Dubitatifs

Il y a ceux qui, dans l'expectative, préfèrent observer, commenter, analyser, déblatérer, puis lancent, avec une moue : «Ce n'est pas facile de tout reconstruire.» Lovés dans leur fauteuil, leur smartphone à la main, ils regardent les millions de compatriotes, dehors, investir les rues du pays. Ils scrutent les slogans, les décortiquent. Admiratifs, impressionnés, ils le sont, ne croyant pas à ce réveil citoyen. Ils redécouvrent le peuple. Ils sont néanmoins sceptiques, frileux, inquiets pour l'avenir. Mais, chaque vendredi, ils sont encore plus épatés, moins soucieux, plus ravis, moins pessimistes, plus rassérénés. Néanmoins dubitatifs, ils s'expriment : «Oui, mais... Oui, c'est une révolution, mais il faut aller jusqu'au bout. Il faut retrousser ses manches et cravacher dur. Ce qui n'est pas une mince affaire.»Une ambivalence de sentiments les tiraille. Ils ne sont pas encore sortis dans la rue, ne se sont pas mêlés à la foule, ils veulent franchir le pas, mais sont encore pétris de ce défaitisme qu'on leur a inculqués depuis des lustres. Ils regardent de loin ces millions d'hommes, jeunes et moins jeunes, des enfants, heureux et tous solidaires. Ils admirent toutes ces vieilles dames, ces adorables petites filles, ces adolescentes aux visages radieux de beauté, ces femmes d'une élégance sans pareil qu'un taré menace de les tenir cloîtrées chez elles, en jurant de leur jeter du vitriol. J'hallucine ! Et bien, tout ce fascinant paysage a réussi à les faire pleurer !