Ahmed Bensaâda est docteur en physique, diplômé de l’université de Montréal, auteur, essayiste, analyste politique et enseignant à l’université d’Oran. Dans cet entretien, il revient à la problématique qui soulève tant d’interrogations et de questionnements, à savoir le « printemps » arabe et les révolutions colorées et leur genèse. Il dissèque brillamment le processus de la création desdits mouvements et il explique comment cette nébuleuse est financée, mais surtout ses accointances avec des organismes américains et la CIA et autres structures occultes.
L’Expression : De « l’arabesque américaine » à « la printanisation » de l’Algérie, quelles sont les dessous et les relents qui se dissimulent derrière cette nébuleuse à dimension tentaculaire ?
Ahmed Bensaâda :Tout d’abord, j’aimerais faire une mise au point concernant mes écrits et mes récentes interventions médiatiques qui ont reçu, il est vrai, un accueil majoritairement positif, mais aussi de nombreuses critiques acerbes. J’aurais aimé, comme tout auteur, recevoir des critiques fondées et argumentées susceptibles d’enrichir le débat actuel, mais en vain. La mode est à l’invective, aux sophismes, au pédantisme oiseux, voire à la mauvaise foi.
Ces « critiques » ont certainement émané de personnes ou des groupes qui se sentent visés par mes propos ou qui sont réellement impliqués dans des agendas qui ne sont pas, à mon avis, dans l’intérêt de notre pays, l’Algérie.
Je dois préciser que mes recherches ne datent pas d’hier, mais remontent à une période antérieure au début du mal nommé « printemps » arabe et que mon premier livre sur le sujet date d’avril 2011 (Éditions Michel Brûlé, Montréal, Canada).
D’autre part, je réitère ce que j’ai dit à maintes reprises, que je suis fondamentalement en faveur du Hirak. Mais pour un Hirak intrinsèque, algéro-algérien, qui sert l’intérêt de notre pays et non de celui des pays étrangers qui financent et forment depuis très longtemps des « printanistes » afin d’orienter le Hirak vers les sentiers de la division, les chemins de la confrontation et les voies de la discorde.
Le mouvement de protestation qui touche actuellement l’Algérie n’est pas différent de ceux qu’ont connus certains pays arabes en 2010-2011. Il s’agit d’un prolongement du mal nommé « printemps » arabe qui a causé le chaos dans nombre de pays arabes comme je l’ai expliqué dans différents articles et interviews. D’autre part, si on s’intéresse au modus operandi des révoltes arabes, on se rend compte que les mêmes organismes de formation et de financement impliqués dans ces protestations populaires étaient déjà présents dans des mouvements semblables qui se sont déroulés dans des pays de l’Est ou d’ex-Républiques soviétiques au début du XXIe siècle. C’est le cas de la Serbie (2000), de la Géorgie (2003), de l’Ukraine (2004) et du Kirghizstan (2005).
Il s’agit donc d’un continuum de « régime change » soft, utilisant l’idéologie de la non-violence, qui a balayé des pays pour les extirper du giron russe et qui, ensuite, s’est étendu à la région Mena (Middle-East and North Africa) pour d’autres objectifs géopolitiques. C’est d’ailleurs la même technique qui est utilisée actuellement à Hong Kong, afin de créer une zone de déstabilisation susceptible de nuire à la Chine. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que feu le sénateur américain John McCain avait déclaré en 2011 que le « printemps » gagnerait l’Iran, la Chine ou la Russie. Et, comme on peut le constater, certains y travaillent toujours.
Pourquoi le concept de « la révolution » s’est teinté d’une notion colorée et d’un même logo conçu par le trio de la non-violence, à savoir Sharp, Helvey et Popovic ?
Le concept de révolution « colorée » a été théorisé par le philosophe américain Gene Sharp, exporté par le colonel de l’armée américaine Robert Helvey et appliqué avec succès pour la première fois en Serbie, par Srdja Popovic et ses jeunes compagnons du mouvement Otpor. Ces activistes serbes ont utilisé pour la première fois différentes méthodes d’actions non violentes et adopté comme logo un ancien symbole, stylisé et modernisé, qui n’est autre que le poing fermé. Comme expliqué dans mon livre « Arabesques », ce symbole n’était pas original, mais avait été utilisé, dans le passé, par certains partis de gauche ainsi que par des mouvements ouvriers, étudiants, anti-guerre, féministes, etc. Néanmoins, le poing d’Otpor a été remis au goût du jour par les Serbes, devenant alors la « marque de fabrique » de tous les mouvements de contestation basés sur la non-violence. Il a été observé dans les révolutions colorées subséquentes, dans quasiment tous les pays arabes touchés par la vague « printanisante » ainsi qu’au Venezuela ou en Iran. Il a aussi été utilisé en Algérie aussi bien en 2011 qu’en 2019.
