Algérie

Dossier / LA FORÊT ALGÉRIENNE FACE AUX DÉFIS DES INCENDIES ESTIVAUX I. Un patrimoine dévasté par la colonisation



Dossier / LA FORÊT ALGÉRIENNE FACE AUX DÉFIS DES INCENDIES ESTIVAUX I. Un patrimoine dévasté par la colonisation
Publié le 22.05.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Maâmar Farah

Alors que les premières chaleurs se dessinent à l'horizon, tous les regards se portent vers les forêts algériennes qui ont connu en 2021, et à un degré moindre en 2022 et 2023, de véritables catastrophes causées par les incendies dont un grand nombre fut volontaire. Des moyens énormes sont mobilisés pour préserver ce patrimoine qui se dégrade d'année en année. Retour sur une lente et inexorable détérioration.
Depuis toujours, la forêt algérienne s'est dressée comme une sentinelle protectrice, préservant les sols de l'érosion, régulant le climat et abritant une biodiversité riche et précieuse. Son histoire est intimement liée à celle des peuples qui ont façonné le pays à travers les millénaires. Des Numides aux pionniers du reboisement post-indépendance, en passant par les Berbères, l'Empire romain et les colons français, chaque civilisation a laissé son empreinte sur ces paysages boisés.
Ces forêts ont constitué un véritable trésor de ressources naturelles pour les populations autochtones. Le bois était un élément important de leur quotidien, servant à la construction des habitations, à la fabrication d'outils et de navires. Les feuilles nourrissaient le bétail, tandis que les fruits et les noix enrichissaient l'alimentation humaine. Plus qu'une source de subsistance, ces espaces verts représentaient un havre de paix, un refuge où se reposer, chasser et cueillir les fruits de la nature.
Au fil des siècles, les forêts algériennes ont porté les traces des interactions humaines. Des vestiges archéologiques témoignent de l'ingéniosité des populations anciennes qui s'adaptaient à leur environnement, exploitant ses ressources avec respect et sagesse. Les Berbères, par exemple, ont développé une connaissance intime de la forêt, tirant profit de ses richesses tout en préservant son équilibre. Aujourd'hui, l'héritage forestier de l'Algérie demeure une richesse inestimable. La prise de conscience grandit quant à son importance vitale. La préservation et la valorisation de ces espaces naturels sont des enjeux majeurs pour l'avenir du pays.

