Algérie

El Emir Abdelkader



L'émir Abd El-Kader (né en 1808 près de Mascara en Algérie - décédé le 24 mai 1883 à Damas Syrie), est un écrivain, poète, philosophe, résistant militaire et homme politique, fondateur de l'État algérien. Il se trouve aussi être un ami de Napoléon III.
Son père, Sidi Mahieddine, était un cheikh de l'ordre soufi Qadiri, sa mère, Zora, une femme savante de toute la contrée. Il naquit à La Zaayah, une école religieuse de la Guyathnali (les Tentes), à quatre lieues de Mascara, à gauche de la route qui va d'Oran à cette ville. La date la plus probable de sa naissance est le 6 mai 1807.
Il eut une éducation religieuse musulmane. Abd-el-Kader était à peine âgé de huit ans que son père l'emmena avec lui dans un voyage qu'il fit à la Mecque. À leur retour, Ahmed-Bilhar, homme lettré et frère de Mahieddine, prit chez lui le jeune pèlerin et se chargea de son éducation, qui consista dans l'étude du Coran, les principes des sciences physiques et morales, de la géométrie et de l'astronomie, la gymnastique, l'exercice du cheval et le maniement des armes.
Mahieddine envoya ensuite son fils à Oran, chez Sidi-Ahmed-ben-Kodja, qui le garda dix-huit mois et lui enseigna la politique.
Mahieddine fit une seconde fois le voyage de la Mecque avec son fils. C'était en 1820, le capitaine Jovas, commandant le Castor, brick du commerce français, prit à son bord le père et le fils, avec un certain nombre d'aspirants au titre de hadj, et les transporta à Alexandrie.
Mahieddine et son fils, après avoir visité la Mecque et Médine, allèrent faire leurs dévotions à Bagdad, au tombeau du célèbre marabout Sidi Abd-el-Kader-el-Djelani, qui a des chapelles (koubbah) par toute l'Algérie et notamment à Alger. Ils recueillirent précieusement tout ce qui pouvait intéresser les populations du désert, et à leur retour ils racontèrent de vieilles légendes, d'anciennes prophéties, qui annonçaient qu'Abd-el-Kader deviendrait un jour le sultan des Arabes.
Pendant son séjour en Égypte, Abd-el-Kader avait été frappé des changements que Méhémet-Ali venait de faire subir à son armée et des améliorations apportées dans l'administration de ses états; il se sentit un immense désir de le prendre pour modèle, et son père l'encouragea dans ses idées.
Réfugiés tous deux dans leurs tentes, ils passaient leurs journées en prières. La vénération qu'ils s'étaient acquise avait tellement grandi, que les Arabes arrivaient en foule au Douar des Hachem, apportant comme offrandes du grain, du bétail, des chevaux, de l'or, de l'argent et des armes. C'est de cette époque que datent les nombreuses richesses d'Abd-el-Kader et sa haute influence sur toute la contrée.
Hassan-Bey, voulant mettre enfin un terme à ces menées révolutionnaires, prononça la peine de mort contre le père d'Abd-el-Kader ; mais il était trop tard.
La prise d'Alger par les Français venait de porter un coup terrible à l'empire des deys et à la domination turque. Le vieux marabout déchira le voile qu'il n'avait fait qu'entrouvrir et se mit à prêcher la guerre sainte. Des milliers d'Arabes accoururent et se rangèrent sous ses ordres ; on vit bientôt le puissant gouverneur d'Oran, Hassan, réduit à demander asile à celui dont il avait mis la tête à prix. Le marabout allait lui offrir l'hospitalité et ses services mais Abd-el-Kader s'y opposa énergiquement, et le bey d'Oran dût se rendre quelques jours après aux troupes françaises.
Mahieddine, choisi comme chef de l'insurrection arabe, marcha avec ses troupes contre la garnison turque de Mascara, et la massacra sans pitié ; plus tard il combattit les Français sous les murs d'Oran, et y déploya un grand courage. Le jeune Abd-el-Kader s'y distingua particulièrement ; il semblait être à l'abri des balles et des boulets; il eut deux chevaux tués sous lui. Le burnous blanc qu'il y portait, et qui y fut rougi du sang des siens, a été conservé comme une relique.
