Algérie

Déviances sociales



«Voilà pourquoi on a raison de dire que le criminel doit souffrir en proportion de son crime, pourquoi les théories qui refusent à la peine tout caractère expiatoire paraissent à tant d'esprits subversives de l'ordre social. C'est qu'en effet, ces doctrines ne pourraient être pratiquées que dans une société où toute conscience commune serait à peu près abolie. Sans cette satisfaction nécessaire, ce qu'on appelle la conscience morale ne pourrait pas être conservé. On peut donc dire sans paradoxe que le châtiment est surtout destiné à agir sur les honnêtes gens ; car, puisqu'il sert à guérir les blessures faites aux sentiments collectifs, il ne peut remplir ce rôle que là où ces sentiments existent et dans la mesure où ils sont vivants».

Émile DURKHEIM, «Définitions du crime et fonction du châtiment»

Un drame vient de se produire à Mostaganem, il ne s'est pas déroulé sur une autoroute, ni sur une Nationale ou une départementale. C'est sur une insignifiante et tortueuse route secondaire qui longe la mer , une voie autrefois réservée a des calèches et à des Tractions, un itinéraire qu'aurait affectionné tout randonneur esthète et amoureux de ces sites dont regorgent ces fronts de mer interminables de nos côtes algériennes. Bref ! Un lieu de villégiature et de farniente dont on n'aurait jamais supposé qu'il puisse un jour se transformer en un circuit de rallye. Ce fait divers n'a rien d'inédit, il surgira toujours n'importe où, même dans les espaces les plus inattendus : passages à piétons, abords d'établissements scolaires, sur des trottoirs. Cette grande faucheuse typiquement algérienne viendra ébranler nos cités indolentes et endeuiller nos familles tant que cette insouciance criminelle continuera à neutraliser nos moindres velléités de résistance à ces anomies ainsi que notre potentiel de socialisation avachi: Famille, amis, école, institutions. «Que soit issu de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront » (Coran Sourate 2, verset 104).

Cet inconcevable accident de la route dans un lieu tout aussi-saugrenu vient de mettre sous terre deux personnes et en prison deux autres. Quatre famille dans des proportions différentes sont endeuillées chacune à sa manière. Lors de ce drame une troisième personne fortuitement présente sur les lieux et totalement étrangère à ces faits a également été sauvagement agressé pour des raisons obscures. Tous ces incidents se sont déroulés dans des lieux où la présence policière devrait être omniprésente et ultra-répressive. Par paresse intellectuelle, on a tout mis sur le dos de la décennie noire: violences, déviances, anomalies sociétales…

 Personne ne se remet en cause, ni la famille, ni l'école, ni l'Etat. Par ignorance et par lâcheté, nous faisons endosser nos fautes à des facteurs ou à des auteurs énigmatiques, un enchevêtrement de responsabilités défaillantes toujours ancrées dans des zones obscures ou dans un passé si lointain et confus que nos malheurs nous donnent l'impression de relever d'un fatum insurmontable qui finit par condamner et déculpabiliser simultanément tout le monde.

 Si à une échelle microcosmique, individuelle, nous avons à juger un malheureux et fatal homicide involontaire produit lors d'un accident de la route qui survient fortuitement et rarement dans nos vies sans troubler pour autant la quiétude des citoyens ou choquer et terroriser violemment nos consciences collectives, dans ces cas exceptionnels et tolérables, la vie pourra suivre tranquillement son cours, nous pourrions aussi manifester de l'indulgence à l'égard de ceux qui commettront ces délits. Néanmoins la situation est loin d'être aussi idyllique, On a basculé depuis des années dans une autre dimension, celle de la délinquance routière, du terrorisme routier. On dénombre aisément 4000 décès par an, des dizaines de milliers de blessés. Les Services des Assurances dénombrent 300.000 accidents par an (qui vont de la simple égratignure à l'accident mortel). Même si le débat national sur cette calamité(1) , mené par des professionnels, essaye de manière exhaustive de faire référence à un faisceau de déficiences (facteur humain, infrastructures inappropriées au parc automobile évalué à presque 6 millions d'automobiles, dégradation des chaussées, problèmes d'éclairage et de signalisation…). Et même si nos spécialistes dénoncent l'absence d'une politique synergique et préconisent l'imminence d'une logique intersectorielle ou chaque institution portera une part de responsabilité dont elle doit convenablement s'acquitter au sein d'une stratégie globale. Rien dans toute cette gnose ne peut justifier les hécatombes que subit notre pays. Routes défoncées ou pas, carences de moyens ou autres excuses débiles, le seul constat qui revient invariablement est le suivant «90% des accidents de la route ont pour origine le facteur humain. L'Excès de vitesse en est la première cause. «Chaque année, dans le monde, près d'1,3 million de personnes – dont plus de la moitié ne sont ni conducteurs ni passagers d'une voiture – meurent dans un accident de la circulation, ce qui représente plus de 3000 décès par jour. Vingt à cinquante autres millions de personnes survivent à des accidents qui provoquent, partout dans le monde, des traumatismes handicapants. Si aucune mesure efficace n'est prise immédiatement, on estime que les accidents de la circulation devraient entraîner 2,4 millions de décès par an et devenir ainsi la cinquième cause de mortalité dans le monde.

