Algérie

"Donner encore la parole à Eric Zemmour est déplacé"



Le chanteur français Cali vient d'effectuer, pour la première fois de sa carrière, une tournée dans plusieurs villes algériennes. Dans cet entretien accordé à la veille de son concert à Alger, l'interprète de "Je m'en vais" livre ses impressions après ses concerts à Tlemcen, Annaba ou encore Constantine, de son premier livre "Seuls les enfants savent aimer"(Le Cherche midi), et de son échange houleux avec le chroniqueur Eric Zemmour lors d'une émission de télévision.
Liberté : Vous venez d'effectuer, pour la première fois de votre carrière une série de concerts en Algérie qui vous a emmené à Annaba, Constantine, Alger et Tlemcen. Pouvez-vous revenir sur cette tournée ' Et pourquoi avoir choisi de la faire maintenant '
Cali : Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre. Je ne savais pas qui serait là, pourquoi, comment... Ce qui m'a beaucoup touché c'est que c'étaient cinq villes différentes. Physiquement différentes : près de la mer, dans la montagne, coincée entre des rochers. Mais toujours avec cette même ferveur du public. Un public avec le sourire et beaucoup d'amour, qui ouvre les bras et qui dit bienvenu, dès la première chanson. Donc ça me touche beaucoup. Je me souviens de ce concert à Tlemcen, dès la deuxième chanson quelqu'un s'est levé pour crier : "Faudra revenir, faudra revenir !", après la deuxième chanson ! À Tlemcen aussi où des personnes d'un certain âge sont montées sur scène pour danser avec moi. J'ai tendu le micro tendu le micro à ces messieurs et ils ont fait les ch?urs de "Tlemcen". Je me souviens aussi de ce joueur de oud à Tlemcen. À Oran, c'était une folie. Beaucoup de monde, des parents, des enfants, des grands-parents, qui dansaient, qui sautaient, qui montaient sur scène et qui se postaient où ils voulaient comme ils voulaient, parce que le chanteur leur avait dit : "Faites ce que vous voulez, on est entre nous." En tout cas ce qui ressortait de là c'était beaucoup d'amour et une osmose. On s'est serré très fort. J'ai aussi mesuré le poids d'une chanson. J'ai certaines chansons chez moi qui ont une résonance politique pour certaines choses. Elles avaient aussi une résonance ici. C'est-à-dire que le mot liberté sonne d'une manière chez moi mais sonne différemment ici en Algérie, mais c'est toujours le mot liberté. Le mot amour est un mot que l'on peut chanter partout et qui rassemble tout le monde. J'étais très touché par l'accueil en Algérie. Et je vais ramener ça chez moi. Je vais dire aux artistes venez nombreux ici. Je vais dire aux gens venez faire du tourisme et visiter ce pays. J'ai des amis chanteurs, j'ai un ami qui s'appelle Nilda Fernández qui est venu l'an dernier jouer en Algérie. La personne qui travaillait avec lui l'avait accompagné. Ils m'ont parlé de cette tournée, de ce pays. J'ai dit je veux absolument le découvrir. On a réussi à trouver un petit créneau où je pouvais venir. J'étais aux Etats-Unis il y a quelques jours et j'avais une grosse tournée en Europe. Et puis là ça tombait super bien, donc je suis directement venu. C'était absolument magique parce que j'ai dit que je voulais allez découvrir ça mais aussi descendre vers le Sud et aller voir le sable, les dunes et les étoiles du désert. Je veux absolument faire ça, je reviendrai pour le faire.
Vous avez publié dernièrement votre premier livre, Seuls les enfants savent aimer, aux éditions du Cherche midi, qui raconte la perte de votre mère à l'âge de six ans. Vous avez également chanté cette disparition dans votre album sorti en 2016, Les choses défendues. Pourquoi avoir choisi d'écrire sur ce drame après l'avoir chanté '
Je pense que depuis que je suis tout petit cette cicatrice ne s'est jamais refermée. Perdre sa maman à six ans, c'est trop tôt. On tombe du nid trop tôt. C'est surtout que je n'ai pas beaucoup de souvenir de cet âge-là. Mais je me souviens de l'enterrement de ma maman. Je suis derrière des volets, on m'a enfermé dans une chambre noire parce qu'on ne voulait pas que j'assiste aux obsèques. Pour me protéger sûrement. Sauf qu'à travers les volets, j'ai vu tout le cortège passer, tout le village, ma famille. Je n'ai pas pu dire au revoir à ma maman. Donc le livre démarre là, et ce sont les huit mois qui suivent. C'est un petit garçon qui est tout pur et qui n'accepte pas la mort de sa maman. Il s'agrippe à toutes les personnes qu'il croise, pendant les huit mois qui suivent.
