Lundi 10 juin, au lendemain de l'annonce surprise de la dissolution de l'Assemblée nationale, Emmanuel Macron sourit : « Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant, on va voir comment ils s'en sortent... » (Le Monde, V. 14 juin 2024)
A peine le rideau baissé sur les élections européennes que ses candidats ont très nettement perdues, le président français en a levé un autre une heure plus tard en ordonnant la dissolution de l'Assemblée Nationale et l'organisation d'élections législatives dans un délai très court, aux limites des règles constitutionnelles.(1) Les résultats des Européennes sont catastrophiques, aussi bien à l'échelle française (où le Rassemblement National est devenu le premier parti de France), qu'à l'échelle de l'Union où les élus français sont désormais noyés dans des ensembles où la France n'a plus la main. Par exemple, le parti libéral Renew destiné à étendre le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE) a fondu à la fois à cause du médiocre score du parti Renaissance macronien et de l'abandon par les autres députés des autres pays, partis ailleurs.
Cela explique le coup de dés d'E. Macron.
L'analyse des calculs présidentiels a été très rapide.
Coincés dans une majorité relative insupportable, l'Elysée et son gouvernement ont jonglé avec les règles à coups de manœuvres de couloirs et de 49-3 pour faire passer des lois et diriger le pays vaille que vaille. E. Macron était libre de toute contrainte en matière de politique étrangère et a tiré le meilleur parti de ses prérogatives présidentielles.
Mais cela ne pouvait durer. Les résultats des Européennes ont convaincu l'Elysée de changer de braquet. La dissolution de l'Assemblée devait accroître et précipiter l'éclatement du paysage politique français et redonner au président français une plus grande liberté d'action. L'arrivée à Matignon du RN qu'il a peu ou prou favorisé en reprenant sa lexicologie et ses thèmes politiques favoris, ne pouvait gêner ses projets.(2)
La cohabitation est constitutionnellement à l'avantage de l'Elysée. Spéculation macronienne : le RN à Matignon aurait fait la démonstration de son incompétence, de ses contradictions et ne pouvait mettre en œuvre la plupart des axes « identitaires » de sa politique. Que le RN soit majoritaire ou non à la Chambre ne changeait rien à l'affaire. En sorte qu'en 2027 rien n'aurait fait obstacle à l'élection d'un président favorable à l'UE, au marché et à l'Atlantisme avec un RN usé, décrédibilisé et démonétisé.
E. Macron va être pris au dépourvu aux deux bouts de l'échiquier
Alors qu'il espérait récupérer une bonne part des élus LR, l'Elysée a été pris de court par le ralliement de leur président E. Ciotti. La prise est belle même si elle ne rapporte qu'une fraction des votes qui lui auraient été acquis lors d'un deuxième, voire d'un troisième tour, le RN continue de surfer sur sa dynamique européenne, confirmant, sondage après sondage, son score à un niveau élevé.
Les LR achèvent de ruiner définitivement le peu qui leur restait d'un très lointain souvenir du gaullisme.
Le plus inattendu est qu'un front de gauche (Nouveau Front Populaire) se reconstitue en un temps record malgré les ferments de dissidence semés depuis longtemps en son sein (sans remonter à 1920) entre des « frères ennemis » que personne ne voyait si solidaires. R. Glucksmann, F. Hollande et de nombreux « éléphants » sur le retour, malgré leur « haine » commune de la LFI et de J.-L. Mélenchon furent contraints de s'aligner et de consentir, à leur corps défendant.
Après avoir échoué aux Européennes et confirmé son échec au premier tour des législatives, E. Macron voit le RN échouer à son tour, à peine troisième d'une compétition qu'il s'apprêtait à remporter. Surprise : c'est le Nouveau Front Populaire (NFP) qui arrive en tête du second tour que personne n'imaginait en majorité relative au Palais Bourbon.
Les sondages renvoyaient inlassablement l'image d'un camp présidentiel affaissé, avec une levée de bouclier contre le président et ses spin doctor. Les critiques les plus sévères sont venues de son propre camp surpris, dérouté, trompé, démoralisé. Les principaux leviers de sa politique, la présidente de l'Assemblée, le Premier ministre, le ministre de l'Economie... ne semblaient pas avoir été consultés et contestent la pertinence de ses décisions.
