Algérie

ÉCOLE : Faut-il supprimer le bac.DZ ? Propositions



Publié dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur

En Algérie, depuis quelques années, on parle de réformer l’examen du baccalauréat. Trois tendances s’affrontent : les partisans du statu quo, les réformistes et ceux qui proposent une autre formule pour l’accès à l’enseignement supérieur. Un éclairage historique est nécessaire avant d’aborder les arguments de chaque camp et de trancher la question de savoir si l’actuel baccalauréat relève de l’examen ou du concours.
Historique
Symbole mythique de l’élitisme scolaire français du XIXe siècle, le bac est une création ex nihilo de Napoléon Bonaparte en 1806 et ce, pour des raisons purement idéologiques. L’empereur voulait s’assurer de la maîtrise de la langue française et la bonne connaissance de l’Histoire officielle de France par les futurs étudiants. Outil de sélection et de reproduction de l’élite aristocratique, puis bourgeoise, le bac et les autres examens de l’époque – six au total —, de par la nature de leurs épreuves, étaient l’émanation de la stratégie pédagogique dictée par les finalités politiques assignées à l’École française. Ces finalités seront matérialisées par un dispositif pédagogique approprié, à savoir un enseignement livresque (encyclopédisme) axé sur les codes culturels de la bourgeoisie, des méthodes dogmatiques qui favorisaient le bachotage et le «parcœurisme». Ce dispositif était ponctué d’un contrôle des connaissances qui exigeait de l’élève une fidèle restitution : mémorisation de leçons, montage d’automatismes en maths, physique, sciences. Le même scénario que chez nous.
Dans ce pays, le bac était — et il l’est toujours — le dernier obstacle avant l’entrée à l’université. Mai 1968 sonnait le glas du mandarinat à l’université et de l’arbitraire des examens/filtres. Toutefois, demeurait le mythique baccalauréat qui sera réformé à plusieurs reprises sans pour autant disparaître dans sa formule originelle de seul et unique accès à l’université – quoique ! Malgré son maintien, la France caracole en queue de peloton des pays développés dans les classements internationaux en matière d’efficience scolaire (Pisa).
De nos jours, l’examen du baccalauréat a perdu de sa valeur tant symbolique que pédagogique. Dans sa mère patrie, depuis un demi-siècle, des voix s’élèvent réclamant sa suppression et son remplacement par une autre formule plus efficace et moins coûteuse. Selon plusieurs sondages effectués périodiquement, il s’avère que ce sont les familles issues des couches populaires qui s’y opposent. Les spécialistes et la classe politique française, eux, sont favorables à sa refonte totale. En Algérie aussi, il y a les pour et les contre.
Immobilisme
Les Algériens qui prônent son maintien en l’état n’avancent aucun argument pédagogique. On peut les répartir en trois catégories.
- Nous avons ceux qui cachent des motivations idéologiques : faire perdurer le processus pédagogique basé sur le triptyque «bachotage/parcœurisme/restitution par contrôle». On les comprend, car il s’agit du seul vecteur approprié pour l’endoctrinement des élèves et l’assèchement de leur esprit critique. N’est-ce pas la méthode utilisée dans les écoles religieuses dans l’Europe du Moyen-Âge — et qui perdurent dans bien des pays ?
- Il y a celles et ceux qui s’adonnent à la pratique immorale des cours payants dont ce triptyque «bachotage/parcœurisme/restitution par contrôle» sert de carburant. À cet effet, l’immobilisme constitue le garant de leur fonds de commerce.
- La troisième catégorie agit, elle, par conservatisme. Elles/ils s’attachent au mythe du bac de la France du XIXe siècle — même pas celle du XXIe.
Ces partisans du bac à l’ancienne se fichent complètement des dégâts et des dysfonctionnements générés par l’organisation des examens de fin de cycle. Le seul bémol qu’ils avancent à grands cris, c’est la suppression de l’internet. Et pourtant, ils connaissent les points noirs de ce bac algérien. Citons les plus nocifs.
- L’amputation de l’année scolaire de plus de six semaines d’apprentissage. Sur une scolarité de 13 ans, c’est un total de deux années et demie de leçons perdues par nos élèves (statistiques officielles).
- La bagatelle de plusieurs dizaines de milliards de centimes déboursés chaque année scolaire pour la prise en charge des examens de fin de cycle.
- Un effarant taux de redoublement en 1re année de collège, en 1re AS et en 1re année de l’université. Or, chaque élève ou étudiant qui redouble occasionne au Trésor public des dépenses en argent frais. À titre d’exemple comparatif : en 2009, le ministère français de l’Education chiffrait le coût des redoublements à 2 milliards d’euros chaque année. La même année, le président de la Sorbonne lançait un pavé dans la mare avec un livre à charge : L’arnaque du bac. L’auteur donnait des chiffres alarmants de nouveaux bacheliers qui allaient faire les frais du décrochage ou du redoublement dès la première année d’université.
- La contradiction béante entre des épreuves d’examen élaborées selon l’ancienne version «contrôle des connaissances mémorisées» et la supposée approche par les compétences qui s’oppose à ce mode ancien, dans le fond et dans la forme. À tel point qu’un candidat des années 1950/60 ne sera nullement dépaysé par ce genre d’épreuves et encore moins par le cérémonial immuable de cet examen. Pour ces anciennes générations d’élèves, seules ont changé la qualité du papier, la typographie des textes et la mobilisation de tous les secteurs de l’État pour sécuriser et prévenir la triche et les fuites.
