Algérie

Dur réveil des pays d'Europe centrale et orientale en cas de frappe nucléaire russe



Publié le 19.09.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Medjdoub Hamed*

Que constate-t-on dans la guerre en Ukraine ? Le paradoxe de cette guerre est que chaque camp croit qu'il est dans son droit dans cette guerre : les Russes dans leur droit d'envahir, les Ukrainiens dans leur droit de repousser l'invasion russe. Si la Russie a opté pour envahir l'Ukraine, et lancé son « opération militaire spéciale », c'est aussi parce qu'il y a des causes précises à la fois « humaines » et « géostratégiques » ; et celles-ci sont essentielles parce qu'elles sont en rapport à son statut d'une des plus grandes puissances nucléaires du monde. L'Alliance atlantique Nord (OTAN), de son côté, a voulu étendre sa sphère d'influence jusqu'aux frontières de la Russie ; elle s'est étendue à la plupart des pays de l'ex-aire d'influence de l'Union soviétique devenue, après son éclatement, la Fédération de Russie.

Fortement convaincue dans son droit, et surtout que la plupart des pays de l'ex-aire soviétique ont rejoint l'Union européenne et l'OTAN, la Russie n'a trouvé rien à redire hormis de vagues promesses qu'on lui a faites, durant la période difficile qui a suivi la fin de l'URSS, en décembre 1991. Quant aux États-Unis et l'Europe, s'affermissant au fur et à mesure que les pays de l'Europe de l'Est se sont intégrés à l'Union européenne et à l'OTAN, ils n'ont pas pris en compte les promesses faites à la Russie et ont continué leur extension à l'est de l'Europe. Leurs succès successifs en Europe centrale et orientale les ont poussé dans cette voie jusqu'à ce que vient le tour de l'Ukraine d'intégrer l'aire occidentale.

Si la grande partie du peuple ukrainien a opté pour l'Occident, il demeure néanmoins que les peuples russophones, d'origine russe, des régions de l'est de l'Ukraine, ont refusé leur intégration à l'Union européenne et à l'OTAN ; ils ont préféré se séparer de l'État d'Ukraine et fonder leurs propres États. Après plusieurs années de crises et de lutte, ils ont, par référendums, rejoint, en 2022, la Russie ; leur rattachement à la Russie leur permettant de se protéger de la mainmise du pouvoir central de Kiev; une situation qui s'est transformée en guerre. Que peut-on dire de cette guerre ? Force de dire qu'elle est réellement ahurissante. Pourquoi ? Si un pays, une nation, et en l'occurrence l'Ukraine, voit qu'une de ses régions veut quitter l'État national et cette région avance qu'elle ne se sent pas nationalement ukrainienne et, étant d'origine russe, veut fonder un État indépendant, logiquement l'État ukrainien peut combattre le séparatisme mais vient un moment, si la guerre prend de l'ampleur et qu'il n'arrive pas à ramener à la raison les États séparatistes, à accepter à la fin, la séparation.

Une guerre qui se terminera sans grands problèmes. La population du nouvel État ne sera que plus unie ; les États indépendants aussi. Mais le problème est l'immixtion des puissances étrangères. Et ces puissances étrangères sont essentiellement les États-Unis et l'Union européenne qui veulent « fonder » une Union européenne englobant progressivement tous les pays les pays d'Eurasie que sont l'Albanie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kosovo, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, l'Ouzbékistan, la Serbie et la Turquie, dont certains sont déjà membres.

Le problème de ces régions séparatistes d'Ukraine, c'est qu'elles sont adossées à la Fédération de Russie avec qui elles ont frontières. Et comme la Russie est une des deux plus grandes puissances nucléaires mondiales, avec les États-Unis, la guerre en Ukraine devient complexe pour la simple raison qu'elle prend sous sa protection ces régions séparatistes ; elles sont annexées à son territoire sur leur demande (référendums). On comprend alors les difficultés auxquelles font face l'Occident, principalement les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne ; ce qui explique la guerre depuis l'invasion de l'Ukraine, le 24 février 2022, par la Russie qui s'est transformée en guerre d'usure ; elle se trouve aujourd'hui réellement dans l'impasse. D'autant plus que tout ce qui peut résulter de la guerre en Ukraine pour la Russie influera sur la Chine ; se comprend la solidarité entre la Russie et la Chine, deux grands pays d'Asie qui s'érigent en puissances adverses menaçant le leadership et l'hégémonie de l'Occident sur le monde. Sur un plan historique général, on peut dire, qu'au-delà des intérêts des unes et des autres grandes puissances, cette nouvelle phase de l'histoire relève d'un processus naturel de la marche du monde dans son évolution. Qu'aujourd'hui, la Russie envahisse l'Ukraine est une donnée qui entre dans la marche de l'histoire de l'humanité ; l'invasion de l'Ukraine n'a été qu'un concours de circonstances historiques.