Se révèle alors un président solitaire, entouré de conseillers intimes (des « cloportes » selon B. Le Maire) qui décident en aparté du sort de la nation, loin des espaces prévus par la Constitution. L'histoire des « conseillers spéciaux » du Président et de leur coût est un secret de Polichinelle.
Le troisième tour
Concédons quelques observations à la « petite cuisine » qui fait le bonheur des tabloïds et des plateaux de télévision. Précisons à ce sujet que tous les sondeurs se sont lamentablement trompés. Manipulation ou incompétence ? Nous laisserons aux commanditaires des enquêtes le soin d'exiger des explications sur cette contre-performance.
La France se retrouve ce lundi 08 juillet avec un paysage parlementaire diffracté en trois blocs de taille à peu près similaire, avec un avantage au NFP, le plus important des trois.
Les calculs vont bon train.
La logique du NFP est cependant implacable.
Les Français n'ont pas élu une addition de partis (LFI, PS, Verts, PC) ou de personnalités, mais ont voté pour un programme, un contrat de législature en bonne et due forme. C'est en cela que le NFP doit être tenu pour ce qu'il est : une force politique homogène et cohérente, la seule qui annonce des décisions précises, chiffrées, ordonnées. Cela contrairement à la plupart des autres partis qui sont restés très évasifs sur le contenu de la politique qu'ils entendaient conduire, préférant les images et la communication émotionnelle à la rationalité.
Malheur à celui qui osera s'en écarter et se compromettre « ailleurs » en d'autres contrats.
Le parti ou les députés qui prendraient ce risque feraient face à plusieurs périls :
1.- Certains caméléons « socialistes » ou « écologistes » seraient tentés de se compromettre et de collaborer dans une indéfinissable « démocratie parlementaire » avec le Centre. Washington, Bruxelles... et les marchés poussent la conclusion de telles noces.
Le PS de F. Hollande a failli disparaître après 2017. Il ne survivrait pas à un désaveu des électeurs de gauche au coup suivant. « Personne ne veut porter toute sa vie la chasuble du socio-traître ? »
Ce désaveu sera d'autant plus risqué que « Ensemble » est lui-même une agglomération explosive de partis, de personnalités incompatibles entre eux et dont l'avenir est totalement incertain. De plus, ce serait suicidaire de défendre un président désavoué qui fait l'unanimité contre lui.
Edouard Philippe, président de Horizons, ancien Premier ministre, a dressé un réquisitoire rigoureux contre le président et sa dissolution dès l'annonce des résultats du 2ème tour. Le Premier ministre ne l'a pas caché et se place aussitôt en vue du « coup » suivant (lui qui se voyait déjà en successeur adoubé du « roi des Belges » et qui a été surpris comme la Présidente de l'Assemblée par la décision de E. Macron) : « Cette dissolution, je ne l'ai pas choisie et je refuse de la subir. »
En attendant, il expédie les affaires courantes...
C'est dire en quels termes les partis du Centre se traitent entre eux et pourraient agréger des transfuges à « convictions souples, flexibles et adaptables ».
Les sondages réguliers depuis des années, les Européennes et les législatives viennent d'en faire une éclatante démonstration.
2.- Même additionnés, les « socialo-écologistes » qui prendraient le chemin de la collaboration ne pourraient faire le point. Même les reste de LR encore « vivant » a juré de ne jamais se rapprocher de l'Elysée. L. Wauquier vient de le déclarer hautement.
Le bricolage, c'est fini. Plus aucun parti, ni aucun député ne s'avisera d'offrir une courte échelle à une majorité présidentielle minoritaire. Ni le RN qui vient d'être puni, ni les LR écartelés qui ne veulent pas l'être.
3.- Aucune garantie ne pourrait être offerte aux passe-murailles à géométrie variable du PS ou des Verts. Inutile d'évoquer les communistes en voie d'extinction. Par ailleurs, l'Assemblée qui vient d'être élue, a une espérance de vie à durée indéterminée.
Début juillet 2025, E. Macron pourra la renvoyer à ses électeurs. Au plus tard, 2027 sonnera la fin du quinquennat et mettra un terme au jeu de dupes. Entre-temps, les élections municipales se tiendront en 2026.
Mieux. Le président peut à tout moment user (et abuser) de ses prérogatives constitutionnelles et provoquer une élection présidentielle anticipée. Et alors tous les bricoleurs seront mis en face de leurs responsabilités.
