Ne restent dans
l'oued que ses galets…
Capitaine de mon
vaisseau, je ne cherchais qu'à le renflouer. Non à exacerber les difficultés
pour le faire couler. Je mis seulement du temps à comprendre qu'il fallait
mettre au défi mes détracteurs.
Non pas
gratuitement ou par un quelconque machiavélisme dont ils se régalaient
d'ailleurs sans vergogne, mais par simple bon sens.
Partir. Pourvu
que l'Å“uvre demeure. Ce fut pour moi un dur apprentissage que le métier de la
démocratie… Chaque matin, je me présentais au siège de la revue. Un vieux local
aménagé dans la région parisienne. Je prenais souvent le temps de méditer sur
le déroulement de la journée devant une tasse de café. Une fois arrivé au
bureau, j'épluchais les journaux du jour. Là où eurent lieu de sombres
manÅ“uvres et fourbi nombre de coups bas par Khalfoun, mon prédécesseur. Pour
garder son poste. Et pour cause, il était payé trois fois plus que moi.
Par esprit de discipline et pour faire preuve
d'abnégation et d'honnêteté, j'avait accepté d'exercer cette fonction. Mal m'en
prit. Honnête, je ne pouvais concevoir le travail bâclé. J'eus une propension à
faire appel à une certaine forme d'autorité atténuée toutefois par la
participation de mes collaborateurs à la confection de notre canard. Les uns et
les autres selon leurs capacités. A tous était dévolue une tâche précise.
Position difficile que la mienne. Me faire aider par tout un chacun sans
m'aliéner l'amitié de tous. Exercice périlleux. Il m'en coûta une expérience.
Dans mon bureau,
je découpais mon temps en plusieurs parties, réservant le plus clair de
celui-ci à la lecture et à la rédaction d'articles. Pour l'organisation
quotidienne de mon travail, j'évitais la bureaucratisation. Nous étions des
militants de l'information avant tout. Pas de démagogie non plus. Celle-là même
qui était utilisée par certains membres du comité de rédaction, faisant office
du même coup de direction.
La machine marchait à merveille. Sauf
quelques contretemps qui survenaient de temps à autre. Ils étaient résorbés
sans difficulté. En revanche, ce qui m'horripilait, c'était l'inactivité de
certains de mes assistants. Un manque de volonté et d'implication. Surtout
Nadia. Elle se contentait à longueur de journée de découper et de classer les
articles parus dans la presse nationale et internationale. Sans plus. Quand je
pris possession de mes fonctions, je lui fis part de ma désapprobation. Dans un
climat amical et serein. Difficile de reconvertir quelqu'un à une autre tâche.
Je lui appris à être utile. D'autres diraient plus efficace. Dorénavant, pour
elle l'archivage des articles devait être réduit au profit d'un travail plus
rationnel : préparer des dossiers de presse pour les journalistes permanents.
Cette documentation leur facilitait la rédaction de papiers répondant aux
besoins du moment.
Plus difficile
fut d'aborder le problème de la modification de la mise en page. Le maquettiste
était d'un caractère irascible. Plus, il était susceptible jusqu'au chantage.
Je pris un soin particulier pour apprivoiser cet animal en mal de
reconnaissance. Après plusieurs séances de travail avec lui, il fut convenu de
s'inspirer des autres revues. Le choix des photos et des caractères, la
disposition des titres et des colonnes furent désormais à l'ordre du jour. Il
échappa graduellement à Mamoun, notre metteur en page. Un léger mieux
s'ensuivit. Je fis part à celui-ci des félicitations du comité de rédaction,
mais aussi de nos recommandations. Tactique que je considérais comme un
exercice périlleux. Une mise en garde sévère lui fut adressée. Soit il donnait
satisfaction, soit sa place était compromise. Il réagit violemment. Prévisible.
