Dis-moi quelle voiture tu possèdes, je te dirai qui tu es»

Un cortège de mariage avec uniquement des véhicules 4x4 haut de gamme.Une scène d'été comme on peut en voir un peu partout en Algérie et pas seulement dans les quartiers huppés d'Alger où se concentre la jet-set. C'est vrai que les nouveaux riches adorent afficher leur nouveau statut social, mais il y a lieu de s'interroger sur le nombre de véhicules 4x4 qui roulent sur nos routes. Ce n'est pas encore les pays du Golfe, mais c'est proprement ahurissant. Même si les statistiques restent étrangement muettes à ce sujet, un simple coup d'?il sur n'importe quelle route vous démontre que le véhicule 4x4 s'est banalisé de manière sans précédent. Ah, qu'il semble loin le temps où le père de famille algérien entassait enfants et grands parents dans sa petite 4L poussive avant de prendre tranquillement la route du bled.C'est que, dans une société qui sacrifie de plus en plus aux joies de la consommation effrénée et qui s'urbanise à toute vitesse, l'automobile, spécialement dans sa version 4x4 de luxe, est devenue le premier signe extérieur de richesse. Sur la route comme en ville, le repérage social de l'individu se fait à partir de sa voiture. C'est donc par ce véhicule imposant qu'on étale sa réussite sociale. Comprenez que pour un homme qui a grimpé rapidement dans l'échelle sociale, il est souvent frustrant que le commun des mortels demeure dans l'ignorance de cette réussite quelquefois insolente. Il ne peut ni exhiber sa villa ni promener son compte bancaire en ville pour en mettre plein la vue aux amis, aux voisins et à la famille. Ni même à tous ces inconnus qui vous lancent des regards pleins d'envie ou de jalousie. Cela vous situe un homme.La route symbolise très bien cette compétition sociale devenue aussi féroce qu'impitoyable dans un pays en pleine mutation comme le nôtre.D'abord, l'habitacle surélevé de la bête permet à son heureux propriétaire de prendre de la hauteur par rapport au reste de ses congénères. De les toiser de haut. Ensuite, sa vitesse et sa puissance font le reste. Sur la voie rapide de l'autoroute, le 4x4 fond sur vous comme un rapace sur sa proie. Son propriétaire vous presse à coups d'appels de phare de vous déporter sur la droite pour lui libérer le chemin. Sur la route comme dans la vie, les hommes jouent à se dépasser. «Dis-moi quelle voiture tu possèdes, je te dirai qui tu es». Le monde où évoluent les low-cost comme la modeste Logan, la chétive Marutti, ou la très humble Dacia et l'univers où vrombissent les Touareg, Qashqai, Q5 et autres Hummer, se croisent mais ne se rencontrent jamais. Sauf à la pompe d'essence.A l'origine, le 4x4 a été conçu pour les aventuriers qui adorent bourlinguer sur les pistes cahoteuses des savanes africaines. Petit à petit, la ville est devenue son terrain de prédilection. Ce n'est pas le moindre de ses paradoxes : conçu pour l'aventure et les grands espaces, le 4x4 a conquis la ville qui, entre-temps, est devenue cette jungle urbaine où l'on joue du muscle mécanique pour se faire une petite place. Quand les heures de pointe sur les autoroutes algéroises font ressembler les voitures à un troupeau de gnous piaffant d'impatience de traverser la rivière du Massaï Mara, il y a de quoi, en effet, se croire dans la jungle.Autres temps, autres m?urs. La prochaine fois que vous verrez un cortège de mariage avec des véhicules 4x4, rappelez-vous qu'il y a encore un demi-siècle la mariée quittait le domicile parental sur le dos d'une mule ou d'un cheval. Ainsi donc, du quatre pattes au 4x4, l'évolution suit son cours.