Pour résumer (mais sans aucune certitude), les membres de la coalition NFP ont tellement bénéficié de leur association qu'il est peu vraisemblable qu'ils la quittent en pleine tempête pour voguer vers des horizons improbables...(3) Cependant, rien n'est exclu. L'idée d'un monde politique autonome avec ses lois propres est une utopie intellectuelle dont les penseurs du XVIIIème et du XIXème siècle avaient montré son articulation étroite à un monde constitutivement contradictoire, celui de l'administration des intérêts entre capital et travail.
La probabilité d'une explosion du NFP, ses adversaires nombreux, en France et à l'étranger, sont résolus à la provoquer n'est bien évidemment pas nulle.
« L'union est un combat »
Le scrutin a fait deux perdants. Ce qui exclut toute spéculation sur les possibilités de leur confier la formation d'un nouveau gouvernement.
D'abord le président et sa minorité relative avec laquelle il gouverne depuis 2022 : lors des élections européennes confirmées par le premier et le second tour des législatives qui devaient lui donner le pouvoir qu'il avait perdu et éclaircir le paysage et qui l'ont notablement obscurci.
Ensuite, le RN qui, malgré l'augmentation du nombre de ses députés, a été terrassé en plein envol. Il vient en cela de démentir une observation empirique ancienne : pour ce parti, la dynamique du premier tour n'a pas été confirmée par le second.
Cela souligne les multiples facettes de sa singularité qu'on laissera aux experts le soin d'expliquer. Il est probable que son caractère attrape-tout est à la fois l'atout principal et la principale faille dans la cuirasse du RN.
Le quatrième tour.
On prête à Guy Mollet ce mot : « Au premier tour, on choisit, au second, on élimine ». L'ancien secrétaire général de la SFIO était connu aussi pour d'autres « qualités »...
Cela signifie que les électeurs votent « pour » au premier tour et votre « contre » au second. C'est ce qui vient de se passer ce dimanche 07 juillet 2024.
La Constitution de la Vème République a pour vertu d'obliger les élus à négocier au vu et au su de tous les citoyens entre les deux tours, au lieu de le faire dans les couloirs à l'abri des regards dans un système à un seul tour, ce qui est les cas de la quasi-totalité des régimes en vigueur en Europe.
Le problème est que la Constitution française en suggère l'« esprit » mais ne l'impose pas. Elle ne subordonne pas la légalité juridique à la légitimité politique.
Si elle l'avait formellement fait, E. Macron élu président en 2022 aurait été contraint de quitter l'Elysée aussitôt que les élections législatives l'ont récusé.
Tout le monde avait compris que son élection avait été un votre « contre » M. Le Pen et non un choix délibéré en sa faveur.
E. Macron le savait parfaitement et avait repris à son compte la « technique efficace » inaugurée par F. Mitterrand en 1986, imité par Chirac qui en avait tiré parti en 2002.
Cette « technique », favorisant dans un premier temps le Front National, avait pour objet de placer l'électorat de l'opposition dans un choix impossible lui imposant un « front républicain ». A l'évidence, il survit encore aujourd'hui et vient de se retourner de manière imprévue contre ses apprentis sorciers. Pour combien de temps... ? M. Le Pen qui sait très bien dans quel travestissement son parti est impliqué (à son insu, jusqu'à quel point ?(4), annonce que ce n'est que partie remise et que lors de la prochaine consultation (2027 ?) il en serait autrement...
Le refus du président de se retirer en 2022 après avoir perdu les élections législatives a abouti à une cohabitation de facto qui a rappelé les pratiques de la IIIème et de la IVème République. C'est aussi ce qui s'observe ordinairement dans la plupart des pays européens.
C'est à ce troisième tour que se sont trouvés confrontés les partis aux lendemains de l'élection du dimanche 07 juillet.
Commence l'espace des tractations et des « combinaziones » avec l'espoir de contourner les votes pour bricoler des majorités de circonstances. Ce que nous avons esquissé plus haut. Ce serait oublier trop vite ce qui vient de se passer et qui revêt peut-être une importance capitale.
Depuis des années, voire des décennies, les taux de participation populaires aux élections sont en baisse. En France et dans la plupart des « démocraties parlementaires représentatives » en Europe et dans le monde. La hausse tendancielle des taux d'abstention érode la démocratie parce que les citoyens ne sont plus que des électeurs qui ne sont sollicités que pour voter.
Par ailleurs, l'échange marchand grignote irrésistiblement celui des espaces collectifs.