Il n'était plus question pour lui de venir à la revue pour s'enfermer trois ou
quatre jours dans la pièce où il travaillait. Une sorte de bunker. Malgré lui,
il finit non par admettre ou accepter mais par apprendre à contre cÅ“ur de
nouvelles règles du jeu.
Auparavant, les bromures corrigés lui étaient
servis avec des photos correspondant au contenu des articles et le sommaire par
le responsable de la revue. En échange de quoi, Mamoun obtempérait aveuglément
aux desiderata de Khalfoun. Lequel n'avait cure de la qualité des papiers.
Encore moins de l'esthétique. Sa fonction devint, d'une certaine manière, un
avant poste composé pour l'essentiel de personnes incompétentes. Il leur
demandait une obéissance sans borne, voir une allégeance. Un calife des temps modernes.
Il fut détrôné. Après maintes tergiversations, il est vrai. Ses acolytes
partirent avec lui.
D'autres embûches
allaient naître de cette situation. Il me fallut d'abord, à l'aide de deux
membres attitrés du comité, Moh et Ali, faire face à la prétention de Amer, un
ambitieux à la grande gueule. Je rivalisais d'ardeur au travail pour m'imposer
comme le seul candidat sérieux au poste vacant. Moh et Ali me soutinrent dans
ce labeur. Le prix à payer plus tard pour cette aide acheva de me dégoûter de
la revue et de ses avatars. Machiavéliques, ils rangèrent leurs calculs sous
des sourires aimables. Médiocres à souhait, ils ne purent gérer la machine que
grâce à du personnel recruté à leur dévotion. La technique du chef déchu et
tant décrié…
Il me fallut ensuite
réorganiser le réseau me permettant d'avoir des articles ponctuels, d'actualité
ou de fond. Forger une équipe de la trempe des grands journaux, tel fut mon
credo. Un credo rapidement oublié. Dans les oubliettes car il se révéla
démesuré et prétentieux, devant l'indigence de nos moyens. Ce fut une gageure
de ma part. Nonobstant cela, je pus tant bien que mal éviter le pire. Contraint
de me confronter à la dure réalité pour que la machine ne se grippât point. Là
aussi, je rivalisais d'ingéniosité pour éviter à mes collaborateurs de sombrer
dans la médiocratie ambiante. Des contacts personnalisés, après les huit heures
de travail. Rien de tel pour fortifier les liens de confiance. Je m'étais
épuisé en efforts pour éviter des dépenses supplémentaires. Khalfoun ne s'en
souciait guère. Il travaillait quatre heures par jour au bureau, le reste était
confié à des collaborateurs occasionnels.
Je résolus de transformer mon angoisse
naissante en énergie. Potentiellement, elle l'était. J'avais changé de bout en
bout de tactique, en choisissant l'offensive plutôt que le repli. Subversif et
non être à la recherche de ma subsistance. Mon nouveau credo : le sérieux,
l'organisation, la répartition des tâches et la programmation des échéances à
respecter par tout un chacun. Je pris la peine de mettre de côté ma révolte.
Une pulsion d'écorché vif. Ne plus perpétuer une dette que je devrais à Moh et
Ali. Vint le succès avec l'amélioration du contenu de la revue, esthétique
compris. Les chapeaux s'inclinèrent. Pas pour longtemps. Désormais, mes gestes
étaient épiés, mes paroles traduites devant le tribunal de l'exégèse. Articles,
photos, titres et maquette et tout ce qui s'ensuivait fut de mon ressort. En
réunion hebdomadaire, j'informais les autres membres de la rédaction. En
réponse, ils se liguèrent contre moi. Les vives qualités intellectuelles que
chacun me prêtait furent remplacées par un sentiment proche de la haine. Je
devins un gêneur. L'homme à abattre. Après avoir été l'homme de la situation.
