Algérie

Développement de la filière lait Le potentiel et les entraves



Développement de la filière lait Le potentiel et les entraves
Publié le 20.04.2024 dans le Quotidien l’Expression

Le secteur laitier fait face à de multiples contraintes et défis qu’il faut surmonter.
Par Kamel Belhout*

Le lait, l'aliment millénaire de base à l'origine de tous les produits laitiers dans leur grande diversité, important dans le régime alimentaire humain du fait de ses bienfaits potentiels grâce à sa composition en protéines laitières et en nutriments, ainsi que les probiotiques qui contribuent à l'amélioration de la santé humaine et qui répondent partiellement ou totalement aux besoins nutritionnels journaliers et cette importance socio-économique est conjuguée à celle de l'identité culturelle des pays.

Le développement du secteur laitier est un outil puissant, durable et équitable pour renforcer la croissance économique, la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté, car ce créneau fournit aux éleveurs une source régulière de revenus et une stabilité financière.

Le développement de la filière lait est influencé par la stabilité institutionnelle et l'évolution de la demande. Les progrès technologiques ont amélioré les performances génétiques et techniques de production et de productivité à la ferme, de transport, de communication et de transformation et le développement de cette filière est intimement lié au développement durable des exploitations influençant toutes les autres activités de la filière laitière en tenant compte des habitudes traditionnelles de consommation des populations pour les produits laitiers.

Les facteurs limitant le développement de la production laitière, aujourd'hui, surtout dans les pays en développement sont essentiellement le facteur alimentation et bien-être de l'animal qui influent directement et immédiatement sur les rendements et la qualité du lait, ainsi que l'absence de compétences nécessaires pour la gestion des exploitations en tant qu'entreprises et l'accès réduit à des services de santé animale et au crédit pour le financement des investissements. Pour la disponibilité des produits laitiers et leur introduction en quantités suffisantes et d'une manière durable pour améliorer la couverture des besoins nutritionnels en protéines animales, le secteur laitier requiert toute une stratégie de développement de la filière dans le contexte des mutations structurelles qui s'opèrent dans l'agriculture et qui ont pour effets inévitables sur toutes les filières de production agricole, ce qui nécessite de lancer un projet qui a pour objet d'étudier la stratégie de production laitière permettant l'évaluation et l'analyse des forces, des faiblesses et des défis de durabilité globale des différents systèmes laitiers dans un cadre de travail scientifique et technique.

Premiers consommateurs du Maghreb

Pour maintenir cette durabilité de couverture des besoins en produits laitiers, le secteur laitier fait face à de multiples contraintes et défis qu'il faut surmonter à savoir: la rentabilité, la traçabilité des produits, la qualité des produits, la sécurité d'approvisionnement des intrants et l'augmentation de leurs prix, le respect de l'environnement et le bien-être animal, ce qui impose une réflexion approfondie sur les modes de production actuels et sur les alternatives à développer pour faciliter l'adaptation du secteur à l'échelle micro et macroéconomique.

L'Algérie qui compte actuellement plus de 44 millions d'habitants est le deuxième plus gros importateur de poudre de lait dans le monde après la Chine qui constitue le principal aliment assurant à la population un apport protéique journalier à raison de 16% contre 10% de l'apport des produits carnés et ovoproduits et elle est le premier consommateur laitier au Maghreb avec une moyenne de consommation dépassant la moyenne mondiale fixée par la FAO à 90 litres/an par citoyen et qui oscille entre 145 et 150 litres/hab/an, soit un besoin annuel national qui varie entre 6,4 et 6,6 Mds de litres-équivalent-lait par an (tous laits et laitages confondus) sachant que ces besoins sont partiellement couverts par la production locale avec 2,5 milliards de litres (FAO, 2022) et par l'importation de 300 000 t/an de poudre de lait par l'Onil, le reste est couvert par l'importation des opérateurs de secteur privé.

Aujourd'hui, l'atteinte de l'objectif de l'autosuffisance en matière de production laitière qui est un grand souci pour l'État n'est possible que par l'émergence des systèmes d'élevage laitier intensifs entravés et semi-entravés avec des fermes d'élevage intégrées et de différentes tailles: petites, moyennes, grandes et méga en fonction de la disponibilité foncière, des capacités logistiques et techniques de gestion des éleveurs et du nombre de vaches laitières avec un seuil minimal et maximal de cheptel pour chaque taille.

Et pour un calcul adéquat de niveau de production laitière en Algérie, on peut retenir différentes simulations sur base des rendements donnés mais actuellement, le rendement plausible pour le calcul de niveau de production laitière est le rendement moyen minimal de 7 500 litres / VL / lactation, soit 25 litres/VL/jour en adoptant des systèmes de rationnement basés sur les fourrages verts et secs, les ensilages et les aliments concentrés, car techniquement, mise à part l'herbe fraîche qui est directement broutée au pâturage, les fourrages verts doivent être présents à hauteur de 70% de la ration à côté des foins et des ensilages apportés à l'auge de l'étable pour constituer la ration alimentaire de base pour les vaches laitières sachant que la consommation journalière d'une vache laitière dépasse les 50 kg d'aliments exclusivement d'origine végétale en adéquation avec sa spécificité digestive et anatomique qui permet la valorisation de la cellulose des végétaux.

