Le fardage est l'action de mettre en valeur une marchandise pour faire vendre une autre de moindre qualité. C'est du moins la définition générale que l'on peut en retenir.
Cette pratique, connue surtout dans le négoce, est passée dans les moeurs sociales et administratives du pays. Elle est pratiquée de manière éhontée et peu de personnes s'en offusquent ; son échelle va du simple man?uvre au grand commis de l'Etat. Elle crée des liens jusque là distants dans la complicité. Plusieurs exemples illustratifs peuvent être déroulés pour l'appréhension du propos. En se levant un bon matin ou en rentrant un soir à la tombée de la nuit, notre attention est attirée par la présence inhabituelle d'une nuée d'ouvriers en pleine agitation. Fiévreusement affairés, ces ouvriers ne prendront même pas le soin de dépoussiérer préalablement les bordures de trottoirs qu'ils repeignent en rouge et blanc. Le rouleau dégoulinant de peinture escamotera momentanément les restes de boue et advienne que pourra après l'illustre visite. De petits monticules de terre accolés à des murs à chauler seront contournés par la brosse et c'est normal. Ce qui ne l'est pas par contre, ce sont ces lacunes dans la pellicule de chaux appliquée à la hâte qui apparaîtront à l'enlèvement des monceaux de terre. Quant aux plates bandes fraîchement défrichées et piquées par des arbustes dont le feuillage est déprimé, elles seront piétinées et resserviront de « voie rapide » pour piétons pressés, juste après la visite d'inspection. Et si cette dernière est reportée sine die, l'arrêt des travaux est abrupt, des restes du chantier mort-né en témoignent le plus souvent. Maâlich ! On remisera l'opération dans les PP (pertes et profits dans le jargon des comptables).
La mode « rétro » du réverbère en fonte, onéreux de surcroît, est en phase de supplanter la fonctionnalité du « rustique » éclairage public. On se met à l'éclairage d'ambiance qui est, en principe, réservé aux squares et jardins publics. La compétition ouverte se fera sur le registre du nombre de candélabres de chaque support planté. On raconte à ce sujet, que pour régler le problème de désoeuvrement des jeunes dans une wilaya du Sud qu'il n'est nul besoin de citer, on aurait confié à chacun d'eux, moyennant ristourne, un poteau à faire sceller. Si la panacée se vérifie, le royaume d'Ubu n'aurait rien à nous envier. Ces attributs ornementaux sont impunément fracassés dans une autre wilaya du Sud-est cette fois-ci, par les gros engins de l'entreprise chargée des travaux d'assainissement. Il suffisait de déboulonner et de reboulonner après service fait. A l'allure où vont les choses, le programme de développement supposé assurer le décollage économique du pays, ne sera en définitive qu'un ballon de baudruche. Inopérant, il aura été le simple alibi de la dépense publique à l'effet de consommer les crédits de paiement alloués aux consécutifs exercices budgétaires. Les performances de réalisations sont souvent mesurées à l'aune de la consommation budgétaire. Et ce ne peut être que biaisé ! A quoi peut-on rapporter ce dépérissement ? La seule hypothèse qu'il soit permis d'avancer, avec le respect du à cette multitude d'anonymes qui ne rechigne pas à la tâche, ce qui nous interdit d'autant à céder à toute malveillance, serait de penser que compte tenu des plans de charge « démentiels », le délestage technique des plans de développement communaux (PCD) par certains départements sectoriels, est patent. Nettement perceptible à travers les violences faites aux règles de l'art, la déchéance tutélaire a ouvert la voie à l'incohérence et à la gabegie. Certaines communes ne semblent pas savoir quoi faire des locaux du Président destinés aux jeunes. Mal implantés le plus souvent, ils ne répondent à aucune logique sociologique, encore moins économique. Chaque chef lieu de commune veut, par mimétisme, avoir un mobilier urbain similaire à celui du siège de la wilaya ou de la daïra. Si pour les grosses agglomérations urbaines, l'émulation serait de bonne guerre, elle ne serait par contre, dans les communes rurales, qu'un relent simiesque qu'il faut refréner au plus vite. L'âme rurale déjà entamée par la perdition urbaine est entrain de subir les contrecoups des déviances sociales de la ville à laquelle, elle emprunte sans discernement, les attributs.
