Le fait qu'aucune
université algérienne ne figure parmi les 500 meilleures à travers le monde
dans le classement dont a rendu compte la presse mondiale au début de l'année
universitaire, a semé une sorte de panique générale parmi l'intelligentsia
algérienne.
Aussi nombre
d'intellectuels, à droite comme à gauche, se sont-ils mis à décortiquer la situation
de l'université algérienne afin, d'une part, trouver les racines du mal qui la
ronge et, d'autre part, proposer des solutions pour la sortir de la crise.
Débat.
LA
GESTION DE L'UNIVERSITE : LE TOUT ADMINISTRATIF
Visiblement,
comme l'a souligné la majorité de ceux qui sont intervenus sur la question,
l'université algérienne souffre d'abord d'un problème de gestion. En effet, le
principe de la primauté de l'administratif sur le scientifique consacré par les
autorités officielles oblige, pratiquement tous les responsables de toutes les
universités ainsi que les doyens des facultés et les chefs de départements, aux
âmes boiteuses de surcroit, sont cooptés et nommés
non pas en fonction de leur compétence dans le domaine de la gestion mais pour
leur allégeance toute nette au « chef ». Cette façon de faire donne naissance à
des disfonctionnements à tous les niveaux : l'orientation, la gestion des flux
d'étudiants, la répartition des horaires de travail, l'organisation des
séminaires et des colloques, etc., lesquels disfonctionnements sèment un climat
d'anarchie générale foncièrement défavorable à tout exercice de l'esprit.
Pourtant, les « lumièristes » du XVII et XVIII
siècles sont catégoriques sur ce point : « les âmes boiteuses sont inaptes à
l'exercice de l'esprit ». Par ailleurs, le problème de la gestion se pose aussi
au niveau des relations, au sens humain, entre les responsables et les
enseignants et étudiants. Celles-ci, entendu les relations, sont en fait très
rigides. Un enseignant, maitre de conférence classe A
nous a confié avoir demandé, en guise de protestation, à l'ancien recteur de
l'université de Tizi-Ouzou s'il était « un procureur » tant ce dernier n'arrête
pas, dans pratiquement toutes les situations, de triturer le mot « textes. Il
faut comprendre par là qu'il n'y a pas de place pour la bonhomie et le dialogue
sympathique. Les termes de toute communication entre responsables et
enseignants sont définis selon la seule logique du « tout administratif ».
L'UNIVERSITE ET
L'ECONOMIE : LE TOURISME BON MARCHE
Quelle jonction
opérer entre l'université et l'économie ? Au préalable, la réponse peut paraitre simple : il s'agit de former selon les besoins du
marché national du travail. Cependant, une mise en marche d'une entreprise de
ce genre, à savoir la formation selon les besoins du marché, est conditionnée
par la disponibilité de plusieurs éléments. Premièrement, une étude très
rigoureuse des besoins, à court, à moyen et à long terme du marché du travail
algérien. Sur ce point, il est constatable que l'Algérie se soucie, jusqu'à
présent, non pas de satisfaire les besoins de son économie en matière de
main-d'Å“uvre qualifiée et de cadres bien formés, mais de donner, à l'extérieur,
l'image d'un pays qui forme autant de diplômés que l'Espagne, la Pologne, le Portugal, la Tchèque, etc. Aussi
la gestion des flux d'étudiants, des dizaines de milliers annuellement,
est-elle fondée sur la seule logique statistique comme si l'université
algérienne était un complexe touristique par lequel transitent des étudiants-touristes ne nourrissant ni ambition, ni passion
pour la science. Il n'est pas rare d'ailleurs d'entendre le ministre de
l'Enseignement supérieur se réjouir de l'importance du nombre d'étudiants
qu'accueille l'université algérienne et des diplômés qu'elle forme annuellement
sans se soucier le moins du monde ni de la qualité de la formation qu'ils
reçoivent, ni non plus de ce qui les attend une fois sur le marché du travail.