Ne prenant que l'arme nucléaire qui a été découverte en 1945, si on regarde les événements historiques qui ont suivi depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on constaterait que l'invasion de l'Ukraine en 2022 n'a pas surgi ex nihilo, mais que des causes précises l'ont fait surgir. Dire que c'est le Président Vladimir Poutine qui a déclenché l'invasion de l'Ukraine, c'est ne pas comprendre les forces de l'histoire. Le président russe Poutine n'est qu'un homme, il ne peut déclencher l'invasion de l'Ukraine que si tous les éléments du processus historique sont en place et commandent l'invasion. En clair, le président russe n'a fait que déclencher ce qui était en puissance dans l'histoire. Pour bien comprendre le puzzle de l'histoire si, par exemple, l'arme nucléaire n'avait pas existé, il ne pouvait ni n'y aurait d'invasion, et donc n'aurait pas existé d'opération militaire spéciale russe (SVO), ni révolution Maïdan, ni crise au Donbass.

Nous ne devons pas perdre de vue que la découverte de l'arme nucléaire a permis 79 ans de paix entre les puissances ; sans l'arme nucléaire, les guerres entre les grandes puissances n'auraient pas cessé ; c'est dire l'importance de la nouvelle ère qui s'est mise en place depuis 1945. La nouvelle « ère nucléaire » interdit les guerres entre les grandes puissances ; pour régler leur compte dans leurs aspirations de domination, l'arme nucléaire ne leur permet que des « guerres par procuration ». Et c'est le cas pour l'Ukraine, une guerre par procuration contre la Russie. Malgré les menaces proférées par la Russie de recourir à l'arme nucléaire, il ne peut y avoir de guerre nucléaire entre les puissances. Pourquoi ? Pour la simple raison que toutes les puissances auraient à perdre ; en moins d'une heure, si une guerre nucléaire se généralise, et chaque camp lance, par exemple, une centaine de missiles nucléaires à moyenne portée et intercontinentaux, ce n'est pas 50 ou 60 millions d'êtres humains qui ont été tués au cours de la Deuxième Guerre mondiale, c'est probablement 500 millions et plus qui disparaîtront de la Terre.

En quelques heures ou quelques jours, c'est 1 ou 2 milliards d'êtres humains qui disparaîtront et non en 6 ans, comme cela s'est passé entre 1939-1945. Plus de capitales, plus de grandes villes occidentales, russes, chinoises, indiennes, pakistanaises, coréennes, israéliennes...

On comprend pourquoi l'Occident est « prudent » ; il « aide » l'Ukraine mais tout en mesurant ses actes ; ne pas aller au suicide planétaire pour l'Ukraine.

Dans toutes les décisions prises en Europe et aux États-Unis, en cas de menace de guerre nucléaire, ce n'est pas l'Alliance atlantique Nord (OTAN) qui décidera, ce sont les États-Unis et non les pays d'Europe qui n'ont pas la puissance des États-Unis ; ils sont la seule puissance nucléaire mondiale pratiquement à parité avec la puissance nucléaire de la Russie. La France et le Royaume-Uni sont certes des puissances nucléaires, mais ne pèseront pas face à la Russie ; en cas de guerre nucléaire, ne prenant en compte tenu que leurs territoires, entre 240.000 et 550 000 km² contre 17 millions de km² pour la Russie, ils seront rapidement saturées par le feu nucléaire russe.

Quant aux arsenaux nucléaires de la France et du Royaume-Uni avec la Russie, il n'y a pas de comparaison ; 200 ou 300 têtes nucléaires contre environ 5.000 têtes pour la Russie, et encore il faut préciser « déclarées ». En 1986, l'URSS avait 40.159 têtes nucléaires contre 23.317 têtes nucléaires pour les États-Unis. (https://fr.statista.com/statistiques/565184/nombre-de-tetes-nucleaires-dans-le-monde-en/) Si l'Occident, toujours mené par la première puissance mondiale, les États-Unis, sur le plan historique, a toujours mené des guerres au Vietnam, en Corée, en Irak, en Syrie, en Afghanistan, la liste est longue, pour ses visées de domination, toutes ces guerres se sont terminées pratiquement par des échecs et des défaites.

La situation est-elle différente aujourd'hui ?

Force de dire que l'esprit de domination des États-Unis n'a pas cessé, conforté aussi par ses alliés, l'Union européenne surtout, on peut se poser, compte tenu que la guerre s'est transformée en guerre d'usure, la question : «Qu'adviendra-t-il de cette guerre qui a assez duré ? Plus de deux ans et demi, la guerre en Ukraine est dans l'impasse. On ne voit toujours pas d'issue à la guerre ; il est peu probable qu'elle va durer ; on peut même dire qu'elle s'essouffle ; l'opération à Koursk dans le territoire russe n'est en fait qu'une diversion ; l'Ukraine ne pourrait pas tenir longtemps malgré l'aide en armements que lui fournit l'Occident.