Le plus grave est que ces citoyens constatent que les promesses électorales n'engagent que ceux qui les écoutent et que les politiques alternent mais pas leur politique. Quelles différences y a-t-il entre les partis démocrate et républicain aux Etats-Unis, conservateurs et travaillistes au Royaume Uni... entre l'UMP, le PS, Renaissance... ?
C'est probablement cette question qui a, pour une part, causé les difficultés du RN qui a peu à peu au cours de la campagne abandonné la plupart de ses propositions sur le pouvoir d'achat, de la réforme des retraites, de la santé... se limitant à brandir les thématiques qui ont fait son succès, l'immigration et la sécurité. J. Bardella a attendu la clôture du vote pour annoncer son ralliement au parti européen du Premier ministre hongrois, rejoignant le Parti pour la liberté (PVV) du Néerlandais Geert Wilders, le portugais Chega, l'espagnol Vox, le Parti populaire danois et le parti d'extrême droite indépendantiste flamand, Vlaams Belang.
L'objectif est de détourner les citoyens de ce qui leur importe au premier chef. Leur dépolitisation, travail incessant depuis des décennies, a abouti à leur exclusion des décisions politiques.
La hausse brutale et imprévue de la participation des Français aux élections européennes et législatives a renvoyé à des époques oubliées des manifestations pacifiques nombreuses et des intrusions citoyennes dans la vie publique.
Le résultat des dernières législatives semble annoncer l'avènement d'un quatrième tour, celui par lequel les citoyens inversent le formalisme démocratique en vigueur : le contrôle populaire d'un gouvernement du peuple souverain. C'est ce qui est fréquemment désigné (et dénoncé) par l'expression « démocratie participative » au moyen de laquelle les citoyens participent à l'exercice du pouvoir et s'assurent de la conformité de la politique engagée en leur nom.
Toute la question est de savoir si ce surcroît de mobilisation n'est qu'un épiphénomène fugace qui disparaîtra aussi vite qu'il est arrivé ou un changement profond, un redressement durable du corps politique de la nation.
Cette question est observée avec attention par les autres pays européens où les partis alternent sans alternatives et où oppositions et majorités gouvernent ensemble (comme en Allemagne, à l'exclusion de l'AFD), rendant ainsi fictive et illusoire toute parole, débats et projets opposés sur la nature de l'ordre politique, économique et social, par-delà les facettes techniques, juridiques, opérationnelles, quantitatives... de l'évolution des sociétés et la couleur de la barbe des élus.
La pression des marchés, de Bruxelles, de Francfort et de Berlin... ne va pas cesser pour autant et va continuer de peser sur Paris sommé de mettre de l'ordre dans ses comptes.
L'abominable politique économique que les pays du tiers-monde connaissent sous le label « Plan d'Ajustement structurel », la France et les pays du Club Med de l'Union leur est servi sous le label plus avenant de « Pacte de stabilité et de croissance » qui impose avec doigté, mais avec fermeté la nécessité des « réformes structurelles ».
Les peuples ont souvent peu de mémoire. Mais les Algériens n'ont jamais oublié ce que leur ont coûté les délires du régime Chadli et le prix politique et économique qu'ils ont payé pour les solder. Des dizaines de milliers de morts en prime pour faire le point.
L'état de la France étant ce qu'il est, quels que soient les nouveaux dirigeants du pays, ils feront face à une injonction simple : se soumettre ou se démettre.
Explications.
L'endettement français se situe à plus de 110% du PIB (et loin de la limite des 60% prescrite par Maastricht).
Précisons que la dette ne pose pas problème en elle-même. Tout dépend de la solvabilité du pays, de l'usage qui est fait des emprunts ou du contexte économique et financier national et international.
La France est contractuellement liée à de nombreux partenaires qui peuvent peser sur ses choix et le mode de résolution de ses difficultés.
Les Etats-Unis affichent une dette astronomique de plus de 140% du PIB, soit 36 000 Md$.
Mais les Américains disposent de contreparties que la France ne possède pas : Wall Street, le dollar, un taux directeur qui fait la pluie et beau temps sur les marchés obligataires, des GAMAM5, des normes (linguistiques, culturelles, technologiques, juridiques, comptables...) hégémoniques, des industries, un commerce des armes et des dépenses militaires qui représentent plus de la moitié des dépenses mondiales. Et si nécessaire, une justice extraterritorialisée et un Pentagone à même de conformer son environnement à ses intérêts.
