-Vous venez de co-éditer, avec votre collègue à l’université de Batna 1, le docteur Badis Medjani, un livre sur les journalistes algériens. Pouvez-vous nous retracer brièvement la genèse de la presse en Algérie ?
L’Algérie a connu la presse avant l’indépendance. La presse écrite en 1830, la radio en 1929 et la télévision à partir de 1956. Entre 1962 à 1990, sous le règne du parti unique, la presse algérienne écrite et audiovisuelle n’a pas connu vraiment un développement réel, hormis les grands efforts consentis par l’Etat dans la consolidation des moyens techniques de diffusion. Pendant cette époque, le pouvoir avait la mainmise totale sur les médias, en imposant aux Algériens une télévision unique, une radio unique et quelques journaux gouvernementaux. Après l’instauration du multipartisme de la pluralité de presse, des titres de journaux privés ont vu le jour à partir de 1989. Trois types de journaux marquent le paysage médiatique durant les années 1990, à savoir la presse partisane, la presse privée et la presse publique.s La crise multidimensionnelle que le pays a traversée durant les années 1990 n’a pas permis à cette presse de mieux s’épanouir. De 2000 à nos jours, nous avons assisté à l’augmentation des titres de la presse écrite, entre 2000 à 2009, mais à partir de 2014, ce secteur est touché par la crise financière, ce qui a provoqué la baisse du tirage, de lectorat et de recettes publicitaires. Cela aussi est lié à la concurrence de la presse électronique.
-Vous avez attribué des qualificatifs à des journalistes (fonctionnaires, militants et combattants), et ce, en fonction de la période de leur exercice. Peut-on connaître les raisons de ce choix ?
Pour comprendre les rôles et les missions accomplis par le journaliste algérien depuis l’indépendance à ce jour, il faut revenir aux contextes historiques, politique, économique et culturel et surtout à l’idéologie dominante qui caractérisent chaque étape historique. Durant la période du règne du parti unique le FLN (1962-1989), le journaliste était beaucoup plus fonctionnaire et militant engagé à respecter et à suivre les orientations du pouvoir. Entre 1962 à 1965, le journaliste était fonctionnaire qui travaillait dans des entreprises médiatiques publiques. Il n’était qu’un simple «moyen» et «outil» chargé de transmission et de la vulgarisation du discours du pouvoir politique portant sur les idéaux et les valeurs socialistes. En 1965, le journaliste est soumis à devenir un militant dévoué aux valeurs socialistes. Plusieurs discours et déclarations des responsables politiques de cette époque confirment cette orientation. Après l’avènement du multipartisme et l’ouverture du champ médiatique dans le secteur de la presse écrite, la vision a changé.
Entre 1989 à 1992, le journaliste est considéré comme étant un professionnel, surtout quand on sait que la plupart des journaux privés, créés au début des années 1990, sont gérés par les professionnels qui ont travaillé auparavant dans la presse publique et qui ont souffert de l’hégémonie du discours officiel sur leur profession. Après, vient la décennie des années 1990, où les journalistes étaient victimes d’attentats terroristes, de menaces, de pressions et de liquidation physique. Ceci dit, il est vraiment impossible de parler de journaliste professionnel dans de tels contexte et conditions, car le journaliste était beaucoup plus combattant. Depuis 1999 à nos jours, le discours officiel du pouvoir dominant considère le journaliste comme un «agent de l’Etat», qui doit aider les pouvoirs publics à concrétiser les projets de développement.
-Vous êtes aussi co-auteur, avec le même enseignant-chercheur, d’un 2e ouvrage qui porte sur la sociologie des journalistes. Pouvez-vous nous parler de l’environnement professionnel de la corporation de la presse et des médias ?
En Algérie ou ailleurs, et même dans les pays développés qui ont des traditions dans la pratique journalistique, l’identité sociale des journalistes demeure floue, et ce, de point de vue de la sociologie des professions. En fait, le journalisme, dont les contours sont incertains, recouvre une pluralité d’activités et de situations qui n’ont jamais réussi à constituer un groupe professionnel homogène et unifié. Définition imprécise de la profession, absence de frontière clairement délimitée, professionnalisation inachevée, absence de conditions bien précises pour son exercice sont autant d’indicateurs d’une identité sociale floue qui constitue l’une des caractéristique du journalisme en Algérie.
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-Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les journalistes algériens ?
Les journalistes algériens manquent d’organisation et souffrent de précarité. Il existe de grands écarts entre l’élite journalistique dirigeante, les journalistes vedettes, surtout dans l’audiovisuel, et les autres journalistes «simples» et les pigistes en matières de revenus et des salaires et de primes. D’ailleurs, la précarité et l’absence d’un plan de carrière dans plusieurs entreprises médiatiques poussent les jeunes journalistes à quitter le métier. Les journalistes algériens, dans plusieurs entreprises médiatiques de la presse écrite et audiovisuelle, sont soumis à l’autocensure et à la censure, car ils ne disposent pas d’une marge de liberté nécessaire pour traiter des événements, politiques surtout. Le traitement médiatique du hirak par la grande majorité des médias en est la preuve.
-Comment cette situation peut-elle influencer sur le travail journalistique ?
Si le journaliste peut résister aux pressions des sources d’information, à la censure, aux pressions politiques, il lui est difficile de résister à la précarité, à l’anarchie et au flou ainsi qu’au manque d’encadrement qui caractérisent son milieu professionnel. Il est clair que ces facteurs influent négativement sur la production et les pratiques journalistiques.
-Que préconisez-vous pour venir à bout de la situation de précarité dans laquelle baignent beaucoup d’hommes de presse et des médias en Algérie ?
Les journalistes doivent s’organiser dans un cadre qui leur permettra de se défendre. Sans organisation et syndicats forts, ils ne peuvent pas espérer de sortir de cet engrenage. Plusieurs entreprises médiatiques, notamment celles de la presse écrite, doivent revoir leur modèle de gestion pour éviter l’étouffement. Actuellement, il est nécessaire de trouver de nouvelles formules pour aider la presse. Le problème aujourd’hui n’est pas seulement la distribution de la publicité pour les journaux qui posent problème, car la publicité du secteur public a baissé de plus de 60%, et les investisseurs privés préfèrent aller vers les réseaux sociaux et les chaînes de télévisions privées.
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Posté Le : 08/04/2021
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Entretien réalisé par H. Azzouzi