Algérie

El Biar traîne sa peine



El Biar traîne sa peine
Les jeunes veulent vivre, donc travailler, mais il n'y a pas de débouchés, pas d'opportunités.Adossé au flanc du massif qui borde la ville de Batna au sud, le village d'El Biar garde encore quelques traces de l'exotisme dont jouissaient les colons. Discrètement blotti au creux d'un vallon, il domine cependant la vallée de Oued Chaâba. Peuplé de quelque 150 familles qui vivent d'élevage d'ovins et d'agriculture vivrière, El Biar souffre du manque d'infrastructures les plus élémentaires. Auparavant, il était rattaché à la commune de Batna. Après le dernier découpage administratif, il est passé à la commune de Oued Chaâba, ex-Lambiridi. Une petite école primaire, une salle de soins et une mosquée sont amplement insuffisantes pour justifier le semi-exode qui le caractérise. En effet, beaucoup de familles ont préféré se déplacer vers la ville de Batna. «C'est surtout à cause de nos enfants qui trouvent beaucoup de difficultés à poursuivre leur scolarité. Nous revenons au village pendant les vacances», nous ont déclaré des parents venus à notre rencontre.Prolixes, ils parlaient en ch?ur et voulaient tout nous raconter. Ce sont quelque 15 personnes qui nous demandent de les suivre. Le chemin de wilaya qui relie le village à la RN 3 et le longe pour aller se perdre en haut dans la forêt, est goudronné et bien entretenu à cause, nous dit-on, du passage de temps en temps des officiels qui viennent en visite au casernement situé à l'intérieur du bois. La mosquée, petite mais imposante, est la bâtisse la plus apparente. Juste en face et curieusement, sur la dalle d'une bâtisse en parpaing, comme pour rappeler la mort certaine à tout un chacun, est exposé un cercueil. Des locaux alignés, au nombre de 10, tous fermés, construits dans le cadre du programme du président de la République, ne servent à rien, puisque, nous ont avoué nos guides, ils ne sont dotés d'aucune commodité : ni eau ni électricité ni sanitaires. En plus, «deux locaux ont été attribués à des personnes étrangères au village !» ont-ils ajouté.On se chauffe au boisDerrière la mosquée, il y a une enceinte qui sert de salle de soins. Une ambulance en panne, garée dans une petite courette, fera l'objet de plusieurs anecdotes. Entre autres, nous a-t-on raconté, pour la ramener jusque-là, ils l'ont tractée. A droite de la mosquée, l'école primaire construite avant l'indépendance a bénéficié d'une extension mais n'arrive pas à répondre convenablement aux exigences de la mission. «L'école est mal entretenue et manque de matériels pédagogiques», tenait à nous expliquer un parent d'élève. Pas loin de là, l'on voit un bassin à sec (abreuvoir) qui ne sert plus à rien aujourd'hui puisque la source qui l'alimentait s'était tarie voilà longtemps. «Avant, nous précise-t-on, on faisait paître et boire nos bêtes dans la forêt, mais depuis qu'un berger a failli mourir suite à l'explosion d'une mine, restes de la décennie noire, l'APC a pris le soin de réaliser cet abreuvoir, mais depuis que l'eau a cessé de couler, personne n'a cherché à en comprendre la ou les causes.» au fur et à mesure qu'on évoluait à l'intérieur du village des gens nous rejoignaient, et la visite prend l'allure d'une procession.Les ruelles qui traversent le village en long et en large sont en terre battue, souvent parsemée de copeaux de bois, et elle est encore molle suite aux dernières pluies. «Il y a trois jours, c'était impossible de marcher ici», révèle l'un des jeunes qui semble bien connaître les lieux. Les copeaux proviennent, bien sûr, de la coupe des troncs d'arbre ; certains, devant leur porte, s'attelaientt à préparer des bûches destinées à l'âtre, dont chaque habitation est dotée ; car ici on se chauffe au bois. «Nous payons le bois à 800 DA/la stère et 2000 DA pour le transport», nous précise-t-on. Au détour d'une ruelle, une maison effondrée a nécessité une petite halte, et tout le monde tenait à