Algérie

Ecole, hirak: Chassez la violence...


La scène de violence subie par une employée d'un établissement scolaire à Blida interpelle toute la société algérienne sur la gravité des situations délétères récurrentes auxquelles politiques et intellectuels trouvent toujours des circonstances atténuantes.La scène est choquante, désolan-te. Qu'elle soit surveillante, conseillère pédagogique ou enseignante, la personne a été agressée, en plein jour, par des élèves censés être initiés à l'éducation en premier et ensuite au savoir. L'intitulé de sa tutelle, le ministère de l'Education nationale, démontre que les élèves doivent apprendre «le vivre ensemble» dès leur jeune âge. Rappeler la scène noue les tripes. Mais il s'agit bien d'une jeune femme sortie d'une école primaire dans la région de Blida, sur laquelle des élèves ont jeté de la farine. Face à cette agression qui a été filmée et postée sur les réseaux sociaux, la jeune femme ne s'est même pas arrêtée pour fustiger ses agresseurs. Elle a juste essayé de se débarrasser de la farine qu'elle avait reçue sur ses cheveux et ses vêtements. Dans cet acte abject, il y a plusieurs délits.
En premier, des élèves qui chahutent, agressent et insultent une des employés de l'établissement d'où ils sont sortis. Il y a celui qui filmait la scène, qui doit avoir commandité l'agression ou tout moins en être complice. L'acte de s'en prendre à une citoyenne. Ceux des passants qui n'ont pas réagi. Des politiques se sont contentés de lancer comme toujours que «c'est un phénomène étranger à notre société (dhahira dakhila aala moujtamaiina).» Pourtant, tous ces délits sont commis dans notre pays. Ils sont bien nés chez nous, entretenus et très souvent encouragés par la grande majorité des Algériens. Les exceptions ne seraient que des cas qui confirmeraient, éventuellement, la règle. La société algérienne a toujours évolué dans le masochisme qui trouve son essence dans un mélange absurde entre la (fausse) religion, les traditions et les habitudes.
La naissance d'un garçon est bien accueillie contrairement à celle d'une fille. Au sein même d'une famille, le garçon devient machiste dès son très jeune âge et ce, avec la bénédiction de ses parents. Il insulte sa s?ur, l'empêche de sortir et la maltraite même.
Cette violence ancestrale
L'on constate, de tout temps, que les parents encouragent leurs enfants à frapper ceux qui les ont frappés. Des enfants de pas plus de dix ans insultent très souvent des femmes au volant, d'autres qui font leur footing ou marchent calmement dans un jardin. Ces comportements violents n'ont jamais dérangé personne. Interrogés sur le pourquoi du comment de la scène de l'agression à Blida, des psychologues l'ont justifiée par le fait que les élèves sont stressés, accablés par une école qui a tenté de réformer l'enseignement mais pas l'enseignant et l'élève. Ce n'est pas la première explication «scientifique» du genre. L'Algérie, faut-il le rappeler aux consciences qui disent de «selmia ! selmia ! » du ‘hirak' que c'est une tradition ancestrale, a vécu les pires violences durant les années 90. Des assassinats à n'en pas finir, du sang dans les quartiers, les villes et les villages. Ce sont des Algériens qui tuaient d'autres Algériens avec les pires façons. Une société ne peut changer de peuple en quelques années. Ce sont donc ces mêmes Algériens qui vivaient durant les années 90, qui sortent tous les vendredis pour participer à des marches «pacifiques». Des marches qui ne nous ressemblent pas, qui nous sortent de notre quotidien violent et arrogant, le temps de quelques heures d'un vendredi. Chassez le naturel, il revient au galop, au cours de la semaine, les Algériens se disputent, s'insultent, en arrivent très souvent aux mains ; jettent leurs poubelles sur les trottoirs de leurs propres quartiers, klaxonnent et parlent à voix haute à des heures indues de la nuit. Partis politiques et citoyens en donnent la preuve que la violence vit et grandit en nous, au sein de la société, à travers l'ensemble du pays. A ce jour, aucun psychologue n'a examiné les comportements criminels qui ont endeuillé le pays. L'on se rappelle ce «morceau» de charbon que tenait un policier dans ses mains en nous demandant «est-ce vous savez ce que c'est '». C'était le jour où El Raïs, ce quartier dans la périphérie Est d'Alger dont les habitants ont été égorgés un soir de l'année 97. «Ce morceau de charbon est un bébé de deux mois sorti d'un four», nous a fait savoir le policier qui déposait les corps sans vie à même le sol au cimetière d'El Alia.
L'arrogance et la suffisance en plus
«Fela ! Toi aussi tu a été égorgée '», s'est exclamé un grand-père à la vue de sa petite fille de deux ans qui avait le cou tranché à coup de hache, tout autant que dix personnes de sa famille. A ce jour, nous n'avons jamais su pourquoi toute cette violence, tout cet acharnement d'Algériens contre Algériens. Les premières explications ont été que ceux qui tuaient étaient sous l'effet de la drogue. Ceux des Etats qui ont voulu enfoncer le pays dans son désastre par le fameux «qui tue qui ' » n'ont pas non plus aidé à en comprendre les causes. Evoquer la violence dans un contexte politique, ou l'expliquer par un «psychologiquement correct» n'aide en rien à en connaître les origines, les causes et les conséquences.
« Pourquoi aucun sociologue ni psychologue ne nous explique-t-il pas de qui avons-nous hérité toute cette violence '» avions-nous demandé à un grand sociologue algérien qui s'est exilé durant les années 90 en Tunisie puis en France. « Personne ne sait, à part que les tueurs ne sont pas dans leur état normal,» nous avait-il répondu. Imbu de sa personne, suffisant, arrogant, l'Algérie au sens large de l'origine n'a jamais reconnu ses torts. «Le peuple est le seul héros» écrivaient les moussabilines sur les murs pendant la colonisation.
Ce premier dérapage sémantique renseigne sur la charge reçue par l'inconscient d'un Algérien qui lorsqu'il se réveille à l'aube de l'indépendance et de la liberté après avoir subi les affres du colonialisme, se transforme en un être égocentrique défiant tout ordre extérieur. Aucune thérapie ne peut le sortir du gouffre de la violence dans lequel il a plongé depuis son enfance s'il ne s'avoue pas à lui-même qu'il a pris un tout autre chemin que celui d'un citoyen civilisé et responsable.
Celui d'une Algérie qui tout au long de son histoire a vécu des guerres dévastatrices, les pires invasions, les incessantes querelles tribales. Une Algérie née, vécue et évoluée dans le sang et la violence.