Depuis la prise d'Alger, le parti arabe semblait avoir recouvré sa liberté, mais il était pour ainsi dire sans chef : Mahieddine, tout influent qu'il était, n'était pas souverain. Quelques tribus ne lui obéissaient pas. D'un autre côté les Arabes voyaient avec inquiétude la conquête française s'étendre. La soumission d'Ibrahim, bey de Mostaganem, acheva de les décourager ; il y eut une assemblée générale des chefs de tribus pour procéder à l'élection du sultan des Arabes. Le rendez-vous eut lieu dans la plaine de Ghris, dans un lieu nommé Ersebia. Il fut question de nommer Mahieddine ; mais celui-ci leur dit que le marabout Sidi-el-Arrach était plus digne que lui d'un si grand honneur. Le conseil se retira pour se réunir le lendemain. Ce jour-là, on vit arriver Sidi-el-Arrach : Frères, dit-il, en élevant les mains vers le Ciel, cette nuit, le célèbre marabout Mahi Abd-el-Kader m'est apparu au milieu de sa gloire, et m'a dit : « Sidi-el-Arrach, retiens bien ces paroles d'où dépend le salut de notre race. Je ne connais qu'un seul homme qui, par ses vertus, son courage et son intelligence-, soit digne de commander aux Arabes : c'est Abd-el-Kader, troisième fils de Mahieddine. Je t'ordonne donc de répéter demain au conseil ce que tu viens d'entendre. Allah et son prophète s'intéressent à la cause de ses enfants et veulent qu'elle triomphe. »
Mahieddine intervint alors et ajouta : « J'ai entendu les mêmes paroles que Sidi-el-Arrach, et j'ai reçu les mêmes ordres, mais je mourrai dans l'année qui suivra l'avènement de mon fils. Telle est la prophétie de mon aïeul. »
Le titre de sultan fut alors accordé à Abd-el-Kader, les chefs s'inclinèrent et lui présentèrent le burnous violet. Ceci se passait en l'an de l'hégire 1248, (1832), 28 septembre. Le nouveau sultan se mit à prêcher la guerre sainte, et il réunit autour de lui une foule d'hommes braves et dévoués. Après que l'affaire de la Macta eut consolidé sa puissance, il songea à se créer une force militaire permanente, déploya une grande habileté, et fit preuve d'une rare observation. Voyant l'armée française composée en grande partie d'infanterie, il se forma un corps de cavalerie qui pût attaquer, poursuivre ou éviter un combat inégal. Ce premier corps ne montait d'abord qu'à 400 hommes qui rendirent de grands services au sultan. Pour entretenir des bataillons réguliers, il mit des taxes sur les marchandises, il leva des impôts; puis fit bâtir des magasins de vivres, d'armes et de munitions.
Lorsqu'il commença à faire la guerre aux français dans l'ouest de l'Algérie, le général Louis Alexis Desmichels était gouverneur de la province d'Oran ; comme son prédécesseur, il était indépendant du général en chef. Il crut que les Arabes se laisseraient influencer ou intimider par la supériorité française… Il se trompait; au mois de mai 1833 il battit plusieurs fois Abd-el-Kader, et s'empara de Mostaganem. L'émir, indigné de voir les Musulmans venir approvisionner les marchés français, fit enlever le chef d'Arzew qui venait de se soumettre, et le conduisit à Mascara où il fut condané a mort. Au mois d'octobre de la même année ses troupes attaquèrent l'escorte de la commission d'Afrique, forte de 1 800 hommes, mais il fut battu près de Aïn-el-Bidha.
Abd-el-Kader, à la mort de son père (1833), se retira quelque temps à Mascara, puis revint se mettre à la tête de ses troupes, fit bloquer la ville d'Oran par la tribu des Rharaba et couper toute communication avec Mostaganem par celle des Hachem. La tactique réussit, les arrivages cessèrent sur les marchés français. Les tribus soumises cherchèrent à se détacher des français.
Abd-el-Kader, profitant de l'état des esprits, tendit un piége aux français dans lequel quatre d'entre eux furent faits prisonniers et un cinquième tué. Le général Desmichels lui écrivit pour réclamer les soldats victimes d'une trahison infâme, mais Abd-el-Kader refusa de les rendre et termina sa réponse par un défi.