A l'évidence, les deux pays ne concourent pas dans la même catégorie. L'Amérique a les moyens de laisser le soin au reste du monde la résolution de ses problèmes.6
La France présente un tableau de bord dans lequel les feux rouges clignotent de tous côtés : commerce extérieur, investissement, parts de marché, productivité, dépôts de brevets... elle est enfermée dans ses difficultés sous le regard sourcilleux de son voisin allemand et de ses partenaires frugaux qui tolèrent de moins en moins les libertés qu'elle prend avec les traités et ses engagements.
Le taux d'intérêt majore les coûts budgétaires du pays, avec un spread franco-allemand qui se tend au risque d'une rupture (pour le moment improbable en raison de son impact global) qui ouvre sur l'inconnu.
C'est dans ce contexte que la France macronienne vote et se noie dans ses élections législatives.
Cependant, porter ce tableau au débit de ceux qui pourraient demain prendre en main le destin de la France serait inéquitable (ce sont ceux qui la gouvernent au moins depuis 2007 qui devraient rendre des comptes).
Le Figaro du 07 juillet s'interroge : où sont donc passés les « 1000 milliards de dette publique » accumulée depuis mai 2017 (950 Md€ précisément au 31 mars 2024, selon l'Insee) ? Pas de réponse.
Sans préjuger de la conduite de sa politique, le NFP dispose, dans son programme, qu'en face de chaque dépense, il prévoie une recette avec une plus grande progressivité de la contribution des Français.
Cela aura au moins le mérite de ne pas aggraver la situation budgétaire et pourrait même l'améliorer en ce que la hausse de revenu des petites gens aura un impact plus favorable sur la consommation, la production, l'emploi, les recettes fiscales indirectes... en un cycle keynésien bien connu.
La politique de l'offre pratiquée jusque-là a puisé des dizaines de milliards d'euros dans les finances publiques sans qu'aucune démonstration satisfaisante n'ait fait la démonstration du moindre « ruissellement ». Elle aurait plutôt provoqué un creusement des inégalités.7
Si le surcroît de mobilisation a probablement profité plus à la gauche, il faudra s'attendre à une très forte réaction en retour de tous ceux qui ont profité des dizaines de milliards d'euros de baisses d'impôts et de cotisations pendant des décennies, n'y renonceront pas de gaieté de cœur et se mobiliseront à leur tour pour les défendre.
LES ENJEUX.
Les élections françaises participent à deux enjeux : économiques et géopolitique.
Enjeux économiques
Dans les années 1920-1930, c'est la peur du bolchevisme dont les partis se multipliaient un peu partout en Europe, qui a poussé le capital (et ses représentants parlementaires sous quelques régimes qu'ils aient été élus) dans les bras du nazisme et du fascisme (en Italie, dès le début des années 1920).
Nous ne sommes pas en 1933. Il n'y a nulle part de puissance nationale, en l'occurrence nazie, qui voudrait réorganiser autour d'elle une Europe menacée par le communisme.
Aujourd'hui, les mêmes partis explosent pour se recomposer sous l'autorité de partis de droite radicaux ou d'extrême droite quel que soit leur label.
Des Pays-Bas à l'Italie, en passant par la Hongrie, chaque pays a son propre parcours pour aboutir au même résultat.
Leur objectif n'est plus de lutter contre des partis communistes en voie de disparition, contre les travailleurs, aujourd'hui massivement désyndiqués (moins de 8% en France), de réduire les taux de salaire (alors que jamais la part qui va à l'excédent brut d'exploitation n'a été aussi élevée depuis le début des années 1950), de réduire encore la pression fiscale sur le capital (que E. Macron a considérablement allégée depuis qu'il est à Bercy puis à l'Elysée).
Taux de croissance annuelle de la richesse par adulte de 1995 à 2021, en fonction de leur fortune, selon le World inequality report 2022 (AFP, mardi 07 décembre 2021)
L'objectif aujourd'hui est de démanteler ce qui reste de tous les progrès sociaux et politiques « collectivisés », tous les « acquis » qui ont été mis en place en Europe sous les « Trente glorieuses » (en gros de 1945 à 1975), passer de la loi au marché, de la règle commune au contrat individuel, de la répartition à la capitalisation de la protection sociale.
