Algérie

Dynamique de développement économique et pesanteurs rentières. L’état est-il revenu aux manettes ?


Publié le 29.06.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

Par Abdelali Kerboua

Le discours économique et social semble changer radicalement en Algérie depuis quelque temps, en particulier après l’épisode de la pandémie estampillée Covid-19. Plus récemment, ce discours ne relève plus de la logique prévisionnelle mais penche plus vers une orientation d’évaluation des premiers ajustements jugés réussis vers une sortie durable de la crise du développement économique et social qui affecte le pays depuis trois décennies, avec un effet d’accélération durant les deux dernières décennies qui ont coïncidé dans les faits avec une politique de non-état, au sens où tout se faisait en son nom avec, in fine, des résultats qui vont dans le sens contraire des intérêts de ce même état. Ce virage dans l’analyse des faits socioéconomiques est allégrement pris par le chef de l’état Abdelmadjid Tebboune dans son discours du 1er mai 2024 dans la Maison du peuple, siège historique de la Centrale syndicale UGTA.
Ce discours se voulait argumenté avec des données chiffrées qui ne prêtent pas à contestation, d’autant plus qu’elles sont fournies par des organismes internationaux qui n’ont jamais péché par excès de complaisanc, voire de gentillesse tout court, envers l’Algerie. Cela prend l’allure d’un retour aux fondamentaux de l’économie du développement sur fond de décision souveraine quant aux choix stratégiques à imprimer à la marche de l’économie nationale.
Ce qu’il faut retenir d’essentiel de la prestation télévisée du Président devant le panel des syndicalistes venus l’écouter et l’honorer, par la même occasion en l’affublant du titre symbolique de premier syndicaliste, c’est que l’État est dans une démarche résolue de récupération des ressources de la nation, d’origine interne et externe, en vue de leur usage rationnel au service d’un développement qui puisse pérenniser le caractère social de l’état, conformément au texte fondateur de la Révolution de Novembre, invariant historique cher aux Algériens.
La critique acerbe de la période passée — où l’état s’est vu dépouillé de ses ressources au profit d’une oligarchie prédatrice alliée à des forces occultes tapies dans les arcanes influentes du pouvoir — essaie de donner une idée sur les pistes à suivre pour rompre avec des dynamiques de captation privative des ressources publiques avec une intention à peine cachée d’externaliser les fruits des ressources de la nation vers l’étranger, avec tout ce que cela suppose comme force de nuisance pour les intérêts nationaux. Ce redressement souverainiste de l’économie nationale dont l’objectif final est de sortir de l’économie de la rente a toutes les chances de réussir si, paradoxalement, il arrive à renforcer dans la durée le cadre structurel générateur de ressources pétro-gazières et la transformation à long terme de l’usage souverain de ces mêmes ressources. Ce principe de souveraineté sur les ressources, aussi cardinal soit-il, demande pour sa mise en œuvre une politique économique éclairée se donnant les moyens d’agir sur le long terme à travers une planification macroéconomique qui transcende les choix conjoncturels du gouvernement en place pour aller au niveau des choix stratégiques de l’état pour développer l’économie nationale en tirant profit de son bilan-ressources naturelles très avantageux et de son bilan compétences-clés au niveau ressources humaines de plus en plus attrayant. C’est en cela que l’objectif de planification de 2027 apparaît comme une première tentative des pouvoirs publics d’adosser une échéance temporelle à un horizon de planification coïncidant avec la réception prévisionnelle probable de grands projets industriels et d’exploitation minière d’une part, et dans la grande agriculture, d’autre part, et pour une fois déconnecté de toute échéance électorale. C’est à ce niveau que l’intérêt de l’état devient pertinent et parlant. Ce qui permet, en toute confiance, au chef de l’état de faire des projections réalistes en matière de positionnement stratégique et de classement international de l’économie algérienne dans le continent et dans le monde arabe.
Ce qu’il ne faut pas oublier, le risque d’amnésie est patent chez nous, c’est que ces résultats probants en matière de choix économiques de développement sont le résultat direct et indirect d’une utilisation productive des ressources de la rente pétro-gazière dont dispose l’état algérien grâce à l’existence, depuis six décennies, d’une grande entreprise qui s’appelle Sonatrach, qui arrive toujours à retrouver le chemin de la croissance pérenne, malgré les multiples crises qu’elle a pu connaître durant son développement.
Aujourd’hui, ce qui est impératif, c’est de recadrer sérieusement l’utilisation de la rente pétro-gazière en faisant en sorte que la fiscalité pétrolière soit utilisée prioritairement vers les besoins du développement économique, à commencer par les besoins du financement propre de Sonatrach qui sont plus que colossaux, évalués, grosso modo, à 25 milliards US dollars, sur les cinq prochaines années. Cette réorientation salutaire permettra à l’état de réindustrialiser le pays, de développer l’agriculture, de réaliser les grandes infrastructures, tout cela dans un mouvement d’appropriation interne des ressources générées par l’économie nationale, à commencer par l’économie des hydrocarbures.
L’état devrait être en mesure, à moyen terme, d’établir une règle immuable de répartition des ressources générées par l’économie nationale, autrement dit le PIB algérien, au plan budgétaire en séparant de manière claire les dépenses de fonctionnement et celles d’équipement, et surtout l’origine des ressources destinées à leur financement.
Cet ensemble d’actions, s’il venait à être lancé de manière parallèle, indiquerait clairement que l’état revient aux manettes. C’est ce qui donnerait de la substance au concept de souveraineté économique et ses différentes déclinaisons alimentaire, énergétique, hydrique et l’impact souvent caché mais déterminant de l’excèdent des ressources économiques disponibles sur la souveraineté militaire, l’un des piliers fondamentaux de la souveraineté globale de l’état, au sens qu’elle protège tout le reste, à commencer par le territoire national, récipient naturel de toutes les activités de la nation.
C’est le débat fondamental qui attend la société algérienne soucieuse de son avenir souverain, surtout que la conjoncture électorale actuelle devrait pousser les Algériens à se parler entre eux pour discuter des choix qui les protègent au mieux aujourd’hui et surtout demain au profit de leurs enfants dont l’avenir se conjugue au futur. La souveraineté nationale, c’est tout cela et c’est le rôle de l’état de rendre sa compréhension accessible au peuple algérien en clarifiant les concepts, en dehors des discours sophistiqués, et parfois vaseux, des experts de plateaux de télévision et autres réseaux sociaux.
Ces derniers produisent de la confusion à la place de l’éclairage utile. Et l’éclairage utile est plus que nécessaire en ce moment. Pour le bien de tous !
A. K.