Algérie - Parutions de livres sur la politique

Du militant politique au dirigeant militaire, (1946-1962) de Ali Kafi, 2002



Du militant politique au dirigeant militaire, (1946-1962) de Ali Kafi, 2002
Fragments de mémoires sur la paume de la main
De fait, ces Mémoires portent sur un passé de plus de cinquante ans de vie.

Car pour Ali Kafi, auteur et personnage central du présent ouvrage, intitulé Du militant politique au dirigeant militaire - Mémoires (1946-1962) (*), il fallait d’abord rappeler et expliquer aux lecteurs ce qui l’avait naturellement préparé à sui-vre le parcours du militant nationaliste puis à participer à la lutte de libération nationale dans les rangs de l’ALN. Il s’agit donc d’une autobiographie, et dans celle-ci, tout spécialement, chaque détail conté compte.
En effet, dans son avant-propos à l’ouvrage, l’auteur écrit: «Je souhaite que cela apporte une pierre de plus dans l’écriture de l’histoire de notre révolution, et un exemple à suivre d’une intense expérience de militantisme nationaliste, pour autant qu’à travers ces Mémoires, j’ai tenté de dévoiler certaines vérités sur la révolution algérienne qui sont rendues publiques pour la première fois.» Voilà ce qui tire l’oeil.
Bien évidemment, l’auteur est connu de tous les citoyens algériens puisqu’il a été, en janvier 1992, membre du Haut Comité d’Etat et en est devenu le Président après l’assassinat de Mohamed Boudiaf. Néanmoins, en lisant son autobiographie, il nous intéresse davantage par les émotions qu’il a vécues et qu’il tente de nous faire partager. Là, certes, il n’a pas d’autorité, il n’a plus d’autorité pour s’imposer lui-même physiquement, mais il s’évertue à avoir du coeur et de l’humilité pour faire croire à ce qu’il dit et à ce qu’il a vu. Cela transparaît agréablement dans plusieurs pages. Car si même le texte original de ce livre est en arabe - une copie, dit-on, ne ressemble jamais à l’original -, une impression de sincérité se dégage des lignes et d’entre les lignes. Et elle est bien restituée par le traducteur Dahmane Nedjar et par la révision de la version française par Casbah-Editions. Toutefois, signalons que quelques imprécisions demeurent gênantes dans le développement de certaines parties du récit et que quelques enchevêtrements de souvenirs sont inattendus et inexpliqués dans le cours des événements. Si dans le récit arabe, certaines tournures, certaines variations de phrases incessantes, certaines subtilités de style sont peut-être indispensables au génie de la langue arabe et à la langue de l’auteur, elles sont, à notre sens, encombrantes, lourdes, obscures lorsqu’elles réapparaissent sciemment ou non dans la traduction.
«Pourquoi ces Mémoires paraissent-ils, en ce moment précis?» Ici l’auteur devance son lecteur. Il estime que «les générations montantes ressentent un grand besoin de savoir ce qu’ont accompli leurs devancières comme réalisations grandioses, de même qu’elles ont besoin d’accéder aux vérités et aux informations de la bouche même des concernés, de manière à relier les chaînons de la marche historique de notre peuple (...) De même, il y a le besoin des historiens, des analystes et des chercheurs, de disposer des témoignages des hommes qui ont participé à la création de l’événement dans notre nation arabe afin de comprendre l’histoire de notre Ouma (...) Quelle que soit la valeur du témoignage que je présente aujourd’hui, il constitue un complément aux témoignages de ceux qui m’ont précédé dans cette tâche.» Oui, l’écriture de l’histoire de notre pays a grand besoin de témoignages sincères. Et c’est bien le moment de rendre à la Vérité sa vérité.
Allons donc pour une lecture attentive de cette oeuvre où Ali Kafi, fils du cheïkh El Hocine, est né le 17 octobre 1928 (demain, il aura 76 ans: bon anniversaire !) au lieu-dit «M’Souna», dans une famille «se rattachant à la zaouïa «Rahmania» et connue pour sa résistance à la colonisation française.» Enfant, il est élève de son propre père qui refuse de l’envoyer à l’école française et lui apprend le Coran. A l’âge de 17 ans, les massacres du 8 mai 1945 l’ont marqué. L’année suivante, il se rend à Constantine pour étudier à l’Institut El Kettania («L’Institut Ben Badis, écrit-il, n’acceptait pas d’étudiants affiliés au PPA et ceux suspectés d’être liés à ce parti étaient expulsés») et où, malgré cet interdit, il constitue avec un petit groupe de disciples sûrs, une cellule du PPA. Quelque temps après, «Au milieu de l’année 1948, il voit arriver dans cet Institut, un étudiant dont les traits et la physionomie trahissaient son origine rurale paysanne.» Ali Kafi écrit: «On aurait dit qu’il redoutait le milieu citadin. Il était modestement vêtu d’un burnous. Il avait rencontré des difficultés pour entrer à l’Institut et nous étions intervenus pour faciliter son inscription. J’ai tenté de nombreuses fois de le convaincre de nous rejoindre dans notre mouvement, mais à chaque fois j’essuyais le même échec. Un jour, il me confia la raison de son refus: «Mon père m’a envoyé ici pour étudier, non pour faire de la politique.» Ce jeune homme s’appelait Mohamed Boukharouba.», le futur Houari Boumediene.
Muni de son diplôme «El Ahlia» et gagné par le désir de parfaire ses études et de compléter sa formation politique au service du nationalisme algérien, Ali Kafi se rend à Tunis, avec des camarades, pour étudier à la célèbre «Ezzitouna» et pour vivre la résistance tunisienne à la présence française. L’une de ses participations héroïques à une action nationaliste tunisienne est celle de la transmission de documents confidentiels au représentant tunisien aux Nations unies, à New York. Puis, il est bientôt expulsé de Tunisie pour une histoire d’un individu portant le même nom que lui. De retour à El Harrouch, ses activités de militant nationaliste deviennent de plus en plus importantes, avec cependant des temps de pause. Mais au printemps 1954, son destin lui apparaît sans ambiguïté jusqu’au déclenchement historique du 1er Novembre 1954.
Ensuite, le vrai lecteur continuera, sans se lasser, à suivre seul des yeux, sur plus de 400 pages de souvenirs et de documents annexés, le récit d’Ali Kafi ou plutôt les récits d’Ali Kafi - car il y a tellement d’épisodes où l’auteur se dévoile avec pudeur - sur les débuts de la Révolution (du 1er Novembre 54 au 20 Août 55), sur sa rencontre avec Didouche Mourad, avec Zighoud, sur les exploits des moudjahidine et des moudjahidate, sur le Congrès de la Soummam (20 Août 55 au 20 Août 56), sur les rapports entre l’Intérieur et l’Extérieur, sur De Gaulle, la «bleuite» et l’affaire Abane (de mai 58 à février 59), sur la Wilaya 2 face aux réalités du terrain (1959-1960), sur l’EMG, les Colonels, le CNRA (1959-1961), sur le 4e CNRA et l’enracinement de la crise (1961-1962), avec une analyse de la situation à la veille de l’indépendance.
Après cette longue lecture de l’autobiographie d’Ali Kafi Du militant politique au dirigeant militaire - Mémoires (1946-1962), un épilogue assez amer pose une question lancinante. L’auteur n’hésite pas à en faire sa conclusion et par écrit: «En définitive, et face à l’armée de libération nationale entrée avec héroïsme et courage dans l’histoire, ne reste-t-il de la révolution algérienne rien d’autre qu’une course acharnée pour la conquête du pouvoir?»


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