Algérie - Revue de Presse

Draoua Habib Un grand pan de l'histoire du football algérien



Jusqu'à preuve du contraire, c'est le doyen des footballeurs algériens qui se sont illustrés dans les décennies 30 et 40. Du haut de ses 94 ans (il les fêtera cette semaine) Hadj Habib Derbouz Draoua est toujours parmi nous, entouré de la chaude affection de ses enfants, à El-Hamri, le quartier qui l'a vu naître. Comment ne pas évoquer cette énorme carrière sportive, humaine et politique étalée sur plus d'un demi-siècle ? Effectivement, on peut vous certifier que son «parcours» aura été très riche en événements marquants et, parfois, historiques. Comment le jeune Habib, si doué et déjà bien bâti pour ses 14 ans, pouvait-il échapper à l'oeil perspicace du fameux Sadek Boumazza, l'homme à tout faire, cofondateur et véritable tête pensante de l'USMO ? Aussi de la rue du Figuier à Médina Jedida au terrain vague «Dara», ce creuset où se sont épanouis tant de joueurs, au siège du club en Ville Nouvelle, les quelques centaines de mètres furent vite franchis pour parapher la première licence. Le passage dans les différentes catégories s'effectue sans anicroche jusqu'en seniors où il est titularisé à l'âge de 20 ans. L'environnement était des plus favorable, puisqu'à l'école Pasteur de Médina Jedida, il y avait Baghdad, Nafi, Firoud, Gnaoui, c'est-à-dire ses futurs coéquipiers. Très modeste, au cours d'une interview accordée en 2001, il avait dit : «C'était un grand honneur de faire partie de cette équipe qui s'est affirmée comme la meilleure de l'Ouest, et l'une des plus en vue à travers l'Afrique du Nord. Je me souviens que nous avions fourni de grands matches contre le SCBA, le CDJ, le CALO, le GCO, l'AGSM, l'ISM et l'AS Marine Oran. Nous les avons souvent battus et ce, en dépit du fait que ces clubs bénéficiaient de gros moyens. C'est que nous étions animés par une volonté farouche». Draoua progresse très vite, à tel point que sa renommée dépasse les frontières. Et c'est ainsi que des dirigeants du Havre décident de le rencontrer et de l'engager dans leur effectif. En ce temps-là, les parents étaient plutôt du genre possessif et ne tenaient pas à se séparer de leurs enfants, même après leur majorité. Le jeune Habib, à l'amour filial très prononcé, a dû batailler ferme pour obtenir le feu vert de ses géniteurs. En retour, avec la prime de signature, il a acheté une grande maison à ses parents, celle où il réside actuellement ! Il confiera plus tard à ses enfants qu'avec la dite prime, il aurait pu acquérir trois habitations au centre-ville. Délaissant la belle mélodie dédiée aux unionistes champions d'Oranie, Draoua débarque au Havre où l'entraîneur Schneiter le titularise d'entrée au poste de demi-droit. Dans cette équipe du HAC, il y avait plusieurs internationaux, tels Jasseron (France), Vita (Autriche), Schelgel et Tiguéro (Suisse), avec une accession à la clé où le rôle de Draoua fut déterminant. Afin d'avoir une idée de ses performances et des bons souvenirs qu'il a laissés, il était question, après la fin de la guerre en 1945, de rappeler Draoua qui était pourtant en Tunisie, comme entraîneur joueur ! C'est que l'enfant d'El-Hamri, dès le déclenchement de la «drôle de guerre», fut mobilisé et affecté à Bizerte, en Tunisie. Mais, même en temps de guerre, le football, phénomène social, n'est jamais très loin, comme en témoignent les tournois et autres coupes fédérales. Les dirigeants de l'ES Tunis firent signer Draoua, ce qui permit à ce club de ravir le titre 1939 avant d'être concurrencé par les ténors de ce temps-là, à savoir le CA Bizertin, le Club Africain et le CS Hammam-Lif. En 1946, à 32 ans, comme entraîneur, il fait accéder le Stade Tunisien où il restera cinq saisons avant de passer au CS Hammam-Lif où il connaîtra de grands succès avec des doublés coupe-championnat. C'est alors qu'il est nommé entraîneur de l'équipe nationale de Tunisie, un poste qu'il occupera, pratiquement, durant une quinzaine d'années, un authentique record ! Il a eu sous sa coupe de sacrés joueurs, tels Ayachi, Manoubi, Kanoun, Chetali, Majeri, Brahim Kerrit, Hénia, Habacha, Sassi, Attouga et même Zerga (au MCA après 1962). Un beau parcours en vérité. Coéquipiers Au cours des dix années passées à l'USMO, Draoua a côtoyé un des grands footballeurs