Algérie

El-Baradei, l'homme qui tombe à pic



Un dirigeant pro-américain remplacé par l'homme des Américains. Ainsi pourrait être perçu le changement en Egypte, si la campagne de protestation en cours impose M. Mohamed El-Baradei comme successeur, même à titre transitoire, de M. Hosni Moubarak à la tête de l'Etat égyptien.    L'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, désigné pour négocier le départ de M. Moubarak, semble en effet sur le point d'entamer une nouvelle carrière après celle, brillante, à l'AIEA.

 Du point de vue de ceux qui font la décision en Egypte, la promotion de M. El-Baradei au poste de chef de l'Etat serait judicieuse à plusieurs titres. Elle consacrerait un homme disposant d'une bonne image, non impliqué dans les affaires internes, et qui fait partie intégrante de l'establishment lié aux appareils militaires et de sécurité. M. El-Baradei apparaîtrait aussi comme un civil, dont la présence serait supposée contrebalancer celle, plutôt encombrante, de M. Omar Souleimane, patron des « moukhabarate » (services spéciaux) promu vice-président, et de M. Ahmed Chafik, nommé à la tête du gouvernement. Avec le verrouillage de ces postes essentiels, il devient non seulement possible de concéder la nomination d'un civil à la tête de l'Etat, mais aussi de prendre des « mesures d'accompagnement » au plan interne, avec une levée partielle du bâillon imposé à l'Egypte depuis des décennies. L'Egypte ne semble cependant guère disposée à aller plus loin. La marge de manÅ“uvre du pays est en effet si étroite, et ses moyens si limités, qu'il ne semble guère en mesure de sortir du cadre étroit qui lui est imposé. Et cette marge est fixée aussi bien par la géopolitique que par la situation économique de l'Egypte. Pour ce qui concerne les dirigeants, les Etats-Unis sont disposés à applaudir le départ de M. Hosni Moubarak. Non à cause de désaccords, ou des choix politiques contestés, mais parce que M. Moubarak constitue désormais un boulet difficile à traîner.

 Hosni Moubarak aura dirigé l'Egypte pendant les trois décennies. Autant que Nasser et Sadate réunis, lui qui apparaissait, au départ, destiné à assurer une simple transition. Pendant toute cette période, il n'a jamais fait un écart, ni pris d'initiative. Il en est resté strictement aux consensus imposés par les pesanteurs que subit le pays, des pesanteurs qui ont sérieusement handicapé l'Egypte au fil des années. Affaibli par l'âge, déconnecté du réel, géré par une cour et une famille envahissantes, M. Moubarak, comme nombre d'autres dirigeants arabes, n'a pas su décrocher à temps, et a fini son règne dans le sang et la boue.

 C'est que le décalage est énorme. Effrayant. M. Moubarak est de la génération des officiers libres et d'Oum Kalsoum. Il se retrouve confronté aux chanteurs de rap du nouveau siècle. Il a pris le pouvoir dans un pays qui comptait cinquante millions d'habitants. Il en compte aujourd'hui quatre-vingts millions. Il était général d'aviation au moment de sa prise de pouvoir, mais depuis, les avions qu'il connaissait ont disparu pour laisser place à des appareils invisibles et des drones qu'il ne connaîtra jamais.

 Son maintien au sommet du pouvoir était devenu paralysant pour le pays. Sa succession se posait avec acuité, mais on imagine bien que personne, à part Omar Souleimane, ne pouvait aborder le sujet. Fallait-il introniser son fils Djamel ? Ou bien était-il préférable de passer la main et laisser l'armée choisir un successeur consensuel ? Tant que la question n'était pas tranchée, l'Egypte était condamnée à la stagnation, voire à la régression. Et Nicolas Sarkozy, qui a confié à M. Moubarak la coprésidence de l'Union pour la Méditerranée, s'est rendu compte à quel point la force d'inertie dominante en Egypte constituait un frein à toute initiative.

 A l'inverse, M. El-Baradei bénéficie d'une tout autre image. Dynamique, connaissant à fond les dossiers de la région grâce à sa carrière au sein de l'AIEA, non impliqué dans les disputes internes, étroitement lié aux appareils sécuritaires et à l'armée, ayant montré une fidélité sans faille pour traiter les dossiers iranien et irakien, sans pour autant soulever le dossier du nucléaire israélien, il a fini par obtenir un prix Nobel de la paix, ultime consécration qui lui a ouvert tous les appétits. Son accès éventuel au pouvoir peut ouvrir les portes d'une certaine modernisation de l'Egypte, tout en garantissant la préservation des intérêts américains. En ce sens, Barack Obama ne pouvait souhaiter mieux. Cela irait d'ailleurs dans le sens de son fameux discours du Caire. Cela permettrait même d'oser un parallèle : El-Baradei serait pour l'Egypte ce qu'est Obama pour les Etats-Unis : une formidable vitrine pour un système relooké, mais sans changement de fond.

 Et c'est le peuple qui l'aura imposé !




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