«S'il y a quelque
chose de plus poignant qu'un corps agonisant faute de pain, c'est une âme qui
meurt de la faim de lumière.» (Victor Hugo) Depuis des décennies, l'école
algérienne ne gravite qu'autour du pouvoir d'achat de l'enseignant et des
réformes qui sortent et qui disparaissent à coups de magie du chapeau d'un
ministre de l'éducation.
L'éternelle
recette : alléger le programme et donner plus de temps libre à l'élève. C'est
du déjà-vu déjà utilisé et déjà déçu. L'arabisation de l'école s'était faite
avec des enseignants souvent non diplômés et maitrisant
mal l'arabe classique. Les difficultés se posèrent plus pour l'enseignant que
pour l'élève. On décida d'ajuster le programme aux capacités du premier. Ce
coup de scalpel aggrava encore plus la santé du «malade». Pour y remédier on
changea carrément de toubib, de l'école Moyenne on passa à l'école
Fondamentale. Là, il fallait tout chambouler et tout chamboula. Cette méthode
dite fondamentale a été conçue dans les années 60 par l'UNESCO, elle n'a réussi
à séduire que quelques pays : Cuba, les pays scandinaves et l'ex RDA. Seule
cette dernière a réussi l'expérience grâce à sa puissance industrielle, l'aide
soviétique et le niveau d'instruction de son peuple.
Rien à l'horizon
D'après un
rapport de l'INRE (institut national de recherche en
éducation) et l'UNICEF, de 1963 à 2000, 11 millions d'élèves ont été expulsés
de l'école sur les 21 millions inscrits. Nous n'avons à peine qu'un malheureux
million de bacheliers. Sur 100 élèves inscrits en première année fondamentale,
2 auront le bac dont l'un est redoublant avec des cours payants à l'appui. Ces
deux là feront 10 ans de fac en moyenne alors que la norme internationale est
de 5 seulement. D'après les scientifiques 1 bébé sur 50 est doué. Si on se
réfère aux résultats, l'école algérienne n'a rien donné à ce petit génie, au
contraire, elle a détruit ses capacités naturelles. Quant aux adultes, sur 5,8
millions de fonctionnaires seul 1 /6 sait à peine lire et écrire. (Liberté
7/2/2001) Le rapport souligne les raisons de cet échec de l'école algérienne :
une division en trois courants. Le courant panarabe issu du congrès du Caire,
le courant religieux avec l'apport massif des coopérants du Moyen-Orient et le
courant humaniste qui est resté à l'ombre critiquant de loin. Il est curieux de
constater que les conservateurs sont les moudjahidin qui ont lutté aux
frontières ou se sont exilés dans des pays arabes pour étudier alors que les
francophones bilingues sont ceux qui ont pris le maquis et donc n'ont connu que
l'école coloniale ou les universités occidentales. On constate aussi que c'est
les francophones qui se sont chargés de la traduction des livres pour préparer
l'arabisation. De 2000 à nos jours, est-ce que la sÅ“ur Jeanne a vu quelque
chose venir à l'horizon ? Niet. Il suffit de lire le récent classement de nos
universités pour s'en convaincre. Malgré le chapelet de reformes et l'abandon
du fondamental pour le moyen, le recul ne s'essouffle pas. Avant on était
classé juste avant l'Arabie Saoudite et le Soudan, maintenant le niveau
universitaire de la première a dépassé le notre. On arrive à se demander si nos
enfants sont devenus tous des attardés mentaux ou bien y-a-t-il
une malédiction qui nous poursuit.
Intégrisme et
démocratie
Le sinistre de
l'école algérienne, tout le monde en est convaincu de la base de la pyramide au
sommet. Dans le discours présidentiel, dans l'octroi de bourses à l'étranger
pour les lauréats du bac, dans l'envoi des enfants de la Nomenklatura vers
d'autres lieux du savoir, la fuite des cerveaux, l'ampleur du soutien scolaire,
la valeur réelle et supposée des diplômes. Malgré tout, l' «attrait» des
politiciens pour cette vulnérable forteresse ne s'est jamais démenti (le FLN et
ses constantes nationales, la mainmise sur l'école du FIS dès le début de son
avènement, Hitler et sa jeunesse hitlérienne…). Moncef
Mazouki écrit : «Les épopées de libération mentales
qu'il s'agisse de celles d'Ibn Arabi ou de Hallaj, d'Ibn El Mougafaa, d'Averoes, elle se jouera entre intégrisme et démocratie et
nulle part ailleurs.» Une école moderne représente une menace pour toute
dictature archaïque. Ben Ali dans son exil doré en Arabie Saoudite doit se
mordre la cervelle d'avoir dès 1989 réformé en
profondeur son système éducatif qui était cloné au système éducatif algérien.
