Algérie

Dix ans après el hamla, Bab El Oued déborde Le siècle : les autres articles


Dix ans après el hamla, Bab El Oued déborde                                    Le siècle : les autres articles
Le 10 novembre 2001, ils étaient, pour certains, encore enfants. Dix ans après les inondations, ils veulent que Bab el Oued se souvienne des 700 victimes et 40 disparus. Le film qu'ils sont en train de réaliser, Bab El Oued, ça déborde, est aussi un coup de gueule. Chez ces jeunes comme chez ceux qui n'ont pas été relogés, le sentiment d'abandon est le même. Et il nourrit une immense colère.
Elle est là. Dans sa tête, à revenir sans cesse comme le ressac. Dans ses tripes, à les tordre de douleur dès qu'il regarde la plage. Elle, el hamla. Un malheur de plus dans sa vie d'ouled Bab El Oued. Quelques cigarettes vendues sur des cartons au marché des Trois Horloges, quelques tentatives ratées de harga, et le souvenir des copains emportés par la boue. Il y a dix ans, le 10 novembre 2001, Hichem avait 20 ans. «Vers 5h du matin, je voulais sortir pour installer ma table, au marché. Ma mère m'a dit : Ne pars pas, il pleut. Alors je suis juste sorti boire un café. Les heures passaient et on voyait des petits ruisseaux se former, et puis on a entendu des gens crier.
Des scènes comme celles-là, on n'en voit que dans les films d'action. Un camion qui tombe, un conteneur emporté par les eaux. On restait là, on ne comprenait pas ce qui se passait. Et si tu t'approchais de l'eau, elle t'emportait. En fin de matinée, les gens ont commencé à extraire des corps, des gens nus que le courant avait déshabillés. J'en ai touché un en pensant que c'était un mannequin, parce qu'il était froid et nu. Hajja tbrizi' Mais finalement, c'était pire après les inondations. Là, le cauchemar a commencé. On tirait des corps de vieillards, de petits garçons, de jeunes filles'» Dans les locaux de l'association SOS Bab El Oued où il aime venir tuer le temps, Hichem participe à un projet spécial. Il apparaîtra dans un film qui sera projeté jeudi prochain lors d'une fête en commémoration de ce triste anniversaire.
Les jeunes du quartier (voir ci-dessous) qui ont tourné ce documentaire l'ont appelé Bab El Oued, ça déborde. De colère, de frustration, d'envies. Alors ces dix ans, c'est l'occasion de s'exprimer. De dire que les émeutes de janvier ne sont pas oubliées. Que le ras-le-bol est toujours là, à couver. Omar a 26 ans et le verbe facile. Son truc, c'est le rap. Et les tags dont il éclabousse les murs de son quartier. Avec Hichem, ils sont sur la même longueur d'onde. «Depuis 2001, rien n'a changé, constate-t-il en nous montrant un de ses graffitis : «Génoxy». Génoxy, c'est oxygène en verlan. Pour dire que c'est l'envers du décor. On manque tellement d'air pour respirer, exploiter, lâcher ce qu'on a en nous'»
Syrie
Mais celui dont ils sont le plus fiers, c'est leur dernier : «Pourquoi nous '», dessiné en rouge sang sur un des murs blancs de Bab El Oued chouhada. «Quand le pays est dans la merde, c'est nous qui faisons les sacrifices pour lui. Nous, on a passé une mauvaise période. Allah ghaleb, c'est comme ça, concède Brahim, 29 ans. Mais les jeunes qui viennent '» Hichem renchérit : « Pourquoi nous ', ça veut tout dire. C'est la question qu'on se pose tout le temps. Et jusqu'à quand on restera comme ça ' On ne veut pas en arriver à s'entretuer comme en Libye ou en Syrie. On ne veut pas qu'un Algérien tue un autre Algérien, on ne veut pas ça.» Omar est aussi très en colère.
«Les jeunes ont la volonté de faire avancer les choses, mais on ne leur laisse aucun moyen de s'exprimer. Ce qu'on a, c'est la vue. Là où les inondations ont tout détruit, ils nous ont mis des jardins, comme si on était des retraités. Et maintenant ces jardins, on les appelle les jardins du diable , parce qu'il n'y a que la fumette, la buvette' Rien n'existe pour faire évoluer les jeunes. Les autorités ne veulent pas que les jeunes deviennent intelligents.» Et Hichem d'accuser : «Tout ça pour que demain, un jeune ne puisse pas réclamer ses droits. S'il ne connaît rien, alors il ne réclamera rien. Mais nous, maintenant, on dit : il faut arrêter ça. » En marchant près du site de l'ex-SNTA où 150 personnes sont mortes, Omar nous prend à témoin.
Flicha
Les mômes du quartier se sont retrouvés pour jouer au ballon' à l'extérieur du petit stade qui a été construit sur les lieux du drame. «Les gamins ne veulent pas jouer dans le stade parce que le revêtement est trop dur. Quand ils tombent, ils se font mal. L'éclairage n'a jamais fonctionné et les buts n'ont pas de filet !» Rezika, mère de deux adolescentes, s'interroge aussi : «Est-ce qu'on peut appeler ça des stades ' Les jeunes ne sont pas pris en charge, il n'y a pas d'encadrement. La seule piscine qui existe, elle ouvre un mois et demi et elle ferme à 17h ! C'est inconcevable. Les jeunes n'ont que la mer et parfois, elle prend sa part, comme on dit en arabe...»
Sa fille, Farah, 18 ans, retrouve son groupe pour chanter à l'association SOS Bab El Oued, où les noms des 700 victimes emportées par el hamla ont été affichés. «A l'époque, j'avais 8 ans. Je me souviens de gens qui flottaient. Ils étaient morts. Pendant deux semaines, je n'ai pas mangé. C'est une partie de mon passé, de mon histoire et je voudrais commémorer ça pour que tout le monde se souvienne de ce jour.» Juste en face de chez Farah, sur la plage, Hichem balaie le bord de mer d'un revers de la main. «La mer a rejeté les corps pendant plusieurs jours'» Il n'en veut pas à el hamla, non, elle n'est qu'une fatalité de plus après 1988, Flicha et Napoli.
Ce n'est pas à cause d'elle qu'il a tenté plusieurs fois la harga. Comme ses copains, il pensait peut-être secrètement qu'après la catastrophe, l'Etat mettrait les moyens pour que Bab El Oued chouhada panse ses plaies. A force d'attendre des jours meilleurs, un logement décent pour sa mère et un passeport qui absout son casier judiciaire, il s'est fait une raison. «On n'est pas en train de vivre notre vie, dignement, comme des gens simples. Là, on ne fait que respirer. Survivre. Pendant cinquante ans, ils n'ont rien construit. Alors en dix ans'»
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