Algérie

Dire l'innommable pour le devoir de mémoire et de la vérité La Guerre de la honte, tortures de la guerre d'Algérie 1954-1962 d'Yves Salvat


Dire l'innommable pour le devoir de mémoire et de la vérité La Guerre de la honte, tortures de la guerre d'Algérie 1954-1962 d'Yves Salvat
Les petites histoires qui font des pages d'Histoire étaient au rendez-vous, samedi dernier, à la 3e rencontre de Diwane Dar Abdelatif placée sous le thème «Algérie, récit colonial». Organisée par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc), cette rencontre a été animée par Yves Salvat qui a présenté la Guerre de la honte, tortures de la guerre d'Algérie 1954-1962 publié aux éditions Sedia, ouvrage inédit dans lequel l'historien donne la parole à ses camarades de contingent de l'armée coloniale avec lesquels il a partagé l'enfer de la Guerre d'Algérie. L'auteur se présente comme «un paysan, travailleur de la terre, plongé à l'âge de vingt ans dans l'enfer de ce que l'on appelait alors les événements d'Algérie». Le passé, dont les deux années terribles de son service militaire de 1958 à 1960, n'a cessé de le hanter, avec le sentiment du devoir de mémoire sur la question de la torture de l'armée française en Algérie.
«Les jeunes appelés que l'on ramenait de leurs villages perdus de France, on ne leur parlait pas de guerre. On nous disait : ''Nous allons pour pacifier et rétablir l'ordre républicain''», dira d'emblée l'auteur. Ainsi, dès qu'ils arrivent sur le sol algérien, les jeunes appelés subissent une mise en condition. On leur martèle que «les Algériens sont des sauvages» qui n'ont pas conscience des bienfaits que la France leur apporte. Mais une fois sur le terrain, Yves Salvat va être confronté à la cruelle réalité et se rendre compte que les véritables sauvages sont ceux qui ont perdu toute leur humanité et les valeurs de la République et de la patrie des droits de l'Homme. Sa première confrontation avec la torture est une véritable épreuve morale, qui fait trembler sa voix quand il en parle. Il raconte ce souvenir insoutenable d'une odeur nauséabonde qui le prend à la gorge, dès son arrivée à la caserne de son régiment. Il décrit alors cette terrible scène de ce jeune musulman enfermé dans une cuve d'où on ne le sort que pour le rouer de coups de crosses et cette image indélébile du sang qui giclait. Ce jeune musulman algérien qui n'arrêtait pas de crier son innocence sera remis dans la cuve par l'officier du régiment. Yves Salvat sur un ton abattu : «Le lendemain, ce musulman était mort. Voilà la première image insoutenable que j'ai vécu en Algérie.» Il enchainera révolté : «Je ne comprenais pas comment mes compatriotes qui avaient subi les affres de la Gestapo pouvaient faire subir la même chose aux Algériens.» Après ces deux années en Algérie, de retour dans son vignoble dans les alentours de Perpignan, Yves Salvat sera taxé, comme tant d'autres appelés revenus d'Algérie, de désaxé. «On nous a conditionné comme des êtres à part. A notre retour au village, on disait de nous ''celui-là a le soleil de l'Afrique dans la tête''.»
Mais le véritable problème qui taraude ce viticulteur aux principes humanistes, c'est la chape de plomb qui pèse sur les affres commis en Algérie. «Le problème, c'est aussi le silence. On était conditionné au silence. On nous interdisait de parler de la torture au sein même du régiment. Comment pouvions-nous alors parler de l'innommable à nos proches ou à notre entourage '»
«Je pense que pour braver cet interdit il fallait avoir une conscience. En tant que militant au sein du parti communiste, j'ai acquis cette conscience d'être en quelque sorte un esprit fonceur et avoir le droit de dire haut et fort ce que je pensais. Pour moi il était important de dire la vérité», ajoutera-t-il M. Salvat témoignera de la difficulté d'aborder le sujet de la torture en France et l'incompréhension de ses propres compatriotes qui ne comprenaient pas qu'une telle abomination puisse exister. «On nous accusait d'affabuler et que l'armée française ne pouvait faire cela», dira-t-il.
Ainsi, commence le long chemin de croix de cet homme de conscience confronté à l'omerta des élites et de la grande muette. Son manuscrit terminé au cours des années quatre-vingt, il contacta plusieurs maisons d'éditions qui ont refusé de le publier. Il faudra attendre 2001 pour que l'ouvrage, véritable camouflet à tous ceux qui ont osé nier la pratique de la torture en Algérie, puisse voir le jour. «Il était important pour moi de dire la vérité sur notre passé commun car on ne peut construire l'avenir sur de bonnes bases si on ne comprend pas notre propre passé, même dans ses actes les plus sombres», affirme l'auteur. «Ce qui m'a aussi motivé, c'est le fait que le fascisme et le racisme demeurent et redoublent même de férocité au sein du bassin méditerranéen. Il est important de dire la vérité, pour les jeunes générations afin qu'elles ne commettent pas les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs», ajoutera-t-il.
Aujourd'hui, plus de cinquante années après les faits, Yves Salvat confie qu'il a le «sentiment du devoir accompli, le soulagement d'avoir écrit noir sur blanc la véritable histoire de la Guerre d'Algérie». Mais il souligne qu'«il faut que ce genre d'ouvrages soient lus par un maximum de personnes car le racisme et le fascisme règnent encore et continuent de faire leur sale besogne».
Lors du débat, un homme victime de cette ignominie a tenu à apporter son témoignage sur «la torture, abjecte, féroce et innommable. La gégène, la baignoire, la maltraitance, les privations', ce que vous décrivez dans votre livre est exact car je l'ai personnellement subi». L'intervenant racontera en détails les insoutenables supplices qu'il a endurés. Et pour le mot de la fin, il aura une petite anecdote qui résume le livre.
Il raconte qu'un jeune caporal métropolitain, le jour de Noël 1959, aura un geste de compassion et lui a offert à lui et à d'autres prisonniers de la nourriture avant de leur permettre de prendre une douche, en leur confiant au moment où il les raccompagnait dans leurs cellules : «Moi aussi je suis prisonnier comme vous. On m'a forcé à venir en Algérie pour mener un combat qui n'est pas le mien.»

S. B.
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