Il reste à identifier dans lemonde musulman, qui va du Pakistan au Maroc, le concept de « islamisme-sanction». C'est peut-être là qu'El-Jazeera a trouvé ses 54.7%. Et c'est là que lematch El-Jazaïer contre El-Jazeera a manqué son but: il fallait s'indignercertainement de la question, mais il faut déjà réfléchir au sens de la réponse.Elle est plus terrible. Elle ne s'attaque pas seulement aux morts mais visentdéjà les survivants.


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