Algérie

du haut de ce belvédère…



Tel un sphinx, son imposante carrure dépenaillée par les morsures du temps s'impose à la vue d'où que l'on se place et semble se morfondre stoïquement dans l'indifférence de la Medina sur laquelle il croit toujours veiller.

« Enfin une troisième crête, la Dalat elyhoudi (la côte du Juif), en arrière des deux autres vers l'ouest, devint le fort Cavaignac, lors de notre installation en 1849-50…» Ainsi l'avait situé et daté dans ses mémoires le commandant CAUVET, l'un des officiers-historiens de la colonisation.

 L'implantation du fort à cet endroit précis n'était pas fortuite. En observant la configuration générale du terrain, on se fait une idée sur les raisons qui ont déterminé son choix. A l'évidente situation géographique à la confluence des routes traditionnelles vers le grand sud s'ajoutent les réelles possibilités défensives offertes par une longue épine rocheuse qui traverse le site sur lequel allait s'édifier rapidement l'une des plus grandes garnisons de la région. A son extrémité nord-est se trouve un piton rocheux plus haut bordé à l'ouest par une falaise abrupte surplombant l'ensemble du paysage. Sa position juste en face de la médina le prédisposait tout naturellement à devenir un point stratégique pour dominer le cÅ“ur de la ville arabe construite autour de la mosquée de son saint patron, Sidi Thameur, sur une sorte de plateau au relief tourmenté situé en contrebas. C'est là que les stratèges de l'armée d'occupation installèrent un poste de vigie pour surveiller les mouvements de la citée indigène maintenue en ébullition larvée par les résistants tels Benchabira et ses nombreux compagnons. Même les déplacements de la population autochtone dans la steppe environnante n'échappaient pas à la vigilance des guetteurs qui se relayaient au sommet de la tour principale. Une épaisse muraille truffée de meurtrières, capable de résister aux assauts les plus fougueux, protégeait ce camp qui allait vivre en autarcie et regrouper tous les corps de métier nécessaires aux missions de l'importante garnison chargée d'assurer la logistique indispensable aux multiples colonnes qui s'élançaient vers le sud à la conquête de nouveaux territoires.

CAUVET écrit à cet effet que «Bou-Saâda commande toutes les routes qui mènent du Hodna occidental dans le Sahara de l'Oued Djedi par les passes de BOUK'HIL, elle tient les routes qui mènent au Djebel Amour soit par Djelfa soit par Laghouat. Son importance était donc extrême pour les conquérants venant de l'Est et qui avaient à refouler incessamment les nomades qu'ils avaient dans le principe rejetés dans les déserts du Sud»

 Au sujet «du guêpier de Bou-Saâda»comme il le qualifiait, CAUVET poursuivit: «Le gouverneur général Charan avait en effet conçu le projet de créer un poste à Bou-Saâda que l'on savait fortement travaillée à ce moment par le parti anti-français poussé par les SENOUSSISTES…» dont un illustre représentant: si Mustapha, le frère de l'Emir Abdelkader venu lever et organiser les renforts en armes et en hommes pour l'armée de l'Emir avait séjourné plusieurs fois au sein de la tribu des Ouled-Sidi-Brahim à quelques encablures de la ville.

 La région fut difficile à contrôler malgré le peu de moyens entre les mains des combattants qui n'arrêtaient pas de harceler l'envahisseur et à s'opposer héroïquement aux assauts répétés des hordes ennemies mieux équipées. D'après les différents témoignages, il a fallu plusieurs batailles sanglantes et une longue période de troubles latents avant que la citée ne fût soumise et l'administration militaire mise en place pour asseoir l'autorité de la colonisation.

 Même si les soulèvements d'une population terrassée par la précarité et la répression faiblissaient d'intensité, les autorités militaires redoublaient de prudence.

 Malgré le quadrillage d'une ville exsangue soumise aux règles drastiques de l'état de siège, les braises de l'insurrection étaient toujours incandescentes dans les différents quartiers indigènes où l'esprit de révolte bouillonnait.

 La surveillance de la cité était assurée par des miradors élevés aux quatre coins de la caserne, dont le plus important avait l'aspect d'une imposante tour carrée qui permettait de balayer du regard une grande partie des terrasses de la ville, les ruelles et avoir une vue plongeante sur les jardins de la palmeraie et une partie de l'oued.

 Avec une longue vue, on pouvait apercevoir facilement, au loin, les salines du Hodna, les étendues sablonneuses des Ouled Sidi Hamla, la steppe des Houamed et Ouled Madhi, les piémonts d'Eddis ou le massif boisé de Messaad en passant par les gorges qui s'enfoncent en amont de l'Oued vers les Meragsa d'El Allig et les Chorfa d'El Hamel.

Une grande horloge ornait la plus haute tour du fort Cavaignac qui prit pour cette particularité le nom familier de Bordj Essaa (la tour de l'horloge). Pendant une longue période, elle était le témoin privilégié de l'écoulement du temps dans la ville et ses proches alentours pour ceux qui s'intéressaient aux horaires des différentes activités, telles les prières ou l'irrigation dans les jardins de la palmeraie. C'est elle aussi qui commandait à l'obusier de faire feu pour annoncer la rupture du jeûne lors du mois sacré du Ramadhan. Son carillon accompagnait les insomniaques en égrenant les heures lors des longues veillées et était entendu à quelques kilomètres à la ronde.

