Algérie

«El Djazira», le nouveau cinéma égyptien


« El Djazira» (l?île) du réalisateur égyptien Charif Rifaat n?a rien à envier aux super productions hollywoodiennes. En 2 heures 8mn, ce film allie action, déploiement de grands moyens matériels et mobilisation de centaines de figurants en plus de certaines affiches du cinéma égyptien. Même sur le plan de la thématique, le film traite de questions très actuelles en rapport avec l?actualité internationale. Inspiré de faits réels, le film décrit un lieu de la haute Egypte échappant totalement au contrôle de l?Etat. Le pouvoir dans cette sorte de no man?s land, résultant d?un consensus entre différentes factions vivant sur cette île, est détenu par un patriarche, magistralement interprété par Mahmoud Yacine. L?économie de cette île est totalement basée sur la production et le commerce de l?héroïne. Bien évidemment, une telle entreprise nécessite des complicités au sein des appareils de sécurité de l?Etat. Cette complicité, qui permet à un officier ripoux de tirer des dividendes substantielles, est expliquée par la lutte contre le terrorisme. En effet, les maîtres de cette île participent à la capture ou à la liquidation des terroristes quand leur intérêt l?exige. Le film peut être considéré comme une réflexion sur le pouvoir, un pouvoir qui se situe, d?emblée, parallèle et vers la fin en opposition avec celui de l?Etat. La transmission du pouvoir du père à son fils Mansour obéira à certains rituels et surtout à des épreuves. Lors d?une fête, Mansour surprendra son jeune oncle, candidat à la succession de son frère, dans une joute avec des bâtons. Il démontrera sa pugnacité lors d?une interception par un clan ennemi d?un convoi d?héroïne. Il se mariera avec une fille issue d?une faction alliée et laissera tomber sa bien-aimée. Bref, il fait preuve de s?inscrire et de perpétuer la tradition de mise dans cette partie de l?Egypte. D?ailleurs, le film peut être appréhendé de cet angle : la cohabitation et la lutte entre la logique de l?Etat qui se veut globalisante et universelle et celle de la tribu ou du clan avec ses particularismes. Donc, avant la mort de son père, Mansour donnera toutes les garanties à son père et à sa faction d?être le successeur tout indiqué. Y compris la naissance de son bébé de sexe masculin, dans une société d?apparence patriarcale et dont les femmes interviennent dans les mécanismes du pouvoir. Mais dès l?accession du fils, les tiraillements commencent entre factions opposées. L?enterrement du père se termine par un bain de sang. Et Mansour, obligé de s?allier avec des hors-la-loi vivant dans les montagnes, doit rétablir son autorité. Ce qu?il fera avec éclat et en versant beaucoup de sang. Mais il rompra un autre équilibre établi par son prédécesseur : il refuse son soutien à un candidat aux élections et décide de se porter candidat. Dès ce moment-là, son ambition devient gênante même pour ses protecteurs tapis dans les appareils de sécurité de l?Etat. Donc, on décide de l?éliminer. Ici, on notera le rôle d?un jeune officier de police qui se fera un point d?honneur de le destituer et le remettre à la justice. Dans sa quête, ce jeune officier découvrira l?implication de ses supérieurs. Le film se termine par le meurtre de Mansour devant le tribunal où il devait comparaître. La raison ou la déraison de l?Etat qui l?emporte sur des considérations d?éthique professionnelles ou de principes généreux. De ce côté-là, le film invite à une réflexion sur ce que peut cacher la lutte contre le terrorisme dans les pays arabes. Il dévoile l?interconnexion des groupes de trafiquants de drogue et d?armes avec des secteurs de la police et du renseignement pour ou contre le terrorisme. Dans ce sens, les échanges entre le jeune officier intègre et son supérieur impliqué avec Mansour sont éloquents «qu?est-ce que tu veux de plus, le terrorisme est banni dans cette partie du pays, le tourisme continue d?affluer. Tu ne penses pas que c?est l?essentiel ?»

«El Djazira» place la barre très haut dans ce festival. Et de tout point de vue. S?arrêtant au niveau du constat et de la description, le réalisateur, qui n?est pas à son premier essai malgré son jeune âge, illustre les ambitions à l?universalité du cinéma égyptien. Malgré sa longueur, on ne s?ennuie pas dans ce film très dense où l?histoire est extrêmement enchevêtrée. La qualité de l?image est irréprochable. On peut dire autant sur la musique. Mais c?est aussi par son thème que ce film se distingue par rapport à ceux en compétition : Il pose la problématique du pouvoir et de l?Etat mais en puisant dans le réel. A voir et à revoir pour avoir un éclairage sur ce qui se passe dans plusieurs parties du monde arabe.




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