raconter l'événement : «L'effondrement de cette demeure est dû aux ondes générées par les explosions provoquées au moyen de la dynamite utilisée dans les carrières». La commune de Oued Chaâba, signale-t-on, renferme pas moins de 8 carrières qui utilisent des moyens pyrotechniques pour l'extraction de gravats, et à l'occasion on nous parle des conséquences que subit la terre. « La poussière de roche durcit au contact de l'eau et nuit à la fertilité de la terre ». D'autres conséquences causées par ces carrières et pas des moindres, c'est la fuite des sources. «El Biar signifie les sources, et notre village était très riche en ressources hydriques. Les vibrations provoquées par les explosions ont tout gâché et, maintenant, paradoxalement, nous sommes alimentés à partir du château d'eau de la nouvelle ville de Hamla (située à quelque 3 km à vol d'oiseau en contrebas, ndlr)».« Nous n'avons jamais goûté à l'indépendance ! »Les personnes qui nous accompagnent dans notre visite sont âgées entre 16 et 30 ans ; les vétérans étaient rares ; tous chez eux près du feu à cause du froid, d'autant plus que le soleil vient à de se coucher. Les rares vieilles personnes que nous avons croisées ont bizarrement eu la même remarque : «Nous n'avons jamais goûté à l'indépendance !» L'un d'eux s'attarde un moment pour nous dire : «Ce village a donné 27 de ses meilleurs fils durant la guerre de Libération. Pas moins de 27 martyrs et nous n'avons même pas un cimetière qui les honore !». Sur l'insistance de Charaf, notre guide en chef, nous sommes rentrés dans une première demeure et nous étions carrément frappés par l'aspect intérieur ! Une chambre de 3x4 m, pratiquement vide, un poste de télévision, un canapé et au coin un bidule qui ressemble à un chauffage, véritable pièce de musée. Le plafond en contreplaqué couvert de suie ne semble pas gêner les occupants.Une partie de cette suie colle au plafond et une autre est respirée par les membres de la famille qui s'entassent chaque nuit dans la même chambre. Des maisons, pour rappel, érigées en 1969 dans le cadre de la construction rurale, et les deux seules chambres ne communiquent pas entre elles. Un seul chauffage, donc, oblige tout le monde à y passer le plus clair de son temps. Une vie misérable à 3 km de Batna en 2014. Et certains de dire : «Nous regrettons d'être passés sous la coupe de Oued Chaâba. Toutes les réalisations dans notre village datent du temps où on dépendait de la commune de Batna». Les moyens de subsistance sont très durs et la plupart des jeunes sont en chômage. «Même pour l'Anem, nous dépendons de Aïn Touta, située à plus de 20 km», nous dira l'un d'eux. Un autre intervient sans avertir : «Ils ont construit un centre d'enfouissement technique et ils n'ont recruté aucune personne de notre village !». Ce centre a, pour rappel, fait l'objet dimanche d'une visite entreprise par la ministre de l'Environnement et tous les jeunes du village s'y sont rassemblés pour lui parler, «mais les gendarmes les en ont empêchés», semlon leurs mots.Charaf a tenu à nous montrer une benne à ordures posée à l'entrée du village. «Vous voyez là-bas cette benne verte. Eh bien, figurez-vous qu'il s'agit d'une mangeoire pour sangliers, et si vous patientiez encore une petite heure, vous aurez l'occasion de les voir descendre pour s'y alimenter !». Une benne qui, selon leurs explications, n'a jamais été vidée et aucun camion de collecte d'ordures ne monte jusque-là, et dire que le centre d'enfouissement est à 1 km de là. El Biar, un village qui a perdu de son mordant parce que délaissé. Nous avons quitté ces lieux sur une phrase lâchée par un jeune qui doit avoir la trentaine et qui ne cesse pas de résonner : «Pendant dix longues années de terrorisme, au lieu de fuir, nous avons pris les armes et avons défendu notre village, aujourd'hui, nous baissons les bras face au froid et au mépris des autorités.»




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