Pour que ces projets aboutissent et rallient la majorité de la population, ils se présentent sous une façade « national-socialiste » : généreuse uniquement pour les « souchistes » et exclut les étrangers. Le RN interroge pour ce faire la notion d'appartenance à la nation française. En attendant de disposer des leviers parlementaires pour passer à d'autres phases de cette politique, la binationalité est remise en cause avec des limites à l'accès à certains emplois aux binationaux en raison de leur « multiple allégeance à des pays étrangers ». Il n'y a guère longtemps, après tout, l'Allemagne l'interdisait.8
Jusque-là, la France ne faisait aucune distinction entre les binationaux et les autres Français sur le plan des droits et devoirs liés à la citoyenneté. Les déclarations de revenus s'adressent à tous les contribuables installés sur le territoire économique de la France. C'est un peu pour cela que la notion de PNB a été abandonnée au profit de PIB plus conforme aux activités économiques « réelles ».
Le RN défend une feuille de route économique proche de celle de la droite libérale (Éric Ciotti ne s'en est jamais caché et s'en félicite) et une vision organiciste de la société, c'est-à-dire potentiellement menacée par des corps étrangers. Il ne remet pas en cause les mesures lancées sous Macron. Son discours est très général et ne détaille aucune des actions concrètes qu'il entend prendre (à l'exception des flux migratoires et de la sécurité), d'autant moins qu'il abandonne peu à peu la plupart des mesures que son parti évoque discrètement, accompagnant la politique de l'offre très franchement contraire aux intérêts de ses électeurs : sur le pouvoir d'achat, sur les retraites, sur le SMIC, sur la rupture avec l'Union européenne, avec l'euro, avec l'OTAN...
On retrouve ici les « 3i » (inflation, immigration, insécurité) empiriquement évoqués par Jérôme Fourquet.9
« On ne représente aucun danger » déclare Marine Le Pen au reste du monde capitaliste et aux marchés sur CNN International, à la veille du deuxième tour des législatives, vendredi 05 juillet.
Ce que propose le RN, au fond, c'est du Macron, sans Macron.
Il ne pourra cependant échapper à une double contrainte. Régler les déficits français et, en même temps, répondre aux principaux problèmes des Français, dans les domaines qui attendent tous les gouvernants quels qu'ils soient : la santé, l'éducation, le logement, l'emploi, la retraite... qui se sont très nettement dégradés ces derniers temps.
A fiscalité inchangée, régler les uns, c'est aggraver les autres.
Le macronisme (et, avant lui, F. Hollande10) a choisi :
- baisser les prélèvements obligatoires sur le capital sans contrepartie formelle ni pénalité
- endetter le pays (pour combler la contradiction) et renvoyer à plus tard la résolution de ses problèmes, avec des mesures contracycliques qui enfonce le pays dans la décroissance les déficits.
Le « quoi qu'il en coûte » va beaucoup coûter à la France et à ses comptes publics, mais très peu au capital auquel il a beaucoup rapporté.11
C'est ce dilemme que le NFP se propose de traiter. Et c'est la raison pour laquelle il est le foyer de toutes les attaques.
Enjeux géopolitiques.
Les controverses politiques françaises ne sont pas hors-sol. Elles se produisent dans un contexte et un environnement international à la fois complexe et dangereux.
Et c'est sous cet angle qu'elles sont suivies de manière très attentive par le reste du monde. Aussi difficile soit sa situation, la France est un membre décisif aussi bien à l'échelle européenne qu'occidental.
Bien que les médias et les politiques s'attachent à en brouiller les frontières et les enjeux, il y a en réalité un front principal et une multitude de fronts secondaires.
Le paysage parlementaire français n'est pas décliné en « trois blocs » mais en un seul en vérité, le NFP et sa composante LFI, ciblé de tous côtés.
Pour le comprendre, il faut récapituler l'état général des relations internationales dont les conflits en cours sont les diverses manifestations.
L'espace politique européen actuel auquel est rattachée la France, est défini selon 4 axes qui deviennent des normes à partir desquelles sont mesurées les aptitudes des hommes politiques et des citoyens pour convenir de leur acceptation dans l'« espace public » et comme membre ainsi reconnu de la société civile.
1.- L'Atlantisme (axe majeur de l'organisation mondiale occidentale pilotée à partir de Washington)
2.- Le libéralisme (le caractère privé de la propriété, le marché pour former les prix et la libre circulation des biens économiques avec ouverture des frontières au capital transnational). L'ultralibéralisme et la financiarisation de l'économie n'en sont que des facettes et des modalités.