Forte volatilité des charges

Selon cette simulation, le nombre de vaches laitières nécessaires pour une production autosuffisante d'ordre de 6 Mds de litres/an est relevé à 880000 têtes sachant que cette intensification de la production laitière est en relation inverse avec la taille du cheptel. À chaque fois que le niveau de production augmente d'une façon durable, le nombre d'animaux à traire diminue, ce qui est un bon indicateur dans l'opération de production laitière surtout pour les pays importateurs de génisses comme le nôtre. Pour la mise en place de ces systèmes d'intensification de la production laitière, il est primordial de répondre à deux conditions nécessaires qui sont: les conditions intrinsèques et celles extrinsèques de production. Les conditions intrinsèques consistent au potentiel génétique de l'animal qui permet une production laitière journalière acceptable à importante sur un intervalle de temps donné où l'extériorisation au maximum de ce potentiel génétique est relative à l'application des bonnes pratiques agricoles (BPA) qui sont les conditions extrinsèques de production couvrant les éléments clés suivants: le bien-être et la santé animale, l'hygiène et prophylaxie des élevages, l'alimentation et l'abreuvement, l'environnement et la gestion socio-économique de l'exploitation.

Néanmoins, vu le contexte de forte volatilité des charges dans le secteur agricole en général, la question de l'alimentation et la production des aliments de bétail ainsi que celle de bien-être de l'animal demeurent les plus importantes des autres facteurs d'amélioration des performances de la production laitière, car l'alimentation impacte durement l'éleveur dans ses projections économiques où il recherche une valorisation maximale de son atelier lait.

Et pour surmonter ce contexte, la solution est de produire des aliments suffisants, de qualité et d'une manière durable au niveau de la ferme à des coûts de revient acceptables ou de mettre à disposition aux élevages hors sol des aliments par des producteurs spécialisés dans les fourrages et les autres types d'aliments de bétail à des prix raisonnables, tout en optimisant et valorisant au maximum les produits utilisés en limitant les gaspillages, en utilisant des méthodes scientifiques de rationnement et par l'élimination des animaux improductifs de fait que les dépenses concernant l'alimentation sont à raison de 60% des charges d'un élevage bovin laitier productif.

Le maïs comme substrat...

Aujourd'hui, la stabilité institutionnelle de la filière lait exige la création d'une institution ou d'un organisme de gestion de production laitière et d'aliments de bétail ainsi que l'organisation des producteurs laitiers pour le développement et la promotion des stratégies d'acteurs de secteur laitier.

Cet organisme de gestion de production laitière et d'aliments de bétail pourrait être issu d'une fusion de l'Onil et de l'Onab avec une restructuration adaptée à sa nouvelle mission et ce nouvel office aurait pour trois missions essentielles: primo, la production et la commercialisation des aliments de bétail via la création de fermes de production spécialisées dans les fourrages et les autres aliments de bétail. Secundo: la création de pépinières de production de génisses dont la constitution initiale du cheptel via l'importation. Tertio: l'encadrement et la réglementation de réseau de collecte de lait en collaboration avec le réseau de transformation.

Et pour réussir les deux premières missions, un programme de financement pour soutenir les productions des aliments et des génisses ainsi qu'une accession à un important portefeuille foncier agricole sont nécessaires pour créer deux sortes de fermes agricoles en grands nombres spécialisées dans la production des génisses et les productions fourragères (graminées et légumineuses), les protéoléagineuses et surtout les deux types de maïs: graine et fourrager, car les élevages de bovin laitiers les plus performants au monde utilisent le maïs comme substrat à hauteur de 80%. Ce nouvel organisme doit tracer un programme de développement durable de la production laitière par la constitution initiale d'un cheptel bovin laitier national d'une taille d' un million de vache laitière au minimum et doit mettre en place des systèmes pérennes de productions fourragères et des autres aliments de bétail tout en déployant une stratégie d'intégration entre l'amont et l'aval de la filière. Concernant le volet financier, l'adoption de l'organisme d'une approche d'amélioration, de croissance et de compétitivité de la chaîne de valeur de la filière passe par le révolutionnement des mécanismes de financement des chaînes de valeur via les institutions financières de manière plus rentable tout en contrôlant le risque de crédit. Pour ce, il est requis de mettre en place un «crédit filière lait» en vertu d'une convention multipartite reliant et contraignant les différents acteurs de la filière (l'Office-l'éleveur-le fournisseur d'intrants-l'institution financière-le collecteur-le transformateur). Aussi, il est fondamental d'instituer un programme d'adhésion des producteurs laitiers et les autres acteurs de la filière aux dispositions du crédit-filière en application d'un système d'appel à projet pour une sélection plus pertinente et rigoureuse des différents acteurs adhérents.

Enfin, l'élaboration d'une stratégie d'acteurs pour une filière compétitive et efficace suppose d'être en capacité et en responsabilité de mettre en oeuvre cette stratégie sous la forme d'actions ou du moins de disposer des capacités d'influence pour conduire sa mise en oeuvre et l'efficacité de la filière est liée à la diversité des systèmes de production, de l'efficience du réseau de collecte et de conditionnement, d'entreprises de transformation, de savoir-faire et de large gamme de produits laitiers de grande consommation labellisés avec des marques à forte notoriété, tant sur le marché local qu' international.

La stratégie collective de l'interprofession de la filière lait constitue encore un rouage essentiel de l'organisation socio-économique de ses acteurs en s'appuyant sur la coordination de ces acteurs et de leurs actions dans les différents maillons de la filière dans le but de donner une image positive et durable de la filière laitière, d'améliorer la compétitivité de la production et de la transformation laitières dans son aspect qualitatif et quantitatif pour approvisionner le marché local et pour contribuer au développement des exportations hors hydrocarbures.

*Ingénieur agronome



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