Le général Desrnichels ne fit pas longtemps attendre la réponse. L'affaire de Tamezouat n'avait pas encore intimidé les Arabes. On avait, après le combat, renvoyé les femmes et les enfants des douars qui étaient tombés dans le pouvoir français ; et les indigènes, ne comprenant nullement le motif de cette mesure, pensaient que ceux-ci avaient agi, non pas avec générosité, mais avec faiblesse.
Lorsque, après cette sortie, les marchés d'Oran se furent un peu approvisionnés, le général Desmichels écrivit de nouveau à Abd-el-Kader pour lui demander une entrevue. L'émir n'eut garde de se présenter lui-même, il se croyait trop au-dessus des généraux français par sa position souveraine : il n'a daigné accorder cette faveur qu'au maréchal Thomas-Robert Bugeaud, à Louis Christophe Léon Juchault de la Moricière et au duc d'Aumale.
A la lettre du général Desmichels il répondit que l'Islam lui défendait de se soumettre aux envahisseurs, mais qu'il lui permettait d'accepter une paix si elle lui était proposée. Abd-el-Kader sentait alors le besoin de cesser les hostilités contre les français, et malgré les revers, que les français éprouvèrent près d'Oran, dans un lieu nommé Dar-el-Bidah (la Maison blanche), il continua les négociations entamées, en engageant son Aga, Mouloud-ben-Arrach et le Caïd Ouled-Mahmoud, pour s'entendre en dehors d'Oran, avec le séfaradeMandoukaï-Amar, sur les bases d'un traité de paix qui allait être passé entre la France et les Arabes. Abd-el-Kader insistait pour avoir Mostaganem, mais se voyant refuser sur ce point, il demanda Arzew, où il parvint à établir de fait son autorité sans l'accord des français.
Ils arrivèrent à un accord sur les trois dispositions suivantes du traité :
Soumission des Arabes à la France ;
Liberté du commerce pleine et entière ;
Remise immédiate des prisonniers.
Lorsque les envoyés d'Abd-el-Kader s'occupèrent de la rédaction de cet acte important, conjointement avec les principaux chefs civils et militaires de la province, ils déployèrent tant de ruse et d'habileté, que les conditions principales posées par les français étaient comme annulées, et que ce traité, que les français imposaient, semblait être plus favorable aux Arabes.
Ce traité fut signé le 24 février 1834. Abd-el-Kader, satisfait, croyait son repos assuré, lorsque de nouveaux ennemis vinrent l'attaquer dans sa retraite. Mustapha-ben-Ismael, chef des douars, et qui avait été Aga avant la conquête, ne pouvait se résoudre à se soumettre à un usurpateur, ou, comme il disait, à un pâtre, fils de pâtre. Un autre chef, qui menait depuis longtemps une vie de brigandage, Kadour-ben-el-Morfy, placé à la tête des Bordja, ne pouvant s'accoutumer à la paix qui allait régner dans le pays, se réunit à Mustapha pour soulever les Beni-Amer, une des plus populeuses tribus de la province. Les Arabes de cette tribu se refusèrent à payer l'achour, alléguant que la cessation de la guerre rendait cet impôt inutile, et qu'ils ne reconnaissaient pas pour leurs maîtres les infidèles et leurs alliés. Les Douayers et les Zmelas, tribus accoutumées à vivre au XIXe siècle de pillage, se joignirent aux Beni-Amer et commencèrent les hostilités.
Abd-el-Kader rassemble au plus vite ses cavaliers dans les environs de Mascara, marche contre l'ennemi et surprend plusieurs villes laissées sans défense. Mais il eut l'imprudence d'établir son camp sur la lisière de la forêt de Zétoul, dans le pays des rebelles. Au milieu de la nuit, les Douayers mirent en fuite une partie de ses troupes, enlevèrent son camp au galop, et le forcèrent à rentrer presque seul à Mascara.
A cette nouvelle, Sidi-el-Arubi leva l'étendard de la révolte, les autres chefs des mécontents imitèrent son exemple, et Abd-el-Kader se vit entouré d'ennemis.
