Algérie

El Anka et Mrizek relégués au coin de la rue



El Anka et Mrizek relégués au coin de la rue
Place Slimane Azem à Paris, dans un quartier noble du quatorzième arrondissement. Rue Matoub Lounès dans le dix-neuvième, alors même que huit édifices portent également son nom en France. Qu'en est-il alors de l'honneur rendu aux artistes algériens, dans leur propre pays, par la grâce de la toponymie citadine ' Certes, un carrefour et une plaque commémorative à Tizi-Ouzou sont au nom du barde révolutionnaire, lâchement assassiné en Kabylie. Sinon, aucune rue, encore moins une place, et pas la moindre ruelle, passage ou même une impasse portant les noms de Matoub Lounès. Rien non plus au nom du poète fabuliste et fabuleux, Slimane Azem, mort en exil en France après avoir été l'innocente victime d'un ostracisme surréaliste et d'un bannissement cruel de son pays natal. Les cas de Slimane Azem et Matoub Lounès, deux icônes culturelles et deux légendes artistiques d'Algérie, sont deux exemples parmi tant d'autres de la politique d'exclusion, d'excommunication et de proscription qui exprime le regard des pouvoirs publics sur les artistes. Dans un moindre mal, ces derniers sont victimes de l'oubli quand ce n'est pas de la relégation dans des espaces de peu de noblesse urbaine. C'est d'ailleurs le cas de Hadj Mhamed El Anka et de Hadj Mrizek, relégués au coin de la rue, dans le quartier de La Marine à Alger. Certes, à proximité de la superbe Amirauté, mais tout de même dans des lieux indignes de leur mémoire. En tout cas pas à la hauteur de leur génie créatif au service du chaabi, qui est à Alger ce que le fado est à Lisbonne, le blues à Memphis et le jazz à la Nouvelle-Orléans. Entre deux cafés populaires, «Le Tlemssani» et le «Grand Café de La Marine», sur de simples voies de passages considérées comme des places en bonne et due forme, deux plaques commémoratives. Une pour Hadj Mhamed El Anka, l'autre pour Hadj Mrizek. Avec, pour le premier, la simple mention de «chef de file du chaabi», sans aucune mention de son lieu de naissance. Pour le second, juste l'évocation de la Casbah d'Alger comme l'endroit où il a vu le jour. Pour les deux, une effigie propre et les dates de naissance et de disparition. À part ça, rien, sauf le fait d'avoir d'autre part donné leur nom aux deux lieux censés évoquer leur mémoire. Peut-être que celui qui a décidé de baptiser un espace vague, entre deux cafés maures, du nom de Hadj Mrizek, a dû se rappeler que l'ancien vice-président du Mouloudia d'Alger, maître spirituel de El Hachemi Guerouabi, a chanté«El Qahwa walla Tay», ce fameux match de la joyeuse convivialité et des bienfaits des deux breuvages, arbitré par un juge des saveurs et immortalisé par l'artiste. «Sobhane Allah Ya Ltif», aurait chanté encore Hadj Mhamed El Anka. Le renvoi des deux pharaons du chaabi dans un ghetto urbain pourrait être paradoxalement perçu comme un moindre mal. Une exception dans une capitale où, hormis le fait d'avoir baptisé des théâtres au nom d'hommes du théâtre, on ne dénombre que la Place Mohamed Touri où se trouve le TNA. Pourtant, il y a à Alger la rue Aristote, ce qui est naturellement quelque chose de normal pour un pays qui se veut être civilisé. Il y a aussi le boulevard Cervantès. Du nom de Miguel de Cervantès Saavedra l'illustre romancier, poète et dramaturge espagnol. Encore heureux, car l'auteur du célèbre L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, publié en 1605 et reconnu comme le premier roman moderne, a séjourné comme esclave à Alger, sous la Régence ottomane. Ah, il y a aussi des rues pour Shakespeare, Pasteur, Victor Hugo et Tolstoï et un chemin Zyrieb, appellations qui ont miraculeusement survécu à la furieuse volonté de l'administration algérienne d'algérianiser et d'arabiser les lieux et les rues après la colonisation. On a de même un boulevard Che Guevara, ce qui est normal pour un ancien pays dit révolutionnaire et une rue Franklin Roosevelt, du nom du fameux président des Etats-Unis qui a gouverné son pays dans un fauteuil roulant. Fort heureusement, quelqu'un, quelque part dans la déroutante administration, a décidé de garder, en l'état du nom, la rue Marcello Fabbri, le célèbre écrivain et philosophe Pied-noir, un des leaders du courant algérianiste de la littérature française, avec Albert Camus, Emanuel Roblès et Gabriel Audisio. Mais allez savoir tout de même pourquoi on a encore des rues aux noms de colons inconnus comme Rouge Louis, Thibaudier, Gaspard Prony ' «Ach énnwassi ya rabbi '», aurait enfin chanté Hadj Mhamed El Anka.N. K.




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