Il voit dans ces gens-là sa maman, il s'agrippe à eux et ce sont des bouts d'amour qui explosent. Il a besoin d'amour. J'ai eu besoin d'écrire ça oui, parce que dans une chanson on a trois minutes pour dire le monde. Dans un livre ou un roman on peut développer et aller où on veut. Et ça c'était plutôt bien, parce que ça m'a fait un bien fou d'agripper des souvenirs et d'en romancer aussi beaucoup.
Pourquoi avoir choisi de l'écrire maintenant, après toutes ces années '
Je crois que j'ai passé un bout de ma vie à vouloir oublier tous les chagrins et tout ce qui s'est passé comme pour dire OK, ça s'est passé et je n'ai pas besoin de ça parce que c'est trop lourd à porter. Et là je suis à un moment de ma vie où j'ai besoin de me rappeler tout ce que j'ai voulu oublier. À un moment, j'ai voulu m'en rappeler. Peut-être parce que maintenant j'ai trois enfants et que je trouve important de leur raconter qui est leur papa. "Pourquoi il a ses joies et il a ses faiblesses. Pourquoi il a comme ça papa ' Parce qu'il a vécu ça papa". Donc c'est important de l'écrire. J'ai deux de mes enfants qui ont lu le livre à part la dernière qui est trop petite. Ils découvrent encore une fois la voix de leur papa qui a six ans.
C'est assez particulier. Et puis c'est surtout que ça m'a fait un bien fou. Vous savez, ce livre je l'avais au fond de moi comme une petite boîte noire. Je l'ai ouverte avec une clé et c'est sorti très vite, sans détours. Si j'avais raconté du haut de mon âge mon enfance, ça aurait été moins intéressant. Là j'ai six ans, quand on a six ans on peut écrire toutes les vérités, et on ne peut pas reprocher à un enfant de dire la vérité. C'était plutôt pas mal parce que j'ai pu raconter beaucoup de choses.
Le 25 janvier dernier, lors d'une émission diffusée sur une chaîne de télévision française, vous avez quitté le plateau après avoir dit "ne pas vouloir être le complice" de ce qui se passe avec Eric Zemmour, qui avait qualifié le rap de "sous-art". Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'était passé '
C'est étonnant parce que c'est quelqu'un de brillant, de très cultivé, de froid, comme un serpent. Si on discute avec Eric Zemmour on le laisse parler, parce qu'il parle bien. Je ne voulais pas rentrer dans ses propos qui sont très limites. Ce sont des propos qui font du mal aux gens, et aujourd'hui on n'a pas besoin de cette violence verbale pour régler les problèmes. Pour donner un exemple, il y avait une fille d'une association féministe à côté de moi qui s'appelait Fatima (Fatima Benomar, ndlr), il lui a demandé de changer de prénom "parce qu'elle est en France". Pour moi ce n'est pas supportable. C'est quelqu'un qui a tenu des propos abjectes envers les rappeurs alors je lui ai demandé de s'excuser auprès d'eux. Après tout ce qu'il leur avait fait, après les humiliations. Il n'a pas voulu évidemment. Je ne voulais donc pas rester avec cet homme-là parce que, vous savez, quand des mômes n'ont pour seule solution que de brûler des voitures, c'est parce qu'il y a des gens qui les montent les uns contre les autres, et cet homme en fait partie.
À votre avis, pourquoi on lui laisse autant de liberté de parole ' Une parole qui fait souvent polémique '
La réponse est que les médias ont besoin d'audimat et souvent, quand cet homme-là est confronté à quelqu'un... J'avais déjà vécu un plateau télé avec lui où ça s'est très mal passé. Ça avait fait le buzz et ça refait le buzz. Les médias sont friands de ça. Mais je trouve assez déplacé que des médias français lui donnent encore la parole. Lui parle de démocratie, il faut lui laisser la parole. Moi je trouve que la vieille dame qu'on appelle démocratie doit être bien triste de voir que des hommes comme ça s'en servent à ce point.
Entretien réalisé par : Yasmine Azzouz
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