Au lieu de profiter de ces divisions qui commençaient à naître parmi les Arabes, et tirer parti du coup terrible qui venait d'être porté à l'émir, par les Beni-Amer, les français intervenaient si maladroitement qu'ils rendirent Abd-el-Kader plus puissant après cet échec qu'il ne l'était auparavant.
Mustapha-ben-Ismaè'l et Kadour-ben-el-Morfy, instigateurs de l'insurrection, avaient écrit aux généraux Voirol et Desmichels qu'ils s'engageaient au nom des tribus insurgées à se reconaître sujets de la France, à renverser Abd-el-Kader et à amener la soumission des troupes de l'émir. Mais le général Desmichels, au lieu d'accepter cette proposition, prit Abd-el-Kader sous sa protection. Celui-ci se voyant soutenu par les français et maître de la province d'Oran, c'est-à-dire de cette immense contrée qui s'étend depuis le Chlef jusqu'à l'empire du Maroc, suivit l'exemple du pacha d'Égypte, dont il avait étudié la politique, et il se constitua le négociant de ses États. Il était défendu aux musulmans de traiter directement avec les chretiens.
Abd-el-Kader ne s'en tint pas là : il s'opposa à ce que les français puissent visiter Tlemcen, sous prétexte que les Arabes et les juifs, n'aimaient pas à voir des étrangers chez eux.
Bientôt il forma le projet de s'emparer de deux provinces de l'est et du centre, et constituer un etat maure sur les hauts plateaux et de laisser aux français la côte algérienne. Il prit un moyen détourné pour arriver à son but : il écrivit que, grâce à lui, toute la province d'Oran était maintenant pacifiée, que l'est commençait à s'agiter ; mais qu'il engageait les généraux français à ne point s'y rendre, qu'il se chargeait de faire rentrer lui-même les tribus insurgées dans la soumission. Le général Voirol ne se laissa pas prendre à ces astucieuses propositions. Il refusa net le concours que l'émir lui offrait.
Une secte de fanatiques vint à se révolter contre Abd-el-Kader. Au lieu de favoriser les révoltés, les français prirent encore parti contre eux pour Abd-el-Kader.
Cette secte s'était soulevée en prêchant la guerre sainte. D'importants personnages étaient à la tête de la ligue, et entre autres, le frère d'Abd-el-Kader, Sidi-Mustapha, ancien caïd des Flittas. Grâce à l'énergie de l'émir, cette révolte fut vite matée.
Abd-el-Kader cherchait depuis longtemps à sortir de sa province, un incident lui en donna l'occasion. Un chéliff, nommé Hadji-Mouça, prétendait avoir trouvé le moyen d'empêcher les canons et les fusils des infidèles de partir. Le peuple ajouta foi à ses paroles. Mouça, à la tête d'importante troupes, s'empara de Médéa et de Miliana, mais Abd-el-Kader l'attaqua et le défit entièrement.
L'émir, en passant le Chéliff, avait violé les conventions. Néanmoins, vu le service qu'il venait de rendre, les français lui laissèrent établir Hadj-el-S'ahit kalifat de Medeah, et réclamer Yachour (dîme). Seulement, le comte d'Erlon, gouverneur général, envoya auprès de l'émir un officier d'état-major chargé de le tenir au courant de toutes les entreprises. L'officier ne sachant pas un mot d'arabe, ne faisait guère ombrage à Abd-el-Kader, qui lui donnait facilement le change.
Le remplacement du général Desmichels par le général Trézel fut le commencement des hostilités. Le premier soin du nouveau gouverneur fut de travailler à détacher les tribus les plus puissantes de la cause de l'émir. Les Douayers et les Smela se déclarèrent sujets de la France, sous la condition d'une protection efficace. Le comte d'Erlon refusa de sanctionner cette mesure, et Abd-el-Kader, instruit des dissentiments qui existaient entre les généraux, persécuta les tribus soumises : celles-ci s'adressent au général Trézel, qui leur répond : « la parole d'un général français est sacrée ; dans une heure, je serai au milieu de vous. »
Et sans hésiter, il sort d'Oran à la tête de deux milles hommes bien armés, le 26 juin 1835. Il livre dans la forêt de Mousa-Ismaël un brillant combat, où le colonel Oudinot trouva la mort. Les français perdirent la bataille et près de 800 hommes dont 15 officiers.