Impact sur l'environnement
Si la forêt algérienne a longtemps offert ses richesses aux populations qui l'habitaient, son exploitation n'a pas été sans impact sur son environnement. Les défrichements pour l'agriculture et l'urbanisation ont entraîné une réduction significative du couvert forestier, fragilisant ainsi un écosystème essentiel à l'équilibre naturel du pays. Le surpâturage et la surexploitation des ressources forestières ont également contribué à la dégradation des sols, accentuant l'érosion et appauvrissant la terre. Les incendies, qu'ils soient d'origine naturelle ou humaine, ont dévasté de vastes étendues boisées, laissant derrière eux des paysages désolés et des cicatrices durables sur l'environnement.
Les guerres d'invasion ont également joué un rôle non négligeable dans la destruction des forêts algériennes. Les conflits armés ont entraîné la déforestation de larges zones, privant le pays d'une partie précieuse de son patrimoine naturel et bouleversant les habitats de nombreuses espèces animales et végétales. La dernière période coloniale a marqué un tournant majeur dans l'histoire des forêts algériennes. L'arrivée des colons français au 19ème siècle s'est traduite par une intensification de l'exploitation forestière industrielle. Les forêts, considérées comme des ressources à exploiter sans limites, ont été soumises à une coupe massive pour répondre aux besoins en bois de construction, de chauffage et de papeterie.
Cette exploitation effrénée a eu des conséquences désastreuses sur l'environnement. La déforestation s'est accélérée, fragilisant les sols et accentuant les risques d'inondation et de glissements de terrain. La biodiversité a également été durement touchée, avec la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Face à ces menaces croissantes, la prise de conscience de l'importance de la préservation des forêts s'est progressivement développée. Des mesures de protection ont été mises en place, des programmes de reboisement ont été lancés et des campagnes de sensibilisation ont été menées auprès des populations locales.
Cette période a également été marquée par des conflits et des résistances. Les populations locales, souvent marginalisées et privées de leurs terres ancestrales, se sont opposées aux politiques coloniales forestières. Des soulèvements et des incendies de forêt ont éclaté à plusieurs reprises, témoignant de la tension croissante entre les intérêts coloniaux et les besoins essentiels des populations locales.
La période coloniale a été marquée par la plus vaste opération de déforestation de l'histoire de l'Algérie. Dès son avènement, la colonisation française a déclenché une vague de coupes rases à travers les forêts algériennes, particulièrement dans les régions du nord du pays, riches en essences précieuses comme le cèdre et le chêne-liège. Ces arbres, qui avaient mis des siècles à se développer, ont été abattus à un rythme effréné pour répondre aux besoins croissants en bois de construction, de chauffage et de papeterie de la métropole française et de la colonie.
Les cèdres de montagne, notamment dans les Aurès et la Kabylie, ont été particulièrement touchés par la déforestation coloniale. Ces forêts, essentielles pour la biodiversité méditerranéenne, ont perdu de très grandes surfaces, se transformant en espaces dénudés et fragilisés. La déforestation ne s'est toutefois pas limitée aux zones montagneuses. Les plaines et plateaux du nord de l'Algérie, couverts de chênes verts et de chênes-lièges depuis des temps immémoriaux, ont également subi une exploitation intensive. Ces forêts, sources de bois de feu et de produits forestiers non ligneux essentiels pour les populations locales, ont été décimées pour faire place à des cultures agricoles et à des infrastructures coloniales. Le bois servait, par exemple, à la construction des traverses du chemin de fer en pleine expansion.
Par ailleurs, la colonisation, en confisquant les terres arables des populations rurales, les a contraintes à se réfugier dans les piémonts des montagnes et parfois même à l'intérieur des forêts. Poussés par l'instinct de survie, les autochtones ont surexploité les ressources forestières, aggravant le recul des forêts déjà amorcé par l'avancée de la céréaliculture dans les hautes plaines. Ces actes constituent de véritables crimes à ajouter aux autres atrocités de la colonisation.
Ainsi, selon Amar Madoui de la revue botanique Al Yasmina, la superficie forestière de l'Algérie a connu une importante réduction, passant d'une superficie potentielle de sept millions d'hectares (7 318 000 ha) à moins de trois millions à l'état actuel. Le taux de boisement aurait ainsi diminué de 27% à 11%. Pour illustrer l'ampleur de cette déforestation, l'auteur cite l'historien Ibn Khaldoun, qui affirmait : «Pendant les débuts de l'occupation arabe, on pouvait aller de Tripoli au Maroc en cheminant sous une voûte continue d'ombrage.»
Cette déforestation massive a laissé des traces indélébiles sur l'environnement du pays, avec des conséquences désastreuses. La disparition des arbres a entraîné une érosion accélérée des sols, fragilisant les terres et augmentant considérablement le risque de glissements de terrain et d'inondations. Les ressources en eau ont également été durement impactées. La destruction des forêts, qui jouaient un rôle crucial dans la régulation du cycle hydrologique, a entraîné une diminution des débits des rivières et une augmentation du risque de sécheresse, fragilisant davantage l'agriculture et l'approvisionnement en eau potable.

Disparition de nombreuses espèces animales et végétales
Cette déforestation massive a entraîné une perte considérable de l'équilibre écologique, avec des répercussions néfastes sur la biodiversité du pays. De nombreuses espèces animales, telles que le lion de l'Atlas, et végétales, dont certaines endémiques à l'Algérie, ont vu leur habitat disparaître et ont été menacées d'extinction. Les conséquences de ces destructions ont également été dramatiques pour les populations locales, qui vivaient en parfaite harmonie avec les forêts environnantes dont dépendait parfois leur subsistance. La perte du bois de feu, du bois de construction et des produits forestiers non ligneux a plongé de nombreuses communautés rurales dans la pauvreté et la précarité, aggravant ainsi les effets néfastes de la colonisation sur leurs modes de vie traditionnels. Et la situation était encore plus grave pour les populations montagnardes, qui dépendaient des pâturages forestiers pour leur bétail et qui ont été durement touchées par la déforestation. Cette diminution des ressources pastorales a entraîné des conflits et des migrations forcées, bouleversant profondément leurs modes de vie traditionnels.