Ces deux principes, bien que remontant au moins au XIXème siècle, sont réaffirmés depuis 1945 avec des institutions pour les administrer et en garantir l'exercice. La régulation est assurée par les marchés, les agences de notations, le FMI, la banque mondiale, la BCE, la FED... La dette est un instrument majeur pour conformer tous les rétifs.
A ces principes, s'ajoutent deux autres plus récents qui se présentent sous une forme plus péremptoire et plus sourcilleuse. Pour rapporter la question au contexte français, la loi sur la laïcité (1905) est de plus en plus entendue davantage comme une négation des différences que comme la liberté totale des cultes (sous réserve de respect des lois, cela tombe sous le sens).
3.- Sionisme (confusion entre la cause des Juifs et celle d'Israël)
Très vite, LFI en se prenant la défense des banlieues populaires, plus pauvres, que la puissance publique a abandonné au chômage, au trafic de drogue et à toutes sortes de nuisances.
On n'a retenu que leur sensibilité à la cause palestinienne, pour en faire une cible qui confond antisémitisme et opposition à Israël dirigé par des racistes (suprémacistes pas seulement religieux) qui s'attaquent sans discernement à des populations civiles sans défense. Ces dirigeants de l'« unique démocratie » du Proche-Orient dotée de l'« armée la plus morale du monde » avouent publiquement n'exterminer que des non-humains et s'attaquent aux institutions des Nations Unies en toute impunité.
C'est ainsi qu'une alliance objective va être tissée entre l'extrême droite qui considère les banlieues comme des espaces de non-droit, antifrançaises, que l'on tient pour étrangères de fait et les mouvements sionistes attachés à la défense d'Israël.
Cette alliance est surprenante en ce que le FN a une histoire plutôt antisémite en défense d'une mémoire historique plutôt pro-germanique.
Malgré les efforts de la fille, les juifs de France ont toujours (jusque-là) maintenu une distance avec un parti qui évoque le père qui tient l'extermination des Juifs pour un « détail de l'histoire ».
Le changement du nom du parti n'avait rien changé de fondamental sur ce point et n'a pas réduit une grande méfiance à son égard, malgré des rencontres et concertations discrètes.
La France d'E. Macron va se distinguer puisque presque tous les autres pays européens ont reconnu à la Palestine une existence politique dans le concert des nations à l'ONU.
C'est ainsi que sionisme et xénophobie, fusionnent, plus particulièrement affirmés dans la variante islamophobe exprimée sous forme de « valeurs universelles » qui ne sauraient tolérer aucune différence, aucun « communautarisme » source de désordres et de corruption de ces valeurs valables en Occident et même hors de France et d'Europe, en ce que ces valeurs s'imposent virtuellement à toute l'humanité12. Mathilde Panot députée insoumise du Val-de-Marne annonce ce 07 juillet : « Dans les deux prochaines semaines, nous reconnaîtrons l'État de Palestine ».
En vérité, Israël est défendu par l'Europe et les Etats-Unis, non pas tant en réponse à l'histoire mortifère du peuple juif en quête d'une « Terre promise » par un prophôte et son dieu. Israël est un dispositif géostratégique, un fortin, installé dans une région du monde où il participe à la défense des intérêts occidentaux. Il est au carrefour des continents, des mers et des océans, des réseaux commerciaux primordiaux pour le commerce de l'Europe et du monde. Il est enfin au cœur d'une des principales sources d'énergie et qui le restera pour une durée indéterminée.
C'est dans ce quadrilatère problématique que s'inscrivent les événements politiques français hors duquel échapperait une part essentielle des ressorts nécessaires à leur compréhension.
Malgré les efforts du Nouveau Front Populaire pour en débattre, les enjeux économiques ont été peu ou prou ignorés et étouffés par leurs adversaires et les médias (une dizaine de milliardaires possèdent plus de 90% des médias français).
Les enjeux internationaux, eux, ont été quasiment escamotés et n'ont fait l'objet d'aucun examen sérieux. Le peu d'attention accordé à ces questions contraste avec l'intérêt aigu que lui porte tout ce (et ceux) qui comptent dans le monde.
Sans doute, ces aspects ont été contournés pour ne pas compromettre des consensus nécessaires à la confection de majorités, aussi relatives, aussi fragiles, soient-elles.