A la fin de 1835, le maréchal Clausel marcha sur Mascara à la tête de onze mille hommes. Le duc d'Orléans se distingua par sa bravoure dans cette expédition. Les troupes de l'émir, battues au Sig, à l'Abra, à la Tafna, à Idbar, se dispersèrent et le laissèrent presque seul.
Abd-el-Kader ne tarda pas à se faire de nouveaux partisans et à rappeler à lui les tribus qui l'avaient abandonné. Ayant appris le peu de succès de la première expédition de Constantine menée par les français, il crut le moment propice pour commencer les hostilités dans la province d'Oran ; il sut bientôt que le général Bugeaud devait marcher contre lui ; mais ce général, éprouvant quelques difficultés dans les moyens de transport, et voulant restreindre les hostilités à la province de Constantine, qui allait être le théâtre d'une seconde expédition, fit en 1837, avec l'émir, le traité de Tafna, qui sera par la suite source de malentendus.
Les critiques experts dirent que cette convention rendait l'émir maître de l'ancienne régence d'Alger, moins la province de Constantine ; que dans chacun des articles on le traite d'égal à égal, et on reconnaît sa souveraineté indépendante ; que la convention n'a aucune garantie, puisqu'elle repose uniquement sur le caractère moral et religieux d'Abd-el-Kader, etc., etc.
Après l'échange du traité, le général Bugeaud fit proposer une entrevue à l'émir pour le lendemain. Le rendez-vous était à neuf heures du matin, à trois lieues des bords de la Tafna. Le général y fut à neuf heures, accompagné de six bataillons d'infanterie, de dix escadrons de cavalerie et de quelques pièces de campagne. L'émir n'y vint pas à l'heure convenue. Vers deux heures, des cavaliers arabes annoncèrent qu'il avait été malade et marchait lentement que si le général s'impatientait, il pouvait pousser en avant. Les français marchèrent sans défiance plus d'une heure dans le détour d'une gorge étroite, entrecoupée de collines. Enfin le général aperçut l'armée arabe, rangée en bon ordre sur des mamelons épars. La maladie de l'émir était feinte, et le général français avait l'air d'être venu pour lui rendre hommage. Les officiers de l'escorte eurent quelques moments d'hésitation, se croyant dans un guet-apens; Bou-Amedy, chef de la tribu des Oulanahs, qui marchait au milieu d'eux, s'en aperçut et dit au général Bugeaud : " Sois tranquille, n'aie pas peur. — Je n'ai peur de rien, répondit le général, je suis accoutumé à vous voir en face. Seulement je trouve indécent que ton chef m'ait fait venir de si loin et m'ait fait attendre si longtemps. » L'émir était entouré de 150 à 200 chefs, revêtus de riches costumes et montés sur de magnifiques coursiers. Abd-el-Kader les précédait de quelques pas, guidant un beau cheval noir, merveilleusement dressé ; tantôt il l'enlevait des quatre pieds à la fois, tantôt il le faisait marcher sur les deux pieds dé derrière. Dès qu'il fut à portée de la voix, le général Bugeaud lance son cheval au galop, et arrive sur l'émir en lui tendant cavalièrement la main; celui-ci la presse fortement et lui demande des nouvelles de sa santé.
Très-bonne, et la tienne ? » répondit le général, qui met pied à terre et engage Abd-el-Kader à en faire autant. Après quelques minutes d'un entretien insignifiant : « As-tu ordonné, dit-il, de rétablir les relations commerciales à Alger et autour de toutes nos villes ?
— Non, je le ferai dès que tu m'auras rendu Tlemcen.
— Je ne puis le faire qu'avec l'approbation de mon roi.
— Combien faut-il de temps pour avoir cette approbation ?
— Il faut trois semaines.
— C'est trop long, interrompit Ben-Arrach, lieutenant de l'émir, qui s'était approché : dix à quinze jours suffisent.
— Est-ce que tu commandes à la mer ? répliqua Bugeaud.
— Nous attendrons jusqu'à ce jour, dit l'émir.