L'ONU vient de lancer à partir du 11 Mai 2001 ce qu'elle a nommé « Plan mondial-Décennie d'action pour la sécurité routière, 2011-2020 » , Les observations et recommandations très pertinentes et exhaustives qui figurent dans son document laissent présager d'une détermination à faire de la sécurité routière un acquis certain qui sera à la portée de tous les pays qui consentiront à collaborer et être attentifs à cet ambitieux programme.

 En Algérie, Les cas de conduite ayant pour conséquence des «Homicides ou blessures involontaires» telles que mentionnées par le code pénal (Articles 288/289/290) sont devenus un sport national.

 Néanmoins en toute circonstances, la violence de la répression qui doit répondre à la gravité du délit demeure tributaire d'un ensemble de facteurs qui ennoblissent ou avilissent la Justice.

 Le principe de l'égalité de tous devant la Loi est en vigueur depuis plus de deux siècles, consacré par toutes les constitutions, il est le garant de cette Justice idéale et parfaite qui demeure l'un des plus puissants vecteurs de paix et de cohésion sociale.

 Motivé par le souci de promouvoir une politique pénale plus répressive et répondre à l'attente d'une société excédée et désemparée par les multiples phénomènes de délinquance. On voit parfois la Justice innover en recommandant ou en intimant aux juges plus de sévérité dans l'application de la Loi. L'exemple des «Peines planchers» introduit en France en 2007 demeure un exemple frappant concernant cette légitime velléité de l'Etat à s'immiscer ou rogner la souveraineté du Juge afin de restituer au système judicaire et pénal ses fonctions dissuasives et répressives qui lui faisaient défaut.

 L'ensemble des juristes et magistrats se plaignent de la systématisation de la détention préventive et de l'extrême raréfaction du recours à la mise en liberté provisoire qui est en matière de droit la règle et non l'exception. Encore une fois ces injonctions et intrusions administratives tacites dans le domaine d'une Loi supérieure et souveraine sont motivées parfois par la crainte de voir une instrumentalisation de cette mesure de manière le plus souvent irresponsable.

S'il n'ya pas une partie civile (Victimes ou Associations) résolue, une opinion publique éclairée et au fait des événements de la cité, une société civile active et soucieuse de l'intérêt général, une presse locale d'investigation et des mass-médias courageux, il ne serait pas étonnant de voir n'importe où dans le monde certains magistrats moduler les chefs d'inculpations et les peines en fonction du statut social de l'accusé.

Bien qu'il affectionne lui aussi des actes déviantes appropriés à son statut social, Le citoyen misérable rongé par la paupérisation, n'a ni les moyens de commettre ces folies propres à notre bourgeoisie et dispose encore moins du culot et de la fortune nécessaires pour soudoyer la Justice. Le manque de moyens ou de probité détermine ou justifie la qualification pénale et la sanction. Comment peut-on, en matière d'Homicide involontaire, se contenter allégrement de la qualification du délit défini par l'Article 288 au lieu par exemple d'appliquer l'article 290., sachant que la première qualification fait encourir au condamné entre 06 mois et 03 ans de prison tandis que la deuxième qualification fait grimper la peine au double. La réponse est très simple :

1) Si la police et la gendarmerie ne sont pas suffisamment déployées sur les zones urbaines ou suburbaines sensibles et notamment en période estivale afin de se donner les moyens d'agir dans la célérité maximale pour constater des faits qui comporteraient des conduites en état d'ivresse.

2) Si aussi ces mêmes structures ne pratiquent pas de manière systématique avec les instruments appropriés à même de déterminer techniquement les taux d'alcoolémie au-delà desquels la justice peut sans aucune ambigüité se référer à la deuxième qualification pénale (Article 290).

 3) Si enfin l'une de ses deux structures pour des raisons que tout le monde connaît omet de mentionner dans ses rapport la mention d'Etat d'ivresse ou de fuite, alors la Justice (tous les échelons confondus-instruction-procès et verdict) se résignera le plus naturellement du monde à s'en tenir à l'Homicide involontaire simple et avec en plus la latitude de déterminer la peine entre 06 mois et 03 ans de prison. Et voilà tout bêtement comment ces criminels de la route, partout dans le monde chaque fois que ces carences suscitées subsistent, arrivent à écoper de sanctions pénates ridicules.