Le 5 août 1872, le conservateur des forêts
Louis Tassy écrit dans son rapport au gouverneur général de l'Algérie que le rôle des forestiers est d'«arrêter les dévastations dont les forêts de l'Algérie sont le théâtre, dévastations qui s'étendent de plus en plus, et qui, si l'on n'y met ordre, ne tarderont pas à être un grand embarras pour le développement de la colonie».
Cependant, les accusations de déforestation étaient généralement dirigées vers les populations autochtones, tenues pour responsables de ces dévastations. Les paysans étaient accusés d'être les auteurs d'une supposée dégradation des forêts depuis le... Moyen-âge ! Ce récit trompeur occultait la réalité : c'est bien la colonisation qui, dès le départ, a pratiqué la politique de la terre brûlée pour s'accaparer de vastes étendues forestières transformées en surfaces agricoles. Les colons, en quête de nouvelles terres, faisaient pression sur les autorités pour accepter le fait accompli et détourner les critiques en accusant la paysannerie locale d'être à l'origine des atteintes au patrimoine forestier.
L'exploitation forestière intensive menée par la colonisation française a laissé un héritage lourd à l'Algérie indépendante. Les forêts du pays, autrefois riches et diversifiées, ont été considérablement réduites et fragilisées. Les conséquences environnementales, sociales et économiques de cette politique forestière désastreuse se font encore sentir aujourd'hui, affectant négativement le développement durable du pays. L'Algérie renaissante a tiré beaucoup de leçons de ce triste passé. Elle a mis en place une gestion forestière volontariste qui a pu repeupler beaucoup de nos forêts, respectant les équilibres naturels et les besoins des populations locales.
Ainsi, l'indépendance du pays en 1962 a ouvert un nouveau chapitre pour les forêts du pays. De nouvelles plantations ont été créées, des lois ont été adoptées pour protéger les forêts et des programmes de sensibilisation ont été mis en place. Dès les premières années de l'indépendance, l'Algérie s'est engagée dans un vaste programme de reboisement basé sur le volontariat, visant à reconstituer le couvert forestier national, durement éprouvé par des siècles d'exploitation et de déforestation et amoindri par les pratiques de la colonisation. Conscientes du rôle crucial des forêts pour l'environnement et le développement durable, les autorités algériennes ont fait du reboisement une priorité nationale.
Aujourd'hui, la forêt algérienne demeure un enjeu majeur pour l'avenir du pays. Sa protection et sa valorisation sont essentielles pour garantir la préservation de la biodiversité, la lutte contre l'érosion des sols et la régulation du climat. La mobilisation de tous les acteurs, des pouvoirs publics aux citoyens en passant par les associations et les scientifiques, est indispensable pour relever ce défi crucial et garantir la survie de ce patrimoine naturel inestimable pour les générations futures.
Après la reforestation, la restauration des sols et la promotion de pratiques agroforestières respectueuses de l'environnement, un autre objectif est venu s'ajouter, dans les années 70, aux opérations de reboisement : stopper la désertification. Cette véritable épopée menée par les jeunes du Service national avait pour nom «le barrage vert». Ce sera l'objet de notre prochain article.
M. F.
(À suivre)

Prochain article : II.- Le barrage vert : quand l'armée s'implique dans la lutte contre la désertification.
La mosaïque forestière de l'Algérie : un riche panel d'essences
La forêt algérienne, véritable joyau vert du pays, se compose d'une mosaïque d'essences d'arbres, chacune conférant à son écrin une identité unique. Parmi les plus répandues, on trouve:
✓ Le chêne vert : Essence dominante des maquis et forêts du nord du pays, ce colosse végétal offre une ombre généreuse et une résistance admirable aux conditions arides.
✓ Le cèdre : Emblème national et espèce protégée, le cèdre règne en maître dans les Aurès et le Djurdjura, parant ces massifs montagneux de son feuillage persistant et de sa silhouette majestueuse.
✓ Le pin d'Alep : Essence colonisatrice par excellence, le pin d'Alep peuple les massifs forestiers du nord-est du pays, offrant un bois précieux et contribuant à la lutte contre l'érosion des sols.
✓ Le thuya : Arborant un feuillage bleuté caractéristique, le thuya se niche dans les régions montagneuses du Nord, apportant une touche de fraîcheur et de diversité aux paysages forestiers.
✓ Le lentisque : Arbuste rustique et résilient, le lentisque s'épanouit dans les zones semi-arides, ponctuant le paysage de ses silhouettes élancées et offrant un précieux refuge aux oiseaux et aux petits mammifères.
Bien au-delà de cette liste, la forêt algérienne abrite une multitude d'autres essences, chacune contribuant à la richesse et à la complexité de cet écosystème unique. De l'olivier sauvage au caroubier, en passant par l'érable et l'if, ces arbres et arbustes tissent une tapisserie végétale d'une beauté saisissante, témoignant de la diversité et de l'adaptation remarquables du monde végétal algérien.
M. F.



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)