— Tu ne fais tort qu'aux tiens, répliqua Bugeaud, en les privant du commerce dont ils ont besoin. Quant à nous, nous pouvons nous en passer, puisque nous recevons par la mer tout ce qui nous est nécessaire. »
Ainsi se termina cette entrevue qui fut sans résultat, car elle avait été sans but.
Par cette convention, la France reconnaissait son autorité sur l'ensemble du beilik de l'Ouest (sauf Oran, Arzew, Mostaganem et Mazagran), sur le beilik du Titteri et sur la province d'Alger (à l'exception d'Alger, de Blida ainsi que de la plaine de la Mitidja et du Sahel algérois). Dans ces territoires, les deux tiers de l'Algérie, Abd El-Kader s'efforce d'organiser un État indépendant et souverain, sur une base religieuse, embryon de l'état algérien moderne
Le 5 mai 1839, il demanda et obtint l'appui de l'empereur du Maroc, ainsi que la concession du territoire situé entre Ouchda et la Tafna.
Il voulut annexer le Constantinois en y nommant un « khalifa ». En réaction, la France organisa l'expédition des « Portes de Fer » en octobre 1839, expédition qui fut considérée comme une violation du Traité de la Tafna. À partir de ce moment, la guerre reprit avec violence. Au mois d'octobre, dans l'ouest de la Mitidja il prend en embuscade le commandant Raffet et une centaines de soldats français; ces derniers marchent contre lui et reprennent Cherchell, Mildah, Milianah, etc.
En 1841, sous le gouvernement de Bugeaud, Mascara, Tlemcen, Borhan, Thazat, Tekdemt, Saïda et Tafraoùts tombèrent dans les mains des français. L'émir n'ayant plus ni villes, ni magasins, ni trésors, n'était plus qu'un chef dé partisans. La prise de la smala par le duc d'Aumale lui porta un coup terrible ; et, poursuivi à outrance par le général Bugeaud, il fut forcé de chercher un refuge au Maroc. Là, il sut attacher à sa cause le sultan Abd-er-Rahman. Comme marabout, il prêcha l'extermination des infidèles et souleva de nombreuses tribus marocaines ; il parvint aussi à se faire écouter par les premiers fonctionnaires de la cour de Fes, qui ne cherchaient qu'un prétexte pour déclarer la guerre aux français.
Le tournant de la guerre fut la nomination du maréchal Bugeaud comme gouverneur général de l'Algérie en 1842. Celui-ci changea complètement de tactique de l'armée française, aidée de nombreuses troupes composées d'Algériens : troupes régulières (zouaves et spahis) et corps irréguliers : les goums). Il harcela les troupes d'Abd El-Kader, en cherchant à les couper de leur base. L'émir fut refoulé sur les hauts plateaux steppiques avec sa smala, capitale ambulante estimée à 30 000 personnes.
Abd El-Kader essuya un grave revers le 16 mai 1843, avec la prise de la smala par le duc d'Aumale dans la région de Boghar. Il rassembla le reste de ses troupes, sous le nom de déïra, et se tourna vers le sultan du Maroc. Celui-ci, qui avait des visées sur l'ouest algérien, intervint mais fut défait à la bataille de l'Isly (oued près d'Oujda) le 14 août 1844.
Dans le traité de Tanger (10 septembre 1844), il fut convenu qu'Abd-el-Kader serait mis hors la loi aussi bien en Algérie que dans le Maroc. Ce traité délimita la frontière entre les deux pays.
Les français n'avaient pas oublié le guet-apens de Sidi-Brahim, où leurs soldats, commandée par le colonel Montagnac, furent égorgés sans pitié par les troupes de l'émir.
En 1845, beaucoup de tribus des Hauts-Plateaux s'étaient soumises aux Français. L'Emir vint les punir. Le Goum des Ouled Nail, sous le commandement de Si Chérif Bel Lahrech qu'Abdelkader avait nommé khalifa, prit part à ces opérations. Il alla ensuite en Kabylie où deux combats eurent lieu contre les Français en février 1846. Les Kabyles ne voulurent pas suivre l'Emir qui vint dans la région de Djelfa et la sillona en tous sens, poursuivi par les Français, mais aidé par la population. Des combats eurent lieu à Ain Kahla, à Zenina et à l'oued Boukahil.
