Algérie

Digne d'un scénario hollywoodien : La libération d'Ingrid Betancourt, apanage des forces armées colombiennes


Otage depuis six ans et demi de la guérilla colombienne, Ingrid Betancourt, sénatrice qui fut candidate à l'élection présidentielle de 2002, a retrouvé la liberté le 2 juillet grâce à une audacieuse opération des services spéciaux des forces armées de Colombie, selon un modus operandi digne d'un scénario hollywoodien.

Quatorze autres otages, dont trois citoyens nord-américains, ont bénéficié de ce sauvetage dont s'enorgueillit le chef de l'Etat Alvaro Uribe, qui jouit d'une haute estime de la grande majorité de la population colombienne, meurtrie par plus de quatre décennies d'un terrorisme lié au plus grand trafic de drogue de la planète. Devenue l'emblème de tous les otages victimes de terrorisme ici et là dans le monde, l'image d'Ingrid Betancourt connut une grande diffusion grâce à la société civile et à sa famille, notamment à ses deux enfants adolescents et à son ex-mari français. Il remuèrent ciel et terre pour faire prendre conscience à l'opinion publique des actions inhumaines des rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) contre des civils colombiens, alors que les forces de sécurité du pays paraissaient impuissantes et incapables d'y mettre un frein. A Paris, l'ex-président Jacques Chirac d'abord, puis Nicolas Sarkozy donnèrent une grande ampleur à une campagne en faveur d'Ingrid en particulier, de centaines d'otages, en général, aux mains des FARC, qui met en lumière le drame vécu par la Colombie.

La prise d'otages de civils, de militaires et de policiers était censée servir à la rébellion de monnaie d'échange avec le pouvoir politique qui résistait à de tels marchandages. Au cours du premier semestre de cette année, le chef d'Etat vénézuélien, Hugo Chavez, considéré comme proche des FARC, avait proposé ses bons offices pour négocier la libération d'une quarantaine d'otages contre l'élargissement d'un demi-millier de rebelles prisonniers de l'armée régulière. La France et la Suisse étaient parties prenantes dans cette approche. Mais le chef d'Etat colombien était réservé, préférant la stratégie à long terme de ses forces armées qui avaient réussi, peu à peu, à mieux localiser les groupes rebelles des FARC éparpillés au nord-est et au sud-ouest d'un pays très étendu, d'une superficie de 1.138.910 km2, dominé par les Andes et la forêt amazonienne, propices à la guérilla.

En janvier dernier, la rébellion accepta de faire un geste en direction de Chavez en libérant Clara Rojas, la compagne politique d'Ingrid, et Consuelo Gonzalez, une ex-député. Un mois et demi plus tard, il y eut la libération de trois ex-députés qui furent remis à la Croix-Rouge internationale et au Venezuela qui avait mis à disposition la logistique aérienne indispensable. Paradoxalement, au cours de cette même période, les FARC expérimenteront des pertes sévères car trois membres de leur direction centrale, sur un total de sept, disparaîtront, dont le leader historique Manuel Marulanda, alias «Tirofijo». Avant d'être capitées, les FARC subiront le 1er mars le plus sévère revers militaire par la destruction d'un de leurs camps, localisé en territoire équatorien. Au cours de cette opération, le numéro 2 des FARC, Raoul Reyes, gendre de «Tirofijo», fort connu du monde extérieur, est abattu. Ses ordinateurs révéleront des centaines de données sensibles relatives notamment aux implications et aux aides reçues de pays voisins. Le Président colombien fit preuve de sang-froid pour éviter une crise régionale... et permettre ainsi aux services spéciaux des forces armées de poursuivre une stratégie qui va aboutir à la libération d'Ingrid Betancourt et de ses quatorze compagnons d'infortune.

Le 2 juillet, Ingrid est bel et bien libre contre toute attente. Sur le tarmac de l'aéroport militaire de Tolemaida, dans le département de Guaviare, militaires et civils laissent éclater leur joie et Ingrid s'empresse d'adresser ses remerciements à Dieu d'abord, aux «forces armées de sa patrie, la Colombie, pour leur action imparable». «L'opération fut parfaite», dira-t-elle textuellement et sans hésitation. Les otages libérés avaient vite compris qu'ils avaient été arrachés des griffes des rebelles par les services spéciaux militaires.

Dans l'euphorie générale et immédiate, la version officielle du sauvetage fut acceptée sans discussion. Depuis près d'un an, les forces armées avaient identifié le site où étaient retenus Ingrid Betancourt, trois citoyens nord-américains et une dizaine de militaires et de policiers colombiens. Le groupe rebelle fut infiltré par des agents secrets appartenant à l'armée colombienne, qui réussirent à se faire adopter par les guérilleros. Une fois la confiance établie, ces agents auraient convaincu les geôliers de faire transférer les otages dans la zone de la direction des FARC, grâce à des hélicoptères humanitaires appartenant à une ONG étrangère !. Peints en blanc, ces hélicoptères appartenaient en fait à l'armée colombienne. Cette version officielle ne révèle pas le degré de complicité parmi les rebelles - et à quel prix ! -, alors que les FARC traversent une grave crise non seulement à cause de la disparition physique de certains dirigeants mais aussi pour les nombreuses désertions de leurs militants à la fois désillusionnés par l'impasse politique et probablement sensibles aux récompenses et au pardon offerts par le gouvernement d'Alvaro Uribe. Celui-ci estime à 20% la perte des effectifs des FARC, qui n'auraient plus que 8.000 combattants, soit la moitié de ce qu'ils étaient voilà une décennie.

Quels que furent les dessous d'une opération complexe, la liberté d'Ingrid provoque la satisfaction de l'ensemble de la société colombienne car personne n'oublie qu'elle avait été enlevée le 23 février 2002 en pleine campagne électorale alors que, courageusement ou inconsciemment, elle se rendait à San Vicente del Caguán au coeur d'une zone dominée par les Forces armées révolutionnaires. Elle était alors candidate à la présidence de la République à la tête d'un parti écologiste. Elue sénatrice en 1998, après avoir été députée, elle voulait poursuivre sa carrière politique pour participer et contribuer à la lutte contre la corruption. Née en 1961, elle appartient à une famille très liée à la politique de Bogota. En effet son père, Gabriel Betancourt, fut ministre de l'Education et plus tard ambassadeur de la Colombie auprès de l'Unesco à Paris. Sa mère, Yoland Pulecio, une ex-miss Colombie, fut également membre du Parlement.

Le séjour diplomatique à Paris de toute la famille permit à Ingrid d'étudier à l'Institut des sciences politiques en compagnie de son futur mari, un Français, Fabrice Delloye, père de ses deux enfants.

Reçue en grande pompe à Paris à peine 48 heures après avoir recouvré la liberté, Ingrid compte poursuivre une campagne internationale pour obtenir celle de centaines d'otages aux mains de la rébellion dans son pays, tout en réaffirmant son soutien au Président Alvaro Uribe et aux Forces armées colombiennes.

Dans une certaine mesure discrets ces jours-ci, les Etats-Unis comptent poursuivre leur aide militaire et financière à la Colombie, qui bénéficie depuis plusieurs années d'un soutien technologique de haut niveau, qui expliquerait les derniers succès militaires contre la guérilla. Pour sa part, le Président Chavez avait demandé aux FARC, voilà quelques jours, de penser à une sortie politique. Dans la région, les observateurs politiques estiment que, symboliquement, la libération d'Ingrid Betancourt constitue un signe annonciateur de la décadence de la guérilla.




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)