 De prime abord, la justice humai-ne après des siècles d'érudition et d'humanisation considère que l'acte de juger doit impérativement s'adosser aux spécificités d'une nature humaine insaisissable, faillible, perfectible et constamment soumise à des déterminants endogènes et exogènes qui font de toute réponse pénale un acte extrêmement délicat et complexe. Ainsi et d'un point de vue purement psychologique, parce que certaines fatalités humaines telles que «l'inattention, la négligence, la maladresse…» (Corrélatifs aux Homicides et blessures involontaires) constituent des troubles passagers qui affectent l'esprit et induisent des incidents déplorables, la responsabilité de leur auteur s'en trouve forcement atténuée. On trouvera dans ce paradigme de mobiles quasi-absolutoires cette obligation malheureuse qui nous pousse à absoudre partiellement ces péchés et à atténuer ces fautes que quiconque serait susceptible de commettre sachant à juste titre que nul n'étant infaillible et que l'impeccabilité humaine est illusoire. Néanmoins, le monde change et avec lui les philosophies pénales et ainsi ces prétextes commencent à perdre de leur validité et pertinence.

 En matière d'Homicide involontaire et sur un plan moral et philosophique la société a pris conscience de ces implacables nuances sémantiques où nous devons sans cesse dissiper ce flou qui sépare un Acte délictueux volontaire, délibéré, conscient de cet autre Acte aussi délictueux mais dont on essaye de minimiser ou d'escamoter la gravité au moyen de ces alibis « inattention , négligence , maladresse…» alors que son auteur jouit de tous les moyens psychologiques lui permettant d'apprécier et jauger les risques conséquents et fortement inévitables qui seront induits par une série de ses attitudes antérieures irresponsables dont il est pleinement conscient, à savoir :

1-Consommation excessive de l'alcool. 2- Conduite en état d'ivresse. 3-Excès de vitesse et non respect du code de la route … il faut se résoudre à reconnaître que le cas échéant, ces situations où ces alibis (inattention, négligence, maladresse…) perdent leur sens et doivent un jour cesser de dédouaner leur auteur de cette même responsabilité aggravée que le législateur attribue à d'autres infractions aux sanctions plus lourdes.

Ainsi, force est de reconnaitre que tous ces actes déviants quelle que soit la forme qu'ils revêtent constituent des choix comportementaux, des attitudes conscientes, délibérées ; par conséquent ce qui, à postériori et de manière inévitable, pourrait en découler ne devrait pas exonérer leur auteur d'une culpabilité prononcée qui réclame des sanctions sévères que la raison humaine approuverait sans la moindre hésitation pour les raisons suivantes :

1)- Lorsqu'une personne s'adonne sans aucune tempérance à la consommation d'alcool ou à toutes autres substances psychoactives ou hallucinogènes (sachant que l'ivresse inhibe tous les reflexes de la vigilance, de la lucidité, du discernement et de la raison).

2)-Lorsque cette même personne, étant pleinement consciente avant son état d'ébriété de tous les risques encourus suite à une conduite en état d'ivresse, se met quand même au volant, elle commet là sa première erreur fatale et impardonnable.

3)-Lorsqu'ensuite cette même personne dépasse excessivement la vitesse autorisée par le code de la route. Elle commet sa deuxième erreur fatale et impardonnable.

4)-Lorsqu'enfin l'inexorable et irréparable drame survient et que cette personne commet ce que la Loi appelle «Homicide ou blessures» involontaire, et que l'auteur de ce délit prend la fuite, et lorsque le plus souvent lui, sa famille et son entourage excellent ( selon les cas considérés par la Loi comme des facteurs aggravants) à «modifier l'état des lieux, soit par tout autre moyen, à extirper l'auteur du délit de la responsabilité pénale ou civile qu'il doit encourir. » (2)

5)-Lorsque aussi, les autorités qui sont chargées, selon les échelons divers, à titre préventif ou répressif, d'anticiper ces tragédies ou de réparer ces torts, font preuve (pour certains) de ces mêmes négligences et maladresses que l'on condamne dans les comportements de cette jeunesse délinquante, et (pour d'autres) d'une complaisance qui n'a rien à voir avec l'application d'une Loi implacable, inflexible et impartiale.

 Nous favorisons à notre insu une culture de l'émeute déjà socialisée comme unique moyen de hurler sa douleur face à des situations tragicomiques et de réclamer justice dans un monde de fous.

A suivre










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