qui ont écrit les plus belles pages du club. On citera Baghdad, Nafi, Makhbouza, Bouakeul, Berrak, Berkani, Gnaoui, Bencherab, Osmane, Saïd, Fouatih I et II, Martinez, Soudani, Mokhfi, Saffa, Bacha, Gorine, Boudjellal I, Tekkouk, Serradj, Hamde, Boualem, Zellat, Tedjini, Martinez I et II, Drider, El-Andalousi, Beniaro, Mokhtari, Firoud et Maâmar Miloud. Ils sont nombreux à avoir connu les honneurs de la sélection, à une époque où la concurrence était très forte. Jubilés En Algérie, les jubilés des footballeurs ne se comptent plus. Et pourtant, beaucoup d'anciennes gloires ont été oubliées. C'est contre cet oubli que milite l'association «El-Badissia» d'El-Hamri présidée par Nouba Benabdallah. Cette association a honoré plusieurs vieux champions victimes de l'indifférence et Draoua fait partie de ces oubliés. Les Tunisiens, eux, n'ont pas commis cet impair malgré les années et l'éloignement. A méditer... Retrouvailles En 1985, Draoua a retrouvé à Tunis l'un des descendants du Bey qui, victime des vicissitudes de l'existence, s'est «reconverti» en restaurateur. Vieilles connaissances, les deux hommes, après s'être perdus de vue, durant de nombreuses années, sont tombés dans les bras l'un de l'autre. Ces retrouvailles furent très émouvantes, l'ancien «prince» se déclarant cependant heureux de mener une vie paisible de simple citoyen. L'ermite Il y a quelques années, lors d'une visite de courtoise au domicile de Hadj Draoua, notre regard s'est posé sur une caricature encadrée où un dessinateur de talent a «croqué» de façon inattendue le maître des lieux sous la silhouette de Charlie Chaplin, mondialement connu sous le nom de Charlot. Quel était donc le lieu reliant le célèbre acteur au footballeur d'El-Hamri ? L'explication nous a été donnée par son fils Sami. «Oui, et comme tout le monde le sait, mon père est du genre fataliste et n'a jamais réclamé quoi que ce soit auprès de qui que ce soit. Le plus souvent, même en cas de conflit, il préfère se taire, quitte à perdre ses intérêts. C'est pourquoi cet artiste a choisi pour mon père la silhouette de Charlot qui était le roi du «muet» ! Muet. Voilà, tout... est dit sur Hadj Draoua, le plus modeste des modestes. Enfant exemplaire entièrement soumis à ses parents, il accepte tout de go, et sans discuter, le contrat proposé par les dirigeants du Havre. En Tunisie, il bat tous les records de durée à la tête des clubs et de l'équipe nationale, grâce bien évidemment aux excellents résultats obtenus, mais également en raison de son caractère conciliant dans toutes les situations. Saïd Amara, qui le connaît mieux que personne, a dit de lui, «Hadj Draoua a toujours été victime de sa modestie et de l'oubli des grands actes qui marquent l'histoire. L'équipe du FLN se demandait ce qu'elle allait devenir. Il a fallu l'intervention de Hadj Draoua auprès des hauts responsables tunisiens et même jusqu'au Président Bourguiba pour faire ressortir l'utilité des matches opposant les équipes tunisiennes à l'équipe FLN. Remonter à la source revient de reconnaître la part de Hadj Draoua et son importante influence pour la conclusion de ces matches, pour sensibiliser les Tunisiens et leur faire prendre le risque relevant de l'engagement politique et moral, d'être en rupture avec la FIFA». Dès avril 1957, il était l'entraîneur de la première équipe algérienne amateur, avant d'être directeur technique de l'équipe de l'ALN avec Benelfoul, alors que son apport au profit de l'équipe du FLN est attesté par de nombreux témoignages. C'est lui qui a porté le drapeau algérien aux Jeux Panarabes de 1957 à Beyrouth au prix d'une saga trop longue pour être racontée en détail. C'est un événement historique attesté par des documents et des photos. A l'automne d'une vie bien remplie, Hadj Draoua est en paix avec lui-même, laissant aux autres le soin de reconnaître que, dans tous ses actes, il était dans le vrai, faisant les bons choix, ceux que lui dictait sa conscience d'homme d'une probité absolue. Son corps fatigué ne répond plus. Il ne sort plus. Mais «l'ermite d'El-Hamri», comme on osera le qualifier, baigne dans une chaleureuse affection familiale, entouré et veillé par tous ses enfants. Ils savent, eux, quelle était l'envergure de leur père.


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