En bon
philosophe, imbu de modestie et de rectitude morale, je cultivais la dérision à
l'égard des uns et des autres. Avec la répartie foudroyante et l'humour à toute
épreuve, j'étais bien parti. Pas pour longtemps. Je ne pus résister outre mes
forces. Les revers de fortune me meurtrirent. Les compromis m'affectèrent. Je
pansais mes plaies et je tenais au secret mes cicatrices. J'éprouvais cependant
un boulimique appétit de travailler juste, vite et bien. J'ai toujours
considéré comme inadmissible l'attitude de ceux qui ont contribué à instituer
des principes à être les plus prompts à les fouler aux pieds. Alors qu'on en
exigeait le respect par les autres collaborateurs : rédacteurs, pigistes et
traducteurs. Maintes fois, les membres du comité de rédaction remettaient leurs
papiers à des dates impossibles. Car les lire, les composer, les corriger et
les mettre en page excluait les retards impardonnables. La déontologie la plus
élémentaire recommandait d'avertir à l'avance des défaillances. Tel ne fut
quasiment jamais le cas, malgré mes avertissements réitérés. Plus que cela.
L'opportunité des articles et leur conformité à la ligne générale défendue par
la revue me furent disputées par mes détracteurs alors que j'étais censé
représenter le comité durant les intervalles séparant leurs réunions. Cela
posait sérieusement le problème de la direction collégiale, principe des plus
justes s'il en fut.
Dur apprentissage de la démocratie. En exil.
Dans la gueule du loup, dirait Kateb Yacine. Le penchant de tout un chacun pour
l'hégémonie prit le dessus. Chez Ali, cela crevait les yeux tant il en fit sa
nature première. Ce fut le début de la fin. Tacitement reconduite. Tout au long
des semaines, la guerre froide occupa le devant de la scène. La déliquescence
pointait à l'horizon. Les mouches du coche de la démocratie étaient nées.
Chacun d'eux s'évertuait à vouloir juguler son travail. A le phagocyter.
Flatter «le
zaïm». Tel fut leur mot d'ordre. Leur priorité première. Le chef devait être
comblé de flagorneries. L'exercice de la responsabilité, avec la confiance des
autres, n'était plus de mise pour moi. Une autre aberration vint s'ajouter au
calepin de ces apprentis dictateurs. Je fus interdit de plume ! Un blocage
systématique de mes articles jugés trop « théoriques ». Leurs papiers à eux ? Des
tables de Moïse à mettre sur nos tables de chevet et à psalmodier. La dilution
des responsabilités tant décriée frappait à la porte pour y faire irruption.
D'une manière fracassante.
Pour moi, seule
comptait l'efficacité du travail accompli. En dehors des joutes oratoires
auxquelles ils se livraient et des rixes fractionnelles que les uns et les
autres semblaient tant affectionner. Un avant goût d'amertume naquit en moi.
J'étais entre l'abîme et le réel. Le début de la fin assurément. Il ne leur
suffisait plus de taper sur les amis d'hier. Il leur fallait durer par la
permanence d'une hypocrisie, celle là même qui fut reprochée aux «éléphants »
de l'ancienne direction et dont Khalfoun était le maillon faible. Vaincre cette
vieille génération inculte et habituée aux intimidations ou à la récupération
des jeunes loups pressés. La carotte ou le bâton. Leur silence et leurs mines
affectées renfermaient le mensonge et la ruse. Faire basculer la gérontocratie
pour s'installer dans ses habitudes. Tel fut leur nouveau mode de gestion.
Petit à petit, vaincu par mes principes, je résolus alors de m'effacer
définitivement. Jusqu'au jour de l'effondrement de notre canard. Ils le
voulaient. Ils l'ont eu. Pour le maintenir en vie, ils appelèrent à son chevet
une rescousse d'amis. L'agonie était malheureusement proche…
Comme le dit si
bien le proverbe : Ne restent dans l'oued que ses galets…
*Auteur-Avocat
Algérien
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 22/04/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ammar Koroghli *
Source : www.lequotidien-oran.com