Algérie

Docteurs Folamour à Bamako



Docteurs Folamour à Bamako
«Dr Strangelove or How I learned to stop worrying and love the bomb.» Ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe ! Ce titre intégral du chef-d''uvre d'humour noir qu'est la célèbre comédie cauchemardesque de Stanley Kubrick, sortie en 1964, a aujourd'hui un goût de crise malienne dans laquelle se rejoignent désormais des Docteurs Folamour de Bamako, de la CDEAO, de France et d'ailleurs. Dans cette affaire, il y a aussi, pire que le Dr Strangelove, scientifique nostalgique de l'Allemagne nazie, des génies du pire qui s'entêtent à vouloir ressembler par ailleurs au général américain Jack D. Ripper. Dans le film de Stanley Kubrick, ce militaire désaxé, convaincu que les Russes ont décidé d'empoisonner l'eau potable des Etats Unis, est alors frappé de folie paranoïaque. Il décide donc d'envoyer les B52 frapper l'Union Soviétique. Au Mali, on n'en est pas encore là, fort heureusement, même si la coalition des va-t-en guerre donne de plus en plus de la voix. Au point que le ch'ur des bellicistes militaires, qui tient lieu de pouvoir dans la capitale malienne, a fourni le bon prétexte à Ansar Eddine pour se défaire de son engagement à respecter l'offre de négociation faite sous l'égide de l'Algérie, dans le cadre d'un partenariat avec le MLNA. A vrai dire, la réaction de son chef Iyad Ag Ghaly n'est en aucun cas
surprenante. Non pas que le leader touareg islamisé soit un adepte forcené des volte-face, mais parce que la réaction des militaires maliens était tout à fait prévisible. Les putschistes de Bamako, sacrifiant à l'air du temps guerrier, ont préféré mépriser l'initiative de paix d'Alger.
Ils ont entonné, tel un leitmotiv militaire, un discours guerrier nourri par une lecture partielle et superficielle mais commode de la résolution 2085 qui ouvre, sous strictes conditions, la voie à une intervention militaire au Nord-Mali. On sait que la résolution onusienne demande à la CDEAO et à l'Union Africaine des «recommandations détaillées et praticables».
Et, à tous les intervenants et les concernés, un «concept opérationnel» militaire, c'est-à-dire un plan détaillant le calendrier, les moyens et les objectifs. Elle exige surtout de Bamako et des acteurs touaregs au Nord du pays de «s'impliquer dans un processus de négociation crédible». C'est dire que les militaires de Bamako ressemblent à ces musulmans qui récitent, en la tronquant, la sourate dans laquelle Dieu dit «wayloun lil moussalline», sans ajouter que ne sont concernés que les prieurs distraits durant leurs prosternations ! A Bamako, il y a, manifestement, des apprentis-sorciers. Des adeptes irresponsables de la fuite en avant qui veulent à tout prix en découdre avec les Touaregs irrédentistes, mus qu'ils sont par des haines recuites. Sans doute aussi par des reflexes ethnocentristes qui les incitent à vouloir régler le problème touareg en l'ignorant. Ou en profitant de l'effet d'aubaine que constitue, à leurs yeux, mais certainement à tort, le prétexte de l'intervention militaire, prônée et encouragée par la France, mais aussi par des tiers comme le Qatar et le Maroc.
De ce point de vue, Iyad Ag Ghali, touareg Ifogha, historique du MPLA et du MPA, a beau jeu de dire que Bamako est animé d'une ferme volonté «d'écraser les populations du Nord-Mali.» Cela étant dit, l'empressement des uns et des autres à aller à la guerre hic et nunc, ne signifie pas qu'une intervention militaire est possible à plus ou moins brève échéance, comme l'a préconisé, un tantinet au clairon, le ministre de la défense français. Dans une interview au quotidien français La Croix, Jean-Yves Le Drian avait en effet relancé l'option d'une attaque rapide dans l'Azawed. Il avait affirmé que la première attaque pourrait avoir lieu au premier semestre 2013. Cet échéancier rapide est d'autant plus surprenant qu'il est contradiction avec les hypothèses évoquées déjà par l'Elysée ou au Quai d'Orsay, y compris par le président François Hollande lors de son séjour à Alger. On sait que la présidence et la diplomatie française penchent plutôt pour le second semestre, en harmonie avec Romano Prodi, l'envoyé spécial de l'ONU qui a assuré pour sa part que rien ne se ferait avant septembre. L'attitude de Jean-Yves Le Drian a encore de quoi surprendre quand on se souvient que Washington et l'Union Européenne, principaux financiers de cette probable intervention militaire, se montrent plus réservés et plus prudents encore.
Elle étonne davantage sachant que la résolution du Conseil de Sécurité ne fixe aucun calendrier précis. Et alors même que les autorités de Bamako devaient adopter une feuille de route précisant leurs intentions de dialogue, voilà qu'elles brandissent subitement le fusil,
ce qui coïncide avec l'intention de M. Le Drian d'accélérer le calendrier militaire, mais également avec les déclarations favorables à l'option militaire rapide, préconisée par un responsable sécuritaire marocain, cinq colonnes à la «Une» d'un quotidien francophone algérien en vue. Tout compte politique et tout mécompte militaire faits, ici ou là, les partisans de l'empressement militaire semblent toutefois oublier que le climat, la géopolitique, le contexte, le terrain et, surtout, l'état déliquescent de l'armée malienne, sont les meilleurs adversaires d'une solution militaire style blitzkrieg ou «raid sur Entebbe». Le temps aussi. Et il en faut nécessairement pour que les formateurs de l'UE puissent remettre sur pied un embryon efficace de force militaire à Bamako. Et, pour s'assurer aussi, de l'interopérabilité entre cette future armée malienne en bon ordre de bataille et les forces hétérogènes de la CDEAO. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
N. K.


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