- La mise en quarantaine dans un bunker hermétique d’enseignants et de cadres du MEN en charge des tirages et diffusion des épreuves. Une pratique insensée qui a vu des personnes empêchées d’assister à l’enterrement d’un de leurs proches ou de l’accompagner dans ses derniers moments de vie. Il paraît que cette mise en quarantaine se justifie par des mesures de sécurité pour éviter les fuites… et des fuites il y en a eu par le passé.
Les réformistes
Ils se recrutent dans la hiérarchie du ministère et parmi certains syndicats. Leurs deux propositions sont pertinentes : réduire la durée du bac de 5 à 3 jours. Et ne cibler que les disciplines dites de spécialité pour chaque filière en lieu et place des onze épreuves actuelles. Toutefois, cela ne règle pas la persistance des points noirs cités précédemment et dénoncés à l’unanimité.
Examen ou concours ?
Certes, l’obtention du document attestant de la réussite au bac est soumise au respect de la norme «examen», à savoir la moyenne de 10/20. Mais pour le candidat, le plus important est l’orientation vers la filière rêvée. C’est là que la norme «concours» intervient. Pour y accéder, il doit satisfaire à cette norme, à savoir décrocher une moyenne élevée. Et c’est le classement des moyennes qui décidera. Exit l’examen et bonjour la sélection via un concours qui ne dit pas son nom ! Et commence la galère ! De plus en plus de bacheliers frustrés repassent le bac l’année d’après espérant obtenir la bonne mention ou la moyenne fixée par la norme concours. D’autres, dépités, se réorientent dans une spécialité de la formation et de l’enseignement professionnels. Ce phénomène est aussi visible en France.
La solution
Comment mettre fin à cet épouvantail qui angoisse tout le monde et dont les conséquences — ces points noirs cités plus haut — sont hautement négatives pour l’élève et pour le pays ?
Cette solution sera simple et efficace. Elle nous fera :
- éliminer définitivement la triche ;
- économiser les milliards de centimes dépensés annuellement ;
- accéder à la norme internationale qui prévoit 38 à 40 semaines d’apprentissage dans une année scolaire (tous cycles confondus) ;
- bannir l’absentéisme et la violence dans les lycées ;
- baisser grandement le taux de redoublement, notamment en 1re année universitaire.
Longtemps attachés au bac à la française, certains pays ont fini par s’en séparer. C’est le cas de la Finlande. Ils ont adopté une autre formule pour l’accès à l’université. En Algérie, il ne s’agit pas d’adopter cette autre formule de but en blanc, mais de façon progressive. Sensibiliser d’abord. Faire adhérer la communauté éducative dans son ensemble. Quelle est donc cette solution ?
Elle émane du bon sens et du pragmatisme. Est-ce logique de donner carte blanche au MEN pour décider de façon unilatérale du passage à l’université ? N’est-il pas plus judicieux de lui associer le ministère de l’Enseignement supérieur ? Ainsi, deux principes guideront le passage aux études supérieures : le principe d’admissibilité qui sera du ressort du MEN et celui d’admission, chasse gardée de l’Enseignement supérieur.
• L’admissibilité se présentera sous forme d’un Certificat de fin d’études secondaires accompagné d’un bulletin synthétique des trois années du cycle secondaire. Les conditions d’admissibilité seront étudiées et fixées conjointement par les deux ministères (appréciations, moyennes et assiduité aux études). Le certificat obtenu, le candidat aura à passer un concours d’entrée dans une filière universitaire correspondant à sa filière de lycée.
• L’admission se fera sous forme d’un concours qui verra une étroite collaboration entre les enseignants des deux institutions (organisation, nombre et nature des épreuves, correction, délibération…).
Les prérequis pour suivre des études universitaires étant connus : compétences dans les disciplines de spécialité et compétences intellectuelles (esprit d’analyse et de synthèse, esprit critique, créativité…). Les épreuves du concours viseront à solliciter les fonctions intellectuelles supérieures et non à restituer les connaissances factuelles mémorisées.
De la sorte, il n’y aura pas lieu de «hautement sécuriser» les salles : la triche disparaîtra d’elle-même. N’est-ce pas que dans les pays scandinaves, les candidats sont autorisés — dans certaines situations — à utiliser de la documentation pour étayer leurs réponses ? Pour preuve, le témoignage de ce syndicaliste algérien à une chaîne TV : «A l’université, un de nos enseignants nous invitait à utiliser de la documentation pour répondre aux questions posées. Mais ces questions étaient très difficiles. Impossible de tricher.»
En outre, en ciblant uniquement les disciplines de spécialité, la durée de ce concours ne dépassera pas la journée ou, à la limite, deux matinées.
Conclusion
Au lieu de parler de l’examen du baccalauréat, il est préférable de parler de modalités de passage à l’université. Toutefois, un tel changement nécessite deux préalables :
- rupture avec le système pédagogique et avec l’organisation/fonctionnement actuels — tant dans le scolaire qu’à l’université.
- Valorisation de l’enseignement professionnel en lui ouvrant les portes des filières d’ingéniorat. Sans ces deux préalables, on verra se pérenniser cet immobilisme nuisible. Ce qui fera les affaires de certains…
Un jour — qui sait ? —, des universités privées et, peut-être, étrangères seront créées en Algérie. Vont-elles adopter notre baccalauréat et cette orientation par ordinateur ?
A. T.
NB : Ce ne sont là que des propositions à débat. Un débat constructif qui mettra fin à nos jérémiades de chaque fin d’année scolaire.



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