Algérie

Deux Africains dans la ville


Deux Africains dans la ville
Le premier est une véritable bête de scène et les musiciens qui l'accompagnent se sont surpassés. De vrais professionnels avec une maîtrise parfaite des sonorités et des arrangements fabuleux qui marient matériel électrique et instruments traditionnels, un cachet propre aux Africains. Le public est tenu en haleine, pas une minute de répit. Durant la bonne heure qu'aura duré la prestation, presque chaque musicien a eu droit à son solo, y compris le bassiste et le « Koriste » mandingue qui se sont donné la réplique sur un fond rythmique des plus riches au monde et agrémenté par la « calebasse percussion ». Le chant de Salif Keita est soutenu par deux choristes femmes, mais la star a laissé s'exprimer ses musiciens (tous du continent africain) comme ne l'aura fait aucun autre, d'où cette immense richesse du spectacle qui a séduit plus d'un.Sachant que la musique africaine n'est pas très bien distribuée en Algérie, c'est presque un miracle que le public ait pu suivre et répéter parfois en ch'ur certains passages, guidés par l'artiste. Nous avons l'habitude de voir durant ses soirées un public diversifié brandissant des drapeaux africains, notamment celui du Sahara occidental. Ce soir-là, les Maliens se sont distingués dans l'euphorie globale. Succédant au « griot blanc », sur un tout autre registre, Lounis Aït Menguellet a réellement l'âme d'un poète et, comme son prédécesseur qui cumule une longue carrière, il jouit toujours d'une estime considérable chez la jeune génération qui l'a, comme à son habitude, bien accueilli à Oran, la ville dans laquelle il s'est produit à plusieurs reprises, qu'il visite régulièrement. Une bonne partie du répertoire interprété ce soir date de sa première période, lorsque, vers la fin des années 60, il a émergé comme chanteur atypique.Entre les pratiques orchestrales (influences orientales et occidentales) de ses aînés et la tendance moderne qui commençait à pointer, Aït Menguellet est d'abord apparu comme un intrus, mais qui allait très vite gagner les faveurs du public, non pas par sa musique (juste un jeu de guitare rudimentaire d'inspiration folklorique), mais par la puissance du verbe. Contrairement aux « culturalistes » qui allaient utiliser leur savoir musical pour faire revivre des aspects culturels (prônant parfois des visions exotiques de la région), lui va fonctionnaliser le patrimoine musical qu'il trouve à sa disposition pour s'intéresser aux préoccupations sociales et de la jeunesse de son époque. Des poèmes d'amour magnifiques, des récits métaphoriques, une sagesse extraordinaire, comme le titre Trois jours de ma vie avec lequel il a entamé son spectacle, mais surtout une vision affinée de la société qui l'entoure, et certains textes étaient d'une actualité poignante, parfois visionnaire. Dans La chanson Ardjouyi (attends-moi) avec laquelle il enchaîne, il évoque le départ à la guerre pour des batailles qui ne le concernent pas. Un hymne à la paix pour dénoncer l'absurdité de certains conflits.Enfouie dans son vaste répertoire, le titre l'usine est un véritable coup de maître à son époque. Sans avoir une conscience de classe au sens marxiste du terme, il a su démystifier, pour la rendre lisible pour son public, la condition des travailleurs immigrés (par extension, tous les travailleurs à la chaîne). « De l'usine à la maison/nous n'avons même pas le temps de voir la lumière », interