Algérie

Dr. Boudarène Mahmoud, psychiatre : «La jeunesse a été conduite à une situation d'indignité»



«Tout être humain a le droit et le devoir de construire son avenir. Or, l'avenir des Algériens est confisqué. Nous avons un système politique qui a aliéné les Algériens en général et les jeunes en particulier. C'est ce qui nous amène à une situation d'explosion populaire», dit-il.«De la violence au pacifisme, entre transformation et transition», telle était le thème de la journée d'étude organisé, hier, par l'Association des psychologues de Bouira au niveau de la bibliothèque Saidani-Rabah. Ce qui rend important la rencontre, c'est le lien que pourrait avoir le thème choisi et l'actualité nationale marquée par la contestation populaire qui se déroule depuis février à travers le pays. Une contestation pacifique. Ce qui est un miracle pour beaucoup d'observateurs.
Dr Boudarène Mahmoud, psychiatre et auteur du livre «La violence sociale en Algérie», édité chez Koukou éditions en 2017, qui a été invité à animer cette rencontre au côté de Mekiri Karim, enseignant à l'université de Bouira, affirme lui aussi que cette révolte qui se fait dans le calme et l'apaisement est miraculeuse. «C'est vraiment miraculeux que la société algérienne manifeste et montre son désespoir et sa révolte dans le calme et la non-violence», a-t-il déclaré en marge de la journée d'étude. Le psychiatre justifie ce miracle par le fait que dans notre société il y avait trop de désordre ; institutionnel, social, etc., de l'impunité et l'absence de droit. C'est ce qui crée une «situation d'anomie», et «ça ne peut pas ne pas générer de la violence». Ainsi, le caractère de non-violence de la contestation populaire s'explique, selon M. Boudarène, par le fait d'avoir vécu une décennie noire. Pour le psychiatre, la violence que vivent les pays arabes qui ont connu le printemps arabe «a ravivé le climat d'insécurité et de violence que les Algériens ont vécu pendant la décennie noire». L'intervenant ajoute que l'insurrection populaire qui secoue le pays «était prévisible». «Parce qu'on a progressivement conduit la jeunesse algérienne à une situation d'indignité. Et l'indignité c'est la pire des choses qui peut arriver à un être humain. Quand quelqu'un éprouve le sentiment d'indignité, ça veut dire qu'il est dépouillé de ce qui fait de lui un être humain», explique-t-il.
M. Boudarène souligne que le non-accès des jeunes Algériens à la «décision», a crée cette situation d'indignité. «Tout être humain a le droit et le devoir de construire son avenir. Or, l'avenir des Algériens est confisqué. Nous avons un système politique qui a aliéné les Algériens en général et les jeunes en particulier. C'est ce qui nous amène à une situation d'explosion populaire», dit-il. Dans le rapport entre l'agresseur et l'agressé, le psychiatre explique pour que le premier passe à l'acte, il doit d'abord déshumaniser le second. Le chosifier. L'animaliser. Le dépouiller de son humanité. L'exemple de la violence subie par la société algérienne pendant la décennie noire est édifiant.
«La violence terroriste pendant les années 1990 s'est légitimée en s'habillant des oripeaux de la religion. Dès lors que cette légitimation religieuse s'est faite, on a décidé que les autres sont des mécréants, des gens qui n'ont pas le droit de vivre et on a décidé de les éliminer. Quand on est dans cette logique-là on ne peut pas avoir de l'empathie et de la générosité. C'est ce qui a facilité le passage à l'acte. C'est parce qu'on a chosifié l'autre», a affirmé M. Boudarène qui tient aussi à souligner qu'il ne croit pas à ce que la société algérienne soit immunisée contre la violence.
«L'individu en lui-même n'est pas immunisé. Mais une société peut l'être dans ses mécanismes de régulation. Toutes les sociétés génèrent de la violence à un moment donné. Elles sont aussi capables de trouver les mécanismes pour justement amortir et faire disparaître cette violence. C'est ça qui fait le génie d'une société», a-t-il souligné. Le conférencier soutient que la décision politique peut parfois être salvatrice, mais à condition d'avoir des «décideurs et des hommes politiques éclairés qui peuvent mettre en place des mécanismes qui peuvent aider à la pacification de la société», conclut-il.


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