Algérie

Dr Nawel Krim et Pr Youcef Immoune, cofondateurs du Colloque international Rachid-Mimouni : «L’œuvre de Mimouni fait encore sens aujourd’hui au vu de notre situation sociale, économique et politique»



Dr Nawel Krim et Pr Youcef Immoune, cofondateurs du Colloque international Rachid-Mimouni : «L’œuvre de Mimouni fait encore sens aujourd’hui au vu de notre situation sociale, économique et politique»
Dr Nawel Krim et Pr Youcef Immoune, cofondateurs du Colloque international Rachid-Mimouni : «L’œuvre de Mimouni fait encore sens aujourd’hui au vu de notre situation sociale, économique et politique»
L’oeuvre de Rachid Mimouni fait encore sens. Elle est, à juste titre, visionnaire. L’univers romanesque de l’auteur du «Fleuve détourné» et de «Tombéza» est porteur d’une vue juste de la situation et ne peut que la projeter par anticipation dans un devenir qui ne peut que se vérifier
. Maître de conférences au département de français de l’université d’Alger, Docteur Nawel Krim revient, dans cet entretien, en collaboration avec le Professeur Youcef Immoune, sur le colloque international Rachid-Mimouni organisé la semaine passée à Boumerdès. Les deux universitaires, qui sont co-fondateurs du Colloque international Rachid-Mimouni, ont coordonné celui qui a eu lieu la semaine écoulée à Boumerdès, la ville natale de l’auteur. Entretien.

Reporters : Professeur, vous avez coordonné les travaux du Colloque international Rachid-Mimouni organisé la semaine passée à Boumerdès, quel enseignement tirez-vous de ce rendez-vous dédié à l’œuvre de Rachid Mimouni, décédé il y a 23 ans, et les questionnements qu’il a permis de soulever ?
Pr Youcef Immoune : D’abord et avant tout, l’aura de Rachid Mimouni. C’est un auteur et une œuvre qui irradient, leur écho est sensible auprès de différentes catégories de lecteurs, des universitaires au grand public. Il semble leur parler avec l’honnêteté et la sincérité qu’il est possible d’attendre d’un écrivain et d’un intellectuel dont les préoccupations font sens dans l’esprit de tout un chacun. Ensuite, la reconnaissance que semblent avoir les siens à son génie. A une échelle plus étendue, à travers le réseau des universités de par le territoire national et au-delà dans le monde, je souligne l’intérêt que portent à son œuvre les enseignants et les étudiants. Auxquels, je peux ajouter les traducteurs et les artistes. Quand un événement est organisé autour de l’auteur et de son œuvre, beaucoup de personnalités du monde de la critique littéraire, de la culture et de l’art sont heureux d’y participer et d’y animer les débats. A une échelle plus locale, il faut souligner avec bonheur l’intérêt soutenu que portent les autorités à l’auteur en écho à celui que lui portent les gens de sa ville natale. Je ne manque pas ici de remercier la wilaya de Boumerdès, notamment la direction de la culture et à sa tête Abdelali Koudid pour la maîtrise avec laquelle le colloque a été organisé.

Ce besoin de revisiter l’œuvre de Rachid Mimouni s’explique-t-il par la persistance des faits qu’il avait dénoncés dans ses textes (violence, corruption, injustice, bigoterie, archaïsme, hypocrisie...) ou cela veut-il dire que l’œuvre n’a pas bénéficié de l’analyse qu’elle méritait ?
Cette question nous renvoie à deux types de considérations. Effectivement, sur un premier plan, plus factuel, je peux dire que le monde a changé, l’Algérie a connu des mutations auxquelles l’auteur aurait réagi s’il était encore vivant. De ce fait, je peux affirmer qu’en tout état de cause, son œuvre fait encore sens aujourd’hui au vu de notre situation sociale, économique et politique. On dit de lui, et à juste titre, que son œuvre est visionnaire. Son univers romanesque est porteur d’une vue juste de la situation et ne peut que la projeter par anticipation dans un devenir qui ne peut que se vérifier. Aujourd’hui, il est tout à fait légitime de lire encore et encore Mimouni pour se constituer des éléments de lecture de notre vécu et d’essayer à travers son œuvre de le comprendre. Sur un autre plan, la nécessité de renouveler la lecture de l’œuvre de Mimouni répond à des préoccupations universitaires. Les outils théoriques et méthodologiques de lecture ont évolué et sont à même de la ré-interroger autrement et faire ressortir de nouveaux sens. Il faut dire, et c’est là l’essentiel, que l’œuvre de Rachid Mimouni est d’une telle profondeur et épaisseur qu’elle nous accompagne dans la longue aventure du sens que nous permet la critique littéraire.