En ce qui concerne la « coloration » de ces révolutions, elle fait partie intégrante des méthodes d’action non violente utilisées dans ce type de Mouvements populaires. Après la révolution serbe, on a connu la révolution « rose » en Géorgie, « orange » en Ukraine, de la « tulipe » au Kirghizstan et du « cèdre » au Liban. Durant le « printemps » arabe, on a vu apparaître la révolution du « jasmin » en Tunisie et du « lotus » en Égypte. En Algérie, les fleurs et les couleurs ont disparu, les « printanistes » et une certaine presse ayant choisi la dénomination très joyeuse de révolution du « Sourire ».
Comme on peut le constater, à la suite de cette énumération, toutes ces dénominations sont attrayantes, porteuses de joie, d’optimisme et d’espoir. Tout comme, bien sûr, le mal nommé « printemps » arabe.
Certaines sources affirment que « la charte sharpienne » qui explique les étapes et les moyens pour faire tomber un régime d’une manière non-violente a été l’objet d’une formation pour des éléments d’Otpor algériens en France et en Serbie. Pouvez-vous nous donner quelques éclairages à ce propos ?
Pour clarifier certaines erreurs observées dans de nombreux articles sur le sujet, les formations à la résistance non-violente ne sont pas assurées par Otpor, mais par Canvas (Center for Applied Non Violent Action and Strategies), un centre spécialisé créé à Belgrade par Srdja Popovic et d’ex-activistes d’Otpor après la chute du président Slobodan Milosevic.
En ce qui concerne la formation d’Algériens à la lutte non-violente et au cyberactivisme, nous avons trois témoignages. Tout d’abord, celui de Mohamed Adel, un des dirigeants du « Mouvement du 6 avril » égyptien, organisation qui a été le fer de lance de la contestation en Égypte. Durant l’été 2009, il a suivi une formation chez Canvas et a reconnu que le groupe dont il faisait partie était constitué de quatorze militants algériens et égyptiens.
Ensuite, Walid Rachid, un autre membre du « Mouvement du 6 avril », a déclaré en 2011 à des journalistes du New York Times que son mouvement avait échangé ses expériences avec des mouvements de jeunesse similaires dans d’autres pays de la région Mena sans oublier de mentionner l’Algérie.
Le troisième témoignage est celui de Slim Amamou, le célèbre cyberactiviste tunisien. Dans une interview datant aussi de 2011, on lui a demandé s’il avait eu des contacts ou des échanges d’expériences avec d’autres cyberdissidents en Algérie. Ce à quoi il avait répondu : « En Algérie, moi personnellement, je n’en ai pas beaucoup, mais je suis sûr qu’il y a des connexions déjà préétablies. »
Finalement, des Algériens ont participé au second « Arab Bloggers Meeting » qui a eu lieu à Beyrouth du 8 au 12 décembre 2009. Cet évènement, qui a regroupé plus de 60 cyberactivistes provenant de 10 pays arabes, constitue ce qui est communément appelé la « ligue arabe du Net ».
Selon des études et des investigations du terrain de certains spécialistes de la sociologie politique, les « printanistes » algériens sont financés par des organismes et agences américaines et à leur tête le milliardaire et sioniste américain, George Soros et de sa fondation. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs cette nébuleuse ?
Une autre caractéristique qui relie les révolutions « colorées » au « printemps » arabe est relative au financement des groupes ou des personnes impliquées dans la contestation. Il est de notoriété publique que les révolutions « colorées » ont été soutenues et financées par plusieurs organismes américains spécialisés dans l’exportation de la démocratie « made in USA ». Il s’agit de l’Usaid (United States Agency for International Development), de la NED (National Endowment for Democracy), de Freedom House et de l’OSI (Open Society Institute) de George Soros. De nombreuses études universitaires fouillées ont été publiées sur le sujet. Dans mon livre « Arabesques », j’ai montré que ces mêmes organismes ont été sollicitées dans les pays touchés par le « printemps » arabe.