Quoi qu'il en soit, des forces puissantes sont mobilisées pour qu'aucun parti ou « bloc » ne soit à même de remettre en cause l'« ordre établi ». Au coup ne sera retenu.
Même si rien ne garantit son intercession durable et efficace dans le débat, il serait prudent de ne pas oublier le poids d'un acteur historique qui a émergé au quatrième tour et qui a souvent joué un rôle décisif -souvent sous-estimé- dans l'histoire de son pays : le peuple français.
La suite de l'actualité nous renseignera sur l'évolution de cette confrontation qui -et de loin- dépasse le cadre français.
Notes
1- La crise française est le reflet d'une crise qui la dépasse et qui touche toute l'Europe. Le Brexit, la pandémie du Coronavirus et le conflit ukrainien ont mis en péril la stabilitégéopolitique ducontinent dans son ensemble. Dans un contexte similaire, son parti ayant perdu aux élections européennes, arrivémême en troisième position derrière le parti d'extrême droite, O. Scholz, le chancelier allemand a refusé d'envisager des législatives anticipé
es. Ne représentant plus la majorité de leurs citoyens, même si leur situation est conforme à la légalité constitutionnelle, Moscou a qualifié Macron et Scholz de dirigeants « illégitimes ». Il faudrait beaucoup de conviction pour le démentir.
2- E. Macron a eu ce mot :« C'est un programme totalement immigrationniste », allusion à celui de LFI, en marge d'un déplacement à l'île de Sein dans le Finistère, le mardi 18 juin 2024.
« ‘Immigrationniste' a été utilisé dès les anné
es 80-90 par Jean-Marie Le Pen, Jean-Yves Le Gallou et leurs mouvements », explique à CheckNews Cécile Alduy, sémiologue et spé
cialiste des discours d'extrême droite. (Libération, mercredi 19 juin 2024)
3- Le PS fait plus que doubler le nombre de ses sièges. Les écologistes l'augmentent de plus de 40%. Les communistes passent de 22 à 9 députés. Il n'y a pas de miracle. Dès le premier tour, leur secrétaire général est renvoyé
à ses confusions. Tous ces élus (vert et rose) savent à quoi et aussi à qui ils doivent leur résultat.
4- La question est toujours ouverte : la reprise des thèmes et « éléments de langage » du RN par les partis du Centre et de droite participe-t-elle d'une tactique ou d'une stratégie dé libérée ?
5- Par exemple, une seule entreprise, Nvidia, a une capitalisation ( 3 000 Md$) équivalente au PIB français et à l'ensemble des entreprises françaises indexées dans le CAC40 (2 950 Md$). Elle ne fabrique pas les microprocesseurs mais les sous-traite via des fournisseurs taïwanais, comme TSMC. La plupart des autres pays européens s'en accommode.
6- On se souvient du mot cynique de J.-B. Connelly, secrétaire d'Etat américain, recevant les Européens inquiets après la décision unilatérale de R. Nixon de transférer aux marchés la cotation des monnaies en 1971. « Le dollar, c'est notre monnaie, mais c'est votre problème ».
7- Cf. Arnaud Parienty (2018) : « Le mythe de la ‘théorie du ruissellement' ». Ed. La Découverte, 150 p.Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (2019) : « Le président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d'Emmanuel Macron. »
Ed. Zones, 169 p. Thomas Piketty (2013) : « Le capital au XXIème siècle». Seuil, 970 p.
8- Le 27 juin 2024, une nouvelle loi allemande portant modernisation du droit de la nationalité (StARModG) est entrée en vigueur.
L'une de ses dispositions est d'autoriser les Allemands de posséder plusieurs nationalités.
9- Jérôme Fourquet est directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l 'Ifop auteur de : « La France d'après. Tableau politique ». Éd. Le Seuil, 2023, 560 p.
10 F. Hollande aurait du mal à faire oublier que E. Macron avait été son ministre de l'économie et des finances.
11- L'inflation qui avait beaucoup augmenté en 2022 et 2023 n'a pas été causée par une hausse des salaires, comme le décrit la courbe de Phillips, dans les années 1970-80, mais par des facteurs importés et une augmentation excessive des marges des entreprises.
12- Combien de procès (pas seulement médiatiques) en barbarie sontintentés à de nombreux pays, de nombreuses cultures du reste du monde qui ont surtout une portée domestique et un enjeu politique local.
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Posté Le : 21/07/2024
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : le Président Tebboune !
Source : www.lequotidien-oran.com