Abd El-Kader tenta de relancer la révolte en 1847, mais échouant à rallier les tribus kabyles, il dut se réfugier au Maroc.
Le général de Lamoricière avait appris qu'Abd-el-Kader, refusant de se rendre au sultan du Maroc, s'était entendu avec ses principaux officiers pour tenter une dernière fois la fortune. Le 13 septembre, un ex-brigadier du 2° chasseurs d'Afrique qui s'était échappé de la Deïra, accourt annoncer au général que l'émir veut livrer encore un combat avant de se retirer vers le Sud avec ceux qui voudront l'y suivre.
Le 21 décembre 1847, à cinq heures, la Dêïra passe la Kiss et entre sur le territoire détenu par les français. Abd-el-Kader, seul à cheval, est en tête de l'émigration; le général Lamoricière, prévenu à temps, ordonne à deux détachements de vingt spahis choisis, revêtus de burnous blancs et commandés par les lieutenants Bou-Krauïa et Brahim, de garder le passage que devait prendre la Deïra; pour parer à tout événement, il fait prendre les armes à sa colonne et se porte sur la frontière ; il avait à peine fait une lieue et demie que des cavaliers-envoyés par Bou-Krauïa le prévinrent qu'il était en présence d'Abd-el-Kader. On vole aussitôt à son secours. Au bout de quelques instants, il rencontre Bou-Krauïa lui-même avec des hommes dévoués à Abd-el-Kader, chargés de porter sa soumission à M. de Lamoricière.
L'émir avait remis à Bou-Krauïa une feuille de papier sur laquelle il n'avait fait qu'apposer son cachet, car le vent, la pluie et la nuit l'avaient empêché d'y rien écrire. Àbd-el-Kader demandait une lettre d'aman pour lui et ceux qui l'accompagnaient.
Le général ne pouvait, pour les mêmes causes, répondre à l'émir ; mais il remit aux envoyés son sabre et le cachet du commandant Bazaïin, en leur donnant verbalement la promesse de l'aman le plus solennel.
Abd-el-Kader renvoya ses deux officiers et le lieutenant Bou-Krauïa avec une lettre dans laquelle il demandait l'aman, à condition qu'il serait conduit à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre. M. de Lamoricière y consentit par écrit.
Le 24 décembre, Abd-el-Kader fut reçu par les généraux Lamoricière et Cavaignac et le colonel Montauban, au marabout de Sidi-Brahim, théâtre de ses triomphes. On l'amena ensuite à Nemours (Dgemma-Ghazouat) devant le duc d'Aumale qui l'y attendait. Le prince ratifia la parole donnée par le général Lamoricière, en exprimant l'espoir que le roi lui donnerait sa sanction. Le gouverneur général annonça à l'émir qu'il le ferait embarquer le lendemain pour Oran, avec sa famille ; il s'y soumit sans émotion et sans répugnance. Avant de quitter le prince, Abd-el-Kader lui envoya un cheval de soumission, pour consacrer son vasselage et sa reddition.
On rapporte que, lorsqu'Abd-el-Kader remit ses armes au duc d'Aumale, le prince prit le pistolet en disant : « Ceci est pour le roi ! » puis il donna le sabre à M. de Lamoricière : « Ce sabre est pour vous, général, vous l'avez bien gagné. »
L'émir demanda avec instance la faveur de quitter Oran le plus tôt possible. On lui offrit de partir immédiatement sur la frégate à vapeur l'Asmodée, ce qu'il accepta. L'Asmodée mit à la voile emportant l'émir et sa suite, composée de 61 hommes, de 21 femmes et de 15 enfants des deux sexes, en tout 97 personnes. On y remarquait sa vieille mère, deux de ses beaux-frères, ses trois femmes et ses deux fils, dont le plus jeune avait huit ans. Parmi les femmes se trouvait une jeune française nommée Juliette, née à Arles, qui avait été faite prisonnière avec sa mère. La traversée fut mauvaise et les captifs arabes furent très fatigués. Arrivé à Toulon, Abd-el-Kader fut déposé au Lazaret, puis transféré au fort Lamalgue,puis au chateau de Pau ou il séjournera plusieurs années jusqu'au3 Novembre 1848 et qu'il quittera ensuite pour le chateau d'Amboise.Son séjour à Pau a laissé aux palois un grand souvenir et lui même a exprimé des regrets en quittant cette ville.Voici ce que l'on peut trouver sur le site de la ville de Pau qui, en cette année 2007, va célébrer les deux cents ans de la naissance d'Abdelkader.Cet homme au destin hors ligne, fondateur de la nation Algérienne, a quarante ans quand il arrive à Pau, le 29 avril 1848. Dans la diligence qui le conduit de Sète en Béarn, l'émir a ces mots pathétiques : « Je vois ces plaines verdoyantes, ces vergers, ces forêts, ces fleuves et ces rivières ; tant d'abondance ! Quel besoin ont les Français d'occuper mon Pays, de sable et de rochers ? ».