Quant au recours à l'arme nucléaire par la Russie, il constitue toujours une menace réelle. Et il faut le préciser, si une guerre nucléaire éclate, elle sera très localisée ; ce ne sera pas une guerre nucléaire touchant directement les puissances nucléaires, mais les pays qui ne disposent d'armes nucléaires, et il faut encore le préciser, l'Alliance atlantique ne bougera pas ; les États-Unis, après une ou des frappes nucléaires sur l'Ukraine ou sur un pays de l'OTAN, ordonneront tout simplement la fin de la guerre. Pourquoi ?

Non pas parce qu'ils ne peuvent pas riposter, mais parce que les États-Unis, y compris les puissances nucléaires européennes, la France et le Royaume-Uni, savent que s'ils ripostent par des armes nucléaires contre la Russie, alors que la Russie n'a attaqué qu'un pays de l'OTAN qui ne dispose pas d'armes nucléaires, par exemple, la Pologne, l'Allemagne, l'Ukraine qui n'est pas membre de l'OTAN, dès lors, la guerre passe à un « stade global ». La Russie, alors, frappera les puissances nucléaires occidentales, c'est-à-dire les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.

Ce qui n'est qu'une juste mesure pour la Russie qui est attaquée par des pays dotés d'armes nucléaires. Ce que ne voudront, en aucun cas les États-Unis, le Royaume-Uni et la France qui étaient éloignés du conflit et se trouvent embarqués dans le conflit mais dans le contexte d'une « Troisième Guerre mondiale ».

Aussi, par le danger d'être embarqués dans une guerre nucléaire qui peut se transformer en « Troisième Guerre mondiale », ni les États-Unis ni le Royaume-Uni ni la France n'accepteront de s'engager de prendre fait et cause pour un pays de l'OTAN, attaqué par une frappe nucléaire russe. Certes, ils aideront matériellement, diplomatiquement le pays attaqué de l'OTAN, mais en aucun cas ne passeront à une riposte nucléaire puisque « leurs territoires n'ont pas été attaqués. »

Les trois puissances nucléaires occidentales, dont en premier le pays le plus puissant, les États-Unis, chercheront à raccommoder les relations avec la Russie et imposeront la fin de la guerre en Ukraine ; le pouvoir de Kiev lui-même se trouvant horrifié par l'attaque nucléaire russe, demandera la fin de la guerre.

Tant l'Ukraine que les pays d'Europe centrale et orientale (PECO), ex-pays de la sphère de l'Union soviétique que l'Allemagne, si elle venait à être touchée par une frappe nucléaire russe, comprendront que l'Alliance Atlantique Nord et donc le bras armé de l'Occident ne les protège en aucune façon, en cas d'attaque nucléaire par le camp adverse.

Leur protection par l'OTAN ne reste que sur papier ; or, dans le contexte de guerre avec l'Ukraine qui n'est pas membre de l'OTAN, en cas d'immixtion de pays tiers et même faisant partie de l'OTAN, force de dire qu'ils ne sont pas protégés par les arsenaux nucléaires que dispose l'Alliance. Les trois puissances nucléaires occidentales n'accepteront, en aucun cas, de se trouver entraînés dans une guerre nucléaire, en particulier, avec une grande puissance nucléaire qu'est la Russie. Les conséquences risquent d'être extrêmement graves ; de quelques milliers de tués de part et d'autre en une heure, ce sont des centaines de milliers, voire des millions d'êtres humains qui seront tués en quelques heures. Une telle hécatombe est inacceptable pour les États-Unis, la France et le Royaume-Uni pour le seul conflit russo-ukrainien, alors qu'ils ne sont même pas parties prenantes, aidant simplement l'Ukraine.

Que précisément, il faut le souligner, les trois puissances nucléaires occidentales ont tout fait pour « dégénérer » le conflit, par leur ambition de domination. Aussi comprend-on qu'une guerre nucléaire est impossible avec la Russie. L'Occident sera obligé de mettre fin à la guerre en Ukraine et les régions de l'Est de l'Ukraine annexées par la Russie sur référendums de leurs populations appartiendront définitivement à la Russie.

Cette guerre, cependant, montrera aux pays d'Europe centrale et orientale qui font partie de l'OTAN, les limites de l'Alliance atlantique ; ils comprendront qu'en cas de frappe nucléaire sur leurs territoires par le camp adverse, ils ne seront pas protégés et ne peuvent être protégés ; donc, ils ne devront pas suivre aveuglément l'OTAN ; ils comprendront aussi que c'est dans leur intérêt, et que les ambitions de ceux qui décident en Occident, principalement les États-Unis, ne les servent pas. Ce sera certes un dur réveil pour les PECO, mais la marche de l'histoire de l'humanité qu'ils ne commandent pas est ainsi ; ces pays n'ont pas anticipé les conséquences de la guerre qui a sévi en Ukraine ; aujourd'hui, après plus de deux ans et demi, elle est dans l'impasse.



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