Algérie

DEVALUATIONS



Il ne sert à rien d'essayer de raisonner le ministre des Affaires religieuses vouant aux gémonies ceux qui auraient l'outrecuidance de boycotter le scrutin. Ceux qui ne voudront pas aller voter le 10 mai et ils sont nombreux ne risquent pas d'être affolés par la menace de la Géhenne qui est implicitement agitée par le ministre. Ils hausseraient déjà les épaules si le propos était celui d'un «simple» imam. Et ce n'est certainement pas les considérations d'un homme politique occupant la fonction de ministre des Affaires religieuses qui pourraient perturber ceux qui iront à la pêche ou faire du jogging le 10 mai prochain.
Il reste seulement à constater qu'on n'a rien compris des dérives des années 90. Ceux qui continuent de dénoncer le FIS… font toujours comme lui et dévaluent le discours présumé religieux. Beaucoup d'Algériens sont lassés de ces références et n'acceptent pas cette instrumentalisation frustre, qu'elle soit le fait du pouvoir ou de ses opposants. Ils respectent trop leur religion pour accepter qu'elle soit utilisée, une fois de plus, dans une logique de division et d'anathèmes. Ils savent que la politique, c'est une affaire d'hommes, de passions, de système en place et d'intérêts et ils ne veulent pas que le domaine du sacré soit jeté dans l'arène des disputes. Les Algériens, croyants ou non, pratiquants ou non, sont majoritairement beaucoup plus en avance que les officiels et leur primitive vision instrumentale de la religion.
Avec Ahmed Ouyahia, on retrouve le terrain connu de la répétition à outrance de la «menace étrangère». Il faut voter donc, voter massivement, pour éviter l'ingérence étrangère. Bien entendu, la «menace étrangère» existe toujours et un homme politique peut l'invoquer pour essayer de mobiliser une opinion très largement défiante. Il aurait pu s'interroger sur les causes de cette défiance, sur le manque d'enthousiasme des Algériens pour la campagne électorale. Mais, il est compréhensible qu'un politicien au pouvoir depuis des décennies ne veuille pas trop se poser ces questions perturbantes. Ce qui est moins compréhensible est de laisser entendre que ceux qui ne se rendront pas aux urnes feraient le lit de l'intervention étrangère. Ici également, on convoque un argumentaire qui dévalue la notion de «menace étrangère» et la transforme en épouvantail. Sauf que ce Bourourou à force d'être agité, même en direction d'enfants innocents, perd totalement de sens.
Les relations internationales ne sont certes pas un fleuve tranquille dont le cours serait administré par des diplomates policés… Ces relations sont fondées sur les rapports de force, les intérêts, les alliances et, accessoirement, par le recours à la force. Dans ce monde où le droit international lui-même incarne un état de ces rapports de force, les choses évoluent. La menace extérieure peut se prévaloir de nouvelles notions comme «le droit d'ingérence humanitaire» ou le «devoir de protection». Mais cette évolution du droit international qui tend à remettre en question la souveraineté des Etats s'accompagne de la stagnation observée dans le monde arabe: la dictature immobile et l'autocratie absolue, le refus de la citoyenneté a fini par créer une vraie disponibilité à accepter l'ingérence étrangère et parfois à la souhaiter. Cette «menace étrangère» n'émane pas d'un monde inconnu dont on ne connaîtrait ni les rouages ni les motivations. La menace étrangère, si on souhaite appréhender sérieusement ce qui se joue dans le monde arabe, est d'abord interne. Elle est le résultat de systèmes fondés sur l'exclusion et l'absence de libertés.
Il est inutile de tenter de jouer sur les peurs, les fantasmes et le mythe de la citadelle assiégée. Cette curieuse démarche n'aboutit qu'à dévaluer des notions qui dans l'absolu sont éminemment importantes. La pensée magique en lieu et place du débat politique cohérent ne mène pas très loin. Dans les faits, en recourant à des arguments creux, on ne contribue qu'à la dévalorisation du discours rationnel sans créer les vraies conditions de la protection et de la sauvegarde des indépendances.




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