Deuxièmement, la démocratisation de l'école et des études universitaires, entraînant
une mobilisation massive des ressources humaines nationales, allait être au
départ salutaire pour le pays compte tenu des besoins en la matière de
l'économie nationale marquée à l'époque par une politique d'industrialisation
effective et le souci constant pour le transfert des technologies. C'était
l'ère des « mégaprojets » dont gardent les Algériens, jusqu'au jour
d'aujourd'hui, le bon vieux souvenir. Cependant, cette démocratisation, à long
terme, s'est avérée très préjudiciable pour le pays car, tout simplement, il y
avait de plus en plus de diplômés et de moins en moins de postes d'emploi,
notamment suite à l'échec de la politique des « industries industrialisantes».
Faut-il faire marche arrière ? Le contexte ne s'y apprêtait pas tant les demandes
de scolarisation allant en croissant. De plus, bien des intellectuels, souvent
des plus en vue, se sont opposés à une éventuelle remise en cause du caractère
démocratique de l'enseignement. On retient tout particulièrement la position du
PAGS qui, dans une déclaration datée du 19 juillet 1988 dont certains fragments
sont repris par Abed Charef
dans son livre Octobre, a vivement critiqué « la priorité absolue » que le FLN
accordait à l'enseignement de qualité et s'est demandé si cela ne signifiait
pas « exclure de l'école davantage de fils du peuple »1. Quoique, d'un point de
vue principiel, la position du PAGS vaille un sens, il est tout de même très
difficile, voire impossible de concilier, sur le terrain, enseignement de masse
et enseignement de qualité d'autant plus que, objectivement, l'économie
algérienne étant en faillite, les besoins se faisaient sentir plus dans
l'agriculture, le bâtiment, les métiers artisanaux, etc.
Le Gouvernement, sous la conduite du FLN, n'a
donc pas fait marche arrière et le manque de débouchés professionnels, résultat
direct de la politique de formation de masse, au fil du temps, a fini par
démotiver nombre d'étudiants, quelques fois parmi les meilleurs. A présent, la
même logique ne fait que s'affirmer davantage avec, notamment, ce qu'on appelle
« le bac politique ». Troisièmement, pour que la jonction entre l'économie et
l'université soit effective, il est impératif de désengorger cette dernière
d'une part, en limitant l'accès à l'université à travers le durcissement des conditions
d'admission et en formant dans les seuls domaines où les besoins se font
manifestement sentir, d'autre part, en encouragent la formation professionnelle
de sorte qu'elle devienne, au même titre que l'université, un secteur
stratégique. Les premiers pas à faire consistent en :
-La révision du
budget alloué à l'Education, la
Formation et l'Enseignement supérieur en privilégiant la
formation professionnelle afin de doter le secteur de plus de moyens matériels
et humains. Ainsi, il ne s'agit pas de débloquer un budget supplémentaire. Il
est juste question de réorienter celui déjà existant au profit de la Formation
professionnelle.
- L'ouverture de nouveaux centres de formation
professionnelle au niveau de toutes les communes du pays afin de les rendre
plus facilement accessible à la majorité des personnes, hommes et femmes,
désireuses de se former dans quelque domaine que ce soit.
- La diversification des formations et la mise
à jour des programmes d'enseignement en les mettant au diapason des nouvelles
donnes économiques marquées par un intérêt de plus en plus croissant pour les
technologies de l'information et de la communication.
-La formation des formateurs à travers
l'organisation permanente de séminaires à leur profit ainsi que les
financements de stages à l'étranger, lesquels stages devraient sans conteste
être capitalisés sous forme de mémoires et/ou de thèses.
- La construction de passerelles avec le monde
du travail. Ceci est plus facile que s'agissant de l'université dans la mesure
où les données sont actuellement disponibles et que, par conséquent, il est
possible d'élaborer un cahier des besoins du marché en main-d'Å“uvre qualifiée
d'une façon exhaustive avant même de mettre en marche le projet. Autrement dit,
il n'y a pas de crise à gérer dans le secteur de la formation.