Durant toute sa captivité à Pau, du 29 avril au 3 novembre 1848, le grand guerrier ne bougera pas de ses appartements d'un château fraîchement rénové, refusant la promenade et ne quittant sa chère Smala que le soir pour aller dormir dans le donjon Fébus. « Je suis en deuil et un Arabe en deuil ne quitte pas sa tente ; je suis en deuil de ma Liberté, je ne quitterai donc pas ma chambre ».
L'image romanesque du grand chef vaincu, du patriote inflexible, attire les curieux en quête d'un frisson romanesque. A Pau, Abd el Kader ne refuse pas les visites, bien au contraire. Au cours de ces entretiens, il ne cesse de rappeler à la France son manque de parole et d'en souligner la gravité. Très vite, l'image du chef de guerre exotique cède le pas à celle d'un hôte aimé, révéré.
Au moment de partir pour Amboise, entouré d'amis palois émus aux larmes, l'émir se retourne et déclare : « En quittant Pau, je laisse un morceau de mon coeur ».

La parole de la France n'est pas tenue par les régimes et les gouvernements successifs. L'émir est retenu en captivité pendant cinq années. Dès son accession à la Présidence de la République, Louis-Napoléon Bonaparte songe à le libérer.
En janvier 1849 il organise une réunion au Palais de Saint-Cloud, le maréchal Bugeaud est présent, mais les difficultés du nouveau président avec la Chambre et son Ministre de la Guerre lui font remettre à plus tard ce qu'il considère comme une affaire d'honneur.
Ce n'est que le 16 octobre 1852, au retour d'une tournée en France que le futur Napoléon III vient annoncer solennellement sa liberté à l'émir. L'émir Abd El-Kader n'oubliera jamais ce geste. Par la suite les deux hommes se revoient régulièrement. En quelque temps, l'entente entre les deux hommes était devenue excellente.
Après avoir fait serment, de sa propre initiative, de ne plus perturber les opérations françaises en Algérie (décembre 1852), il part pour Brousse puis Damas. Il enseigne la théologie à la mosquée des Omeyyades). En juillet 1860, les troubles confessionnels du Mont Liban se sont étendus à Damas. Des musulmans et des druzes attaquèrent les quartiers chrétiens, tuant plus de trois mille habitants. L'émir intervint pour arrêter le massacre et protégea, au péril de sa vie, la communauté des quinze mille chrétiens de Damas et les Européens qui y vivaient, grâce à son influence auprès des dignitaires de la ville. Il reçut la grand-croix de la Légion d'honneur et d'autres marques de reconnaissance venant du monde entier (notamment du Pape, du Tsar de Russie, etc.). Il consacre le reste de sa vie à des œuvres de bienfaisances, à l'étude des textes scientifiques et sacrés et à la méditation jusqu'à sa mort à Damas. Ses cendres furent récupérées en 1965 et se trouvent aujourd'hui au cimetière d'El-Alia à Alger.Ce transfert des cendres a Alger a été discuté, car Abdelkader avait clairement souhaité être inhumé a Damas auprés de son maître Ibn Arabi. Il faut lire aussi ce qu'en dit Assia Djebar dans son livre: Le blanc de l'Algérie.Albin Michel 1995 Image:Dernier voyage de l'Emir Abd El-Kader






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