La caserne abrita plus tard une école militaire pour les enfants de troupes dont les pensionnaires venaient de différents horizons, même d'autres pays anciennement colonisés par la France. On rapporte que quelques-uns de nos grands responsables avaient entamé leur préparation à une carrière militaire dans cette caserne.

 Un hôpital rendu célèbre par l'un de ses médecins, Etienne SERGENT, qui y découvrit le sérum anti-scorpionnique, jouxtait l'école et assurait sa mission sanitaire pour les militaires et les quelques Européens et Juifs venus s'installer à l'ombre des baïonnettes dans une région laborieusement pacifiée à coups de canon.

 Néanmoins, la résistance ne s'est jamais estompée complètement malgré la brutalité sauvage et l'absence dramatique des moyens de combat. Les épopées des héros des insurrections successives étaient chantées dans toutes les chaumières.

 Qui n'a pas entendu les anciens évoquer avec beaucoup de nostalgie et d'admiration l'histoire de «Boubreyt» des Ouled Ameur, l'une des grandes tribus de la région qui infligea une défaite cinglante aux troupes coloniales lors d'une mémorable bataille où le général Beauprêtre fut blessé. C'était le jour de l'Aïd, précisait le poème épique !

 Si Ahmed BEN ELBEKAY, une autre figure légendaire, immortalisa le nom de Messaad dans les annales de la résistance héroïque des Ouled-Ferradj et la victoire contre le régiment du lieutenant de Marelles qui fut tué du côté de Dermel en 1914.

 Une triste réputation accompagnait l'évocation de ce fort, tellement il était difficile de dissocier son image du calvaire des cohortes de prisonniers qu'on ramenait après chaque razzia et qu'on utilisait pour les travaux forcés dans la construction de toutes les infrastructures nécessaires à l'installation et au séjour de l'occupant.

 L'appartenance des ossements humains, qu'on découvre jusqu'à aujourd'hui aux alentours immédiats de cette caserne à chaque fois qu'on lance des travaux d'excavation ou de terrassement, n'a pas encore été déterminée. D'aucuns essaient de l'expliquer en l'attribuant à une quelconque période ou phénomène social telles les épidémies qui ne manquaient pas à l'époque et décimaient des tribus entières. Mais comment justifier cette localisation ? Un véritable cimetière musulman suivant l'orientation des tombes se trouve en contrebas de ce promontoire mais le mystère de ses origines demeure entier. Certains n'hésitent pas cependant à prétendre qu'il s'agit des sépultures des parias que l'armée capturait lors des opérations de «maintien de l'ordre» et qu'elle enterrait dans ce terrain qui servait de no mans land séparant les différentes communautés vivant dans la cité. Une page que les spécialistes de l'histoire pourraient peut être mieux éclairer.

Après le recouvrement de l'indépendance du pays, l'hopital continua à fonctionner pendant un certain temps mais le reste des dépendances fut désaffecté et livré à la dégradation causée par l'inoccupation et donc le manque d'entretien. L'horloge s'arrêta et ses mécanismes disparurent progressivement. Seuls quelques fragments du cadran résistent encore impavidement aux effets des aléas de la nature. Plusieurs tentatives de la remettre en marche ont fini par s'embourber dans les méandres de la bureaucratie et être curieusement abandonnées après les premières démarches!

 Le fort continue à se délabrer inexorablement et une douloureuse page de la mémoire de la région menace de disparaître stupidement avec les pans glorieux de la résistance des Bou-Saadi à la pénétration de l'occupant dans la région.

Les prémices d'une réelle volonté de prendre en charge la restauration des lieux se dessinent cependant ces derniers temps avec plus d'acuité pour peu que ce fort, notamment dans sa partie nord, soit tout de suite versé dans le patrimoine touristique de la ville et valorisé. Reste à définir donc son statut juridique définitif et son appartenance

 Une équipe de paysagistes et d'architectes pourrait le transformer en un espace propice à la culture et aux loisirs, au grand bonheur de la population et de ses nombreux hôtes. Il part avec l'avantage certain d'avoir déjà une âme, contrairement à la froideur des anonymes maisons de la culture, dont la plupart sont livrées aux ballets des araignées faute d'activités pertinentes.

 Bordj Essaâ prendrait l'aspect d'un superbe belvédère d'où l'on pourrait, dans une ambiance conviviale, s'adonner aux plaisirs de l'art tout en contemplant le panorama merveilleux des fameux couchers de soleil dont la palette des couleurs féeriques a subjugué plus d'un artiste, entre autres, le plus connu d'entre eux : N. DINET.

Les amoureux de la nature projettent déjà de créer un club d'astronomie pour commencer.

* Les passages en italique sont puisés du document historique n°57176 de la Bibliothèque Nationale concernant un rapport établi par le Commandant Cauvet intitulé «L'OCCUPATION ROMAINE DE BOU-SAADA «mis gracieusement à notre disposition par celui qu'on appelle la mémoire de la région: M. BOUDIAF Ahmed. Qu'il en soit remercié.








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