Le réalisateur et scénariste talentueux qui n'est plus à présenter, Ali Beloud, et qui a un long parcours cinématographique d'une quarantaine d'années, et plus connu ces dernières années pour ses films documentaires sur l'Histoire de l'Algérie et les conditions dans lesquelles est née la guerre de Libération nationale, a, semble-t-il, trouvé la bonne recette : «Si les spectateurs ne vont pas au cinéma, c'est au cinéma d'aller vers eux !» Il présente ses films d'Histoire, bénévolement, dans les établissements scolaires pour intéresser les générations montantes à leur glorieuse Histoire. Rencontré lors d'une de ces «projections pédagogiques » de son dernier film intitulé Au commencement de Novembre (ou l'Héritage), il consent à répondre à nos questions et à «faire l'autopsie de son film».- Le film que nous venons de voir est une immense fresque remarquable à plus d'un titre, mais ne pensez-vous pas que, sur le plan technique, il est déroutant pour le spectateur néophyte 'Le film, sur le plan technique, agit sur le spectateur à coups de flash-back, avec des séquences solidement attachées entre elles par des liens tellement fins, tellement subtils qu'il est impossible de ne pas y voir la main délicate d'une équipe de professionnels de l'information audiovisuelle rompue à l'art de la rhétorique, mêlant efficacement matière historique et savoir-faire technique avec un professionnalisme évident.Flash-back permanents, montages parallèles soufflant le chaud et le froid, transition subtile, presque imperceptible pour un néophyte, ellipses délicates, tout y passe. Je ne pense pas que le film est si déroutant que vous le dites, même pour un novice. Dans une discussion entre Algériens, il n'y a jamais de linéarité. Le respect de la chronologie n'est pas de nos traditions. Si Kateb Yacine avait produit Nedjma avec les normes européennes, il n'y aurait jamais eu ce chef-d'?uvre.- Expliquez-vous...L'Histoire peut se raconter avec les techniques nouvelles de l'écriture cinématographique, mais surtout avec notre personnalité propre. Celui qui ne prend pas cet aspect va souffrir de plus en plus de solitude, car l'Art avance, et très vite. Les Algériens ont une façon unique de s'exprimer : ils partent d'un thème à l'autre pour aboutir à un résultat, en apparence provisoire, puis reviennent au sujet principal, et ainsi de suite, de sorte qu'après un moment il y a échange, mais dans un type de discours aux structures complètement inconnues par les autres peuples. Ils avancent comme dans une spirale, revenant sans cesse au même point, mais sur une position qualitativement supérieure.C'est une sorte d'escalier en colimaçon qui tourne et avance comme une vrille dans de la matière. L'Algérien est un didacticien qui s'ignore superbement et, de plus, il s'en contrebalance royalement ! Pour revenir au film, il ne faut pas avoir peur d'inventer de nouvelles techniques du discours.- Le film commence et se termine avec la chanson populaire S'hab el baroud ;pourquoi 'Je voulais (et puisque je pouvais le faire, pourquoi pas ') rendre hommage au grand poète méconnu, Houari Hennani, qui a écrit les paroles de cette chanson, en 1931. Tout le monde pense, en écoutant le tube homonyme du raï, que le parolier a fait une chanson à l'eau de rose, alors que le texte est terriblement révolutionnaire. Je pense y être arrivé. En écoutant les vers «Balaki ma djich wanti âandek el djich, esmek el houria, âaziza âalya?», on se rend compte que S'hab el baroud appelle tout simplement à la Révolution.- Les paroles de ce poème ancien 'Il y a des gens qui apprennent ce genre de choses par c?ur, des gens que j'aime beaucoup et qu'on devrait honorer. La chanson a été écrite en 1931 pour contrer deux choses : le luxe insultant du centenaire (1830-1930), la suffisance de la colonisation, et, en second lieu, l'exposition universelle de 1931 qui a exposé des hommes et des femmes, y compris des Algériens, dans un cirque humain.- Vous avez eu recours à des dessinateurs et à des peintres pour certaines scènes. Pourquoi 'Oui, j'ai réussi à dénicher des photos. Les images, très petites, n'étaient pas exploitables ; j'ai donc demandé à des peintres et à des dessinateurs des beaux-arts de les reproduire. La photo de Abdelkader Hadj Ali, l'initiateur de Messali et membre créateur de l'Etoile Nord-Africaine a été trouvé dans le journal L'Humanité de 1924. J'ai fait la même chose pour Mahmoud Ben Lakhal, Imache et d'autres encore.Les caricatures dessinées par Ho Chi Minh, collègue de Hadj Ali au journal Le Paria, ont également été reproduites par de jeunes artistes. Il y avait aussi des caricatures des XIXe et XXe siècles provenant de Russie, des USA, d'Angleterre et même du Japon. La caricature est un excellent moyen pour fixer toutes ces informations dans la mémoire.- Ce film est excellent, mais il y manque certaines choses que vous n'avez pas abordées...Un film sur l'Histoire n'est pas un livre qu'on peut allonger ou raccourcir à volonté. Le choix se porte sur un certain nombre d'événements solidaires entre eux, pour pouvoir donner une vision globale de la période étudiée.D'autre part, vous ne pouvez pas parler d'Histoire à quelqu'un qui n'a pas les clés de cette science. Je m'intéresse surtout aux collégiens, aux lycéens, aux étudiants et à leurs professeurs, parce que nous sommes vraiment en retard sur l'utilisation des outils pédagogiques modernes. Il faut faire un choix et foncer, on a trop de retard ! De plus, il y a une demande réelle. Ecoutez le peuple, il réclame son Histoire.- Et cette difficulté?Ecoutez? J'ai l'habitude de dire aux jeunes : «Il vaut mieux retenir 10% d'un film historique que 95% d'un film sur l'espionnage américain dans lequel le héros yankee est toujours vainqueur de l'Arabe.»
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Posté Le : 10/12/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mohammed Rahmani
Source : www.elwatan.com