Son ancien ministre de l'éducation Mohamed Cherfi
avait affirmé à l'époque : «Avant 1989, c'était l'endoctrinement, soit
islamiste, soit arabiste…il faut enseigner la pléiade d'auteurs musulmans
réformistes qu'on a bannis exclus tels Taha Hussein,
Ahmed Amine, Ibn Khaldoun, cesser de déformer
l'histoire…une mise à niveau de l'enseignement n'est possible que s'il y a une
volonté politique…»( Ecole à la tunisienne, El Watan)
On vous dira que les résultats sont là avec le nombre de médecins d'ingénieurs
d'avocats et autres diplômés qui sortent de l'université comme du pain doré du
four. «Les écoles permettent à ceux qui ont pris un bon départ de justifier
rationnellement leur réussite.» disait le grand philosophe humaniste le Dr Ivan
Illich. Prenons juste comme exemple la médecine qui draine vers elle la crème
de notre progéniture. Nos toubibs qui s'expatrient recommencent leurs études à
zéro ou avec de la chance décroche un boulot d'infirmier. Ils sont bien
nombreuses ces blouses blanches rétrogradées. En 2006, selon l'INSEE (institut
national de la statistique et des études économiques français) sur 10000
médecins étrangers en France, plus de 7000 sont Algériens dont 2000 dans la
région parisienne. Kateb Yacine, Mouloud Faraoun, Assia Djebar, Mohamed Dib, Rachid
Mimouni et bien d'autres poids lourds de notre
littérature nationale, issus de parents en général analphabètes de condition
modeste, nous démontrent qu'un indigène peut réussir haut la main à l'école de
l'occupant dont le programme était réputée l'un des plus difficiles au monde.
La lumière peut-elle jaillir d'un programme allégé et d'une récréation
prolongée ? La logique veut que ces deux là ne cohabitent pas ensemble.
Imaginons un chef d'entreprise disant à ses employés : vous aurez moins de
boulot et plus de congé. On pensera tout de suite au chômage partiel, à une
fermeture à venir, une délocalisation programmée. Mais si le directeur a pris
le soin d'acheter un robot sophistiqué pour réduire la pénibilité du boulot
afin que ses travailleurs puissent utiliser leur matière grise d'une façon plus
rentable, on applaudit avec mille mains. Avec cette reforme de trop, les élèves
auront plus de temps pour la rue, pour la télé, pour nous «emmerder» un peu
plus qu'avant. Car ils sont nombreux les petites têtes frisées même pour leur
maman. «Le temps libre en soi n'est pas une valeur. Son unique valeur est de
permettre la production éventuelle de nouvelles valeurs.» (Roger Sue)
L'enseignant,
même avec un salaire de député…
Dans l'école
d'avant, malgré son zéro temps libre son programme abyssale, l'enfant studieux
trouvait toutes les universités du monde à sa disposition. En ce temps là,
c'est lui qui était le centre d'intérêt pas la popularité d'un officiel ou le
nombre de chiffres d'une paie. On peut offrir le salaire d'un député à
l'enseignant au médecin, au mieux on aura un système éducatif, médical, à
l'image de l'APN, notre assemblée populaire
nationale. Première puissance européenne, l'Allemagne, où les salaires sont
figés depuis des années, a un programme scolaire souple et les après-midi
libres. Mais le ministre de l'éducation allemand est dépourvu de toutes
constantes nationales religieuses politiques, zéro ego à ménager. Un simple
directeur, amoureux de Molière, a déclassé la langue germanique au profit de
langue française, l'ennemi numéro 1 des deux guerres mondiales. Pendant ses
récréations, l'enfant allemand a le choix entre le
sport le théâtre la musique la lecture le bricolage... L'élu comme le parent
ont veillé à débourser l'argent et l'effort nécessaires pour mettre le plus de
chances de son côté. A voir une Angela Merckel, l'avenir de l'élève germanique est bien assuré. Il
parait qu'elle conduit elle-même sa voiture s'arrête au stop rentre chez elle
pour préparer la soupe et en plus, à son look, on est sûr qu'elle coûte moins
cher au budget de son pays que n'importe quelle starlette de notre Unique. Le
problème de notre école c'est l'absence de l'enfant. Aucune trace dans le
programme dans les directives dans les réformes dans les circulaires dans les
grèves dans les classes dans l'architecture dans la dimension de la cour dans
la couleur de la blouse du poids du cartable dans les sujets des examens la
qualité et contenu des livres. Nulle part on ne recèle un quelconque intérêt
pour ce petit «orphelin». Le problème de l'école algérienne c'est qu'elle
fonctionne sans l'élève. On gère cette institution d'une façon esclavagiste.
Cette violence se traduit par le nombre de terroristes de délinquants de harraga de drogués de prostituées de suicides de névrosés
de zombies sans départ d'émigrés sans retour.
élève robot
Dans son livre
«L'école algérienne d'Ibn Badis à Pavlov» M. Boudalia Griffou parle de rupture
de plusieurs ruptures méthodologiques successives qui ont fait de l'élève un
robot doublé d'un handicapé. «Si on définit l'intelligence comme la faculté
d'apprendre des choses nouvelles, de trouver des solutions à des problèmes se
présentant pour la première fois, qui donc est plus intelligent que l'enfant ?
(Michel Tournier). Quelle perte ! De nos jours, on est convaincu que les
performances d'une économie sont liées à celles de l'école. L'homme reste au
centre de n'importe quelle richesse. Le facteur humain est nécessaire et
suffisant. On le voit avec la
Chine, la
Corée du Sud, le Japon, des pays sans baraka naturelle, en
quelques décennies à peine, ils sont arrivés à sortir du gouffre en édifiant
des systèmes éducatifs qui forcent l'admiration. Tous les observateurs parlent
de notre système éducatif comme un non-système :
dépréciation du capital humain qui amène une exclusion sociale de l'école et
une sous valorisation de tout diplôme qu'elle délivre. Bachelard a écrit dans
son livre La Formation
de l'esprit scientifique : «La Société sera faite pour l'Ecole et non pas
l'Ecole pour la Société.» Tant que notre école ressemblera à un
«camp de concentration», l'enfant rêvera inlassablement de s'en échapper.
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Posté Le : 22/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mimi Massiva
Source : www.lequotidien-oran.com