Vous avez choisi trois axes pour ce colloque : rapports problématiques à l’histoire, rapports problématiques au référent et problématiques relatives à l’altérité. Les textes de Mimouni offrent-ils des pistes de compréhension de ces problématiques qui se posent encore de nos jours ?
Les trois axes ainsi déterminés correspondent à un double mouvement de notre réflexion pour élaborer l’argumentaire du colloque. D’une part, il y a derrière ce questionnement un rappel : un état des lieux de la critique littéraire, déjà très importante qualitativement et quantitativement, qui a porté sur les productions littéraires de Rachid Mimouni. Les rapports à l’histoire, au référent et à l’identité ont été les thématiques que la critique a déjà soulignés et brillamment analysés, en mettant en exergue une écriture subversive de désenchantement, de dénonciation, s’appuyant sur un fonds conceptuel en référence à la modernité, à la science, au progrès comme sôcle de la pensée et de l’écriture de Mimouni. D’autre part, et à partir de cet état des lieux et à distance des conditions de production immédiates de l’œuvre, nous revenons à ces axes de réflexion pour les ré-interroger à la lumière d’autres cadres conceptuels afin que de nouvelles problématiques débouchent sur un renouvellement de sens, des lectures renouvelées de l’œuvre. En cela, dépasser une certaine lecture idéologique de l’histoire et du référent (cadre socioculturel et économique), ayant prévalu en son temps pour envisager une lecture aux prises de manière différente au matériau idéologique. Ouvrir la problématique de l’identité sur celle de l’altérité pour rendre justice à la complexité de l’œuvre et la comprendre dans la dynamique de réseaux de relations et non d’un déterminisme quelconque.
Peut-on parler de l’intemporalité de l’œuvre de Mimouni dont les thèmes essentiels demeurent irrésolus ?
Sans aucun doute, comme je viens de le préciser.
Il a été question, lors de ce colloque, des caractéristiques de l’écriture de Mimouni. Quel regard porte la critique d’aujourd’hui sur ces caractéristiques ?
Les travaux du colloque seront publiés sous forme d’actes et chacun aura l’occasion de lire attentivement les articles et en savoir dans les menus détails tout ce qui se rapporte aux caractéristiques de l’écriture de Rachid Mimouni. Il y a déjà une publication récente, coordonnée par Dr. Nawel Krim (éditions Enag, 2014), qu’il est intéressant de consulter. Mais, je peux signaler quelques traits caractéristiques. Comme l’a rappelé Habib Tengour (écrivain-poète), lors de ce colloque, Rachid Mimouni est l’écrivain algérien qui est le premier et le plus à être identifié par la genre romanesque. C’est le premier, dans l’histoire de la littérature algérienne, à avoir émergé dans le roman comme genre consubstantiel à son écriture. D’où la grande efficacité de ses techniques narratives, bien qu’il bouscule largement les codes de la narration linéaire.

Les romans de Mimouni portaient les angoisses du peuple, les contradictions de la société et les abus des dirigeants. Ils sont consacrés aux préoccupations des «gens d’en bas». Pourquoi ce registre d’écriture recule et ne fait-il plus recette ?
Ce sont là des questions légitimes, mais qui appellent une réponse nuancée par rapport à l’avis tranché qu’elle suggère. Ce que je peux dire, et cet avis a été discuté lors de ce colloque, est que l’œuvre de Rachid Mimouni marque l’histoire de la littérature algérienne par les réseaux d’influences que l’on peut y lire. Rachid Mimouni ne cache pas les influences qui l’ont marqué et sa reconnaissance aux monstres sacrés de la littérature algérienne et autre. Cela lui a permis de s’inscrire dans cet interminable mouvement du discours littéraire et de se positionner comme singularité reconnue et saluée. Je ne doute pas que les auteurs après lui ont subi à leur tour les influences de Rachid Mimouni, de son écriture qui a fait sans doute écho à leurs préoccupations. Beaucoup d’entre eux peuvent se réclamer de lui. Un examen critique de ces influences pour les documenter et les préciser pourra faire l’objet d’un colloque.

Qu’en est-il du projet de création d’un prix littéraire Rachid Mimouni ?
Ce colloque qui a donné, à l’hommage traditionnel rendu à Rachid Mimouni, sa dimension universitaire et internationale inscrite dans le temps, va générer autour de lui une dynamique culturelle : la Maison de la culture Rachid-Mimouni, par l’engagement de la Direction de la culture, est sur la voie de devenir – et nous le souhaitons vivement - un théâtre d’animation culturelle de premier plan : des conférences-débats, des expositions, des représentations théâtrales, des journées de poésie, avec une programmation annuelle riche et diversifiée. C’est dans le sillage de cette dynamique que le Prix Rachid-Mimouni prendra naturellement sa place, au regard de la notoriété de l’auteur et de la dynamique des universitaires et des acteurs de la culture. A ce titre, les autorités de la wilaya et la direction de la culture sont favorables à toute initiative sérieuse et apportent leur soutien à tout travail durable. Nous les en remercions.


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