Après le pôle universitaire, un autre néologisme fait actuellement surface : le pôle urbain. Il n'y pas si longtemps c'était le syndrome du complexe : sidérurgique, textile, laitier qui n'a d'ailleurs pas fait long feu. Il est prévu dans une wilaya du centre, réputée pour son agro-ruralité viticole, arboricole et accessoirement pastorale, la réalisation de 19 pôles urbains. A-t-on déjà testé la viabilité du premier qui se réalise au chef lieu de wilaya, somme toute judicieuseuse, compte tenue de la citadinité millénaire du site pour décréter la généralisation de ce « prototype » urbanistique ? Si le choix du style arabo-andalou est une heureuse initiative pour ce pôle, il n'en est pas de même pour l'option voûte et palmiers sur les axes routiers périurbains de cette même circonscription territoriale du Nord, faut-il le préciser ? Ce genre propre aux groupements humains du Sud, est incongru dans une région neigeuse et verglacée en hiver. L'arborescence du palmier est certainement l'une des plus ardues à l'entretien ; les quelques palmiers « chevelus » d'anciens domaines agricoles coloniaux sont encore là pour étayer le propos. Nous avons, dans un précédent écrit, signalé déjà ces édifices publics, qui jurent par leurs couleurs criardes. Du jaune canari de la Protection civile qui s'est rattrapée en optant pour le blanc, au bleu azuré des châteaux d'eau dénotant injurieusement sur les environnements steppique et saharien. Un de ces réservoirs en forme de verre à pied, placé en avant-plan du mont Adriène de Tamanrasset, a défiguré l'environnement immédiat de ce beau site. Quant à la couleur orange, si elle a été assimilée par la Mitidja par le truchement des buvettes de même couleur de la défunte Enajuc bien intégrées dans le panorama, elle ne peut l'être partout ailleurs. Les paysagistes ont, dans ce cadre précis, du pain sur la planche. L' écriteau en lettres de laiton sur fond noir, qu'on retrouve un peu partout, aussi bien sur l'édifice de souveraineté qu'au niveau du cimetière dénote, si besoin était, du peu de cas qu'il est fait du coût de cette débauche dispendieuse. Quant aux graphisme et contenu, il ne vaut mieux pas s'y attarder sans omettre, toutefois, d'en donner un spécimen d'anthologie. Un joyau architectural destiné aux métiers de l'artisanat porte sur son fronton et contre toute attente, l'intitulé de l'opération par laquelle il a été réalisé : «locaux professionnels», alors qu'il s'agit bel et bien d'un centre artisanal.
Dans une autre wilaya typiquement agropastorale cette fois-ci, on n'a pas trouvé mieux que de daller, en rase campagne, un terre-plein centrant la route à double voie, par des autobloquants sur une distance de près de 14 kilomètres, poteaux et double luminaire en sus. A quoi sert-il enfin de compte de daller ce « couloir de la mort » qui ne dessert rien, ni personne. Une courte haie de verdure aurait mieux servie le paysage déjà presque désolé. En ce qui concerne la pérennité du dallage, elle ne peut être qu'aléatoire, il suffirait qu'un des éléments se détache du lot pour que tout le puzzle « foute le camp ». Qui s'acquittera, après décompte définitif, des charges de fonctionnement induites ? Il est mal venu de dépenser à bourse déliée sur des opérations dont l'inopportunité est à la limite de la gabegie, quand d'innombrables quartiers urbains sont plongés dans le noir ou privés de V.R.D (voierie et réseaux divers). L'élu local, supposé être le vigile de l'acte administratif par définition, se mute en mauvais gouvernant (gouvernance s'entend) dès lors qu'il est chargé d'une mission pour laquelle il n'était pas préparé et qui ne pouvait être la sienne : l'édification. Elle ne pourrait s'entendre que dans un cadre d'autofinancement de la collectivité elle-même et ce n'est que dans ce seul cas, que l'élu local sera contraint de compter ses sous. Un adage populaire recommande au quidam qui souhaite couvrir tout son corps en hiver ceci : « Allonge tes jambes selon l'ampleur de ta couverture ». Et ce n'est, malheureusement pas le cas au jour d'aujourd'hui. Le technocrate pour sa part, se confine dans le rôle réducteur de scribe de programmes d'opérations à inscrire ou à réévaluer. Il se fourvoie ainsi dans une mission qui n'a jamais été de sa compétence : le clientélisme, au détriment du bon droit et de l'équité sociale. Invoquer un quelconque patriotisme économique, serait de suspecte connotation dans le contexte. Se croyant immunisés par le virtuel protectionnisme paternaliste du chef, de nombreux commis de l'Etat de compétence avérée, ont été laissés en rade suite à de cinglants désaveux. Par quoi pourrait-on subséquemment justifier cette errance institutionnelle ? Parce que il s'agit bien d'errance, en regard des pratiques oligarchiques commises çà et là et sans recours. Plus nationaliste que moi, tu meurs ! Il ne s'agit en fait que de retombées négatives d'injonctions péremptoires de responsables qui ne s'embarrassent d'aucun préalable consultatif, et à quelque niveau que ce soit, qui font de « çà vient d'en haut » en dirigeant le pouce vers le plafond, l'argument indémontable de la fuite en avant. Un simple rapport circonstancié et bien argumenté peut, sans pour autant exposer son auteur à des risques souvent supposés que réels, à lui seul, soulever des montagnes. L'envoûtement de la promotion socio-professionnelle par la soumission, ne peut mener que vers les abysses de la désillusion sans préjudice des torts subis par la communauté.
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Posté Le : 19/03/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com