En Algérie, certaines ONG présentes en 2011 dans le CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie) et/ou dans le Hirak actuel ont été financées par la NED. On peut citer par exemple la Laddh (Ligue algérienne de défense des droits de l’homme), le RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse), le Cfda (Collectif des familles de disparus en Algérie), « SOS Disparus », Djazaïrouna, Somoud, etc.
Pour comprendre le rôle réel de la NED, il faut revenir à Allen Weinstein, un des fondateurs de cet organisme, qui déclara en 1991 que « beaucoup de ce que nous [NED] faisons aujourd’hui se faisait secrètement il y a 25 ans par la CIA ».
D’autre part, les formations dispensées par Canvas sont financées par l’IRI (International Republican Institute), une filiale de la NED, Freedom House ainsi que George Soros en personne.
Enfin, notons que le second « Arab Bloggers Meeting », cité auparavant et auquel ont participé des Algériens, a aussi été cofinancée par l’OSI de George Soros.
Il faut préciser que, dans mes recherches, je ne me suis intéressé qu’à l’implication américaine. Cela ne veut en aucun cas dire que les pays européens ne financent pas les ONG algériennes, loin de là. En effet, de nouveaux documents montrent que le financement européen est considérable. Cela fera certainement l’objet d’une étude exhaustive dans un proche avenir.
Vous étiez parmi les rares chercheurs qui ont osé mettre en relief ce qui se passe comme événement majeur, voire situation particulière enfantée par le Mouvement populaire du 22 février et les schémas concoctés par les « Otporistes » et les sbires du manuel sharpien tissé dans les laboratoires de la CIA et les semblants d’ONG. En quoi le « Hirak » pourrait s’identifier à l’approche « printaniste » et colorée ?
La discussion concernant les révolutions colorées ne doit en aucun cas occulter les problèmes sérieux qui prévalaient en Algérie. Il faut préciser que cette approche de lutte non violente n’est applicable qu’en présence d’un « terreau fertile » à la contestation. Ce dernier est constitué de problèmes socio-économiques graves dus à une mauvaise gouvernance, un déficit de démocratie, la « hogra », la corruption à tous les niveaux de la société, un taux de chômage galopant, l’enrichissement illicite et ostentatoire d’une caste proche du pouvoir, l’éloignement abyssal entre les gouvernants et les gouvernés, etc. Et c’est exactement le cas de l’Algérie et, bien évidemment, celui de nombreux pays arabes.
Néanmoins, ce mécontentement populaire et légitime peut être orienté, dirigé et monitoré par des groupes formés au cyberactivisme et à la lutte non-violente. Les premiers sont spécialisés dans la maîtrise du cyberespace alors que la compétence des seconds réside dans la maîtrise de l’espace réel, c’est-à-dire lors des manifestations dans les rues.
Dans un article publié en avril 2019, j’ai expliqué en détail les similitudes observées durant le Hirak avec quelques-unes des 199 « méthodes d’action non violente » figurant dans le manuel de Canvas intitulé « La lutte non violente en 50 points ». On peut citer les plus visibles d’entre elles comme la distribution de fleurs et de victuailles aux forces de l’ordre, le balayage des rues le jour des manifestations, l’utilisation du « laughtivisme » (l’activisme par l’humour et le rire) et des campagnes de communications dites positives et négatives, les directives à l’usage des manifestants acheminées via les réseaux sociaux ou l’usage de slogans concis et percutants. Ajoutons à cela le financement d’ONG locales (très présentes dans le Hirak) financées par des organismes américains d’exportation de la démocratie, la proximité de certains « ténors » du Hirak avec ces mêmes organismes ou des officiels occidentaux et l’omniprésence d’une frange de « printanistes » dans des chaînes de télévision ou d’autres médias dont la ligne éditoriale est clairement orientée politiquement contre l’option constitutionnelle (voir réf. 5). Toute cette effervescence dissidente a été observée dans nombre de pays touchés par le « printemps » arabe ou les révolutions colorées.
Finalement, souhaitons que la nouvelle année apporte avec elle un vent de sagesse, de réconciliation, de fraternité et de paix pour notre chère Algérie et son peuple qui en a si longtemps rêvé.
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Posté Le : 08/01/2020
Posté par : frankfurter
Ecrit par : Hocine NEFFAH
Source : lexpressiondz.com