EDUCATION
NATIONALE-ENSEIGNEMENT SUPERIEUR: LES REUSSITES ABUSIVES
Selon les règles
en vigueur actuellement, pour accéder à l'université, il suffit d'avoir son
bac. Ceci implique que tous les bacheliers capitalisent un certain nombre de
compétences, scientifiques et linguistiques, leur permettant de poursuivre des
études supérieures dans un domaine donné. Or, ce que tout le monde constate sur
le terrain et que certains universitaires crient constamment au grand jour est
que les nouveaux bacheliers ne disposent même pas du minimum requis pour
assimiler les programmes enseignés. Il est vrai que dans plus de 50%, ces
derniers sont mal orientés, ce qui entraine
logiquement des répercussions négatives sur eux. Néanmoins même ceux ayant été
orientés selon leurs propres choix enregistrent des retards flagrants. Comment
sont-ils arrivés ici ? S'interrogent légitimement certains universitaires.
C'est que, malheureusement, il s'agit de réussites abusives et les acteurs de
ces abus sont aussi bien les parents d'élèves, les enseignants, les adjoints de
l'Education, les administrateurs des écoles et les hauts responsables du
ministère de l'Education, y compris le ministre. En effet, tout ce fait, depuis
le primaire jusqu'au secondaire, de sorte que le plus faible réussisse.
Scandaleux. On se souvient tous de M. Hiberlin, ce «
méchant » directeur qui renvoya Krim Belkacem définitivement de l'école parce que, malade
pourtant, celui-ci s'était absenté trois jours. « Ma décision est irrévocable
», tranche M. Hiberlin, provoquant un séisme dans le
cÅ“ur du petit Krim2. On nous dirait que c'est « une ignoble ségrégation »
commise par un colonialiste ? D'accord ! Mais qui oserait nous dire que c'est
du bon sens que de laisser entrer en classe un élève qui arrive tous les jours
en retard et qui, sur une simple présentation d'un « certificat médical », est
réadmis après des semaines d'absence ? Personne peut-être mais ceci est un fait
récurent dans les écoles algériennes.
Par ailleurs, un autre abus, plus grave, est à
signaler : il s'agit du « copiage ». Ce ne serait pas de la mauvaise foi que de
dire que cette pratique est encouragée tant par les enseignants que par les
responsables administratifs. A maintes reprises, en effet, des cas de copiage ont
été signalés preuve à l'appui dans plusieurs établissements scolaires, mais
leurs auteurs n'ont jamais été punis ni d'une façon, n'i d'une autre, hormis
quelques banales réprimandes de temps à autre. Cette impunité, à la longue, a
considérablement contribué à la banalisation du copiage qui, pourtant, relève
de la plus vive atteinte à la morale éducative. Le résultat est que,
aujourd'hui, nous avons un bon nombre d'élèves qui réussissent leur cursus
scolaire grâce au « copiage » et c'est du niveau de ceux-là que se plaignent
les universitaires. Cependant, les « réussites abusives » dont on parle ne
touchent pas seulement le système éducatif. Elles sont légion même à
l'université. Exemple : en troisième LMD, dans le département d'informatique,
l'ensemble des coefficients des huit modules étudiés est du nombre de 40 : le
coefficient du seul mémoire de fin d'étude est 20. Quand on sait que 1/100 des
mémoires seulement est le fruit d'une recherche faite par un étudiant, les
autres étant « piqués », comment peut-on expliquer le fait que des notes soient
distribuées à tort et à travers dans le cadre de l'évaluation de ces mémoires,
lesquels mémoires sont censés pourtant refléter de la façon la plus objective
le niveau de ces derniers ? Scandaleux. En offrant ainsi, en toute bonne
conscience parait-il, des diplômes à des étudiants qui ne les méritent pas, les
enseignants-encadreurs contribuent activement à la
promotion de la médiocrité et la consécration de la notion « des réussites
abusives» comme valeur fondamentale du système universitaire algérien. Ce n'est
pas seulement l'université algérienne qui est mise en jeu mais c'est l'Algérie.
Et pour parer à tout éventuel recommencement de l'échec, il faut que notre
quête du changement soit avant tout une « quête de la rigueur ».
*PES et
journaliste
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Posté Le : 01/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ingrachen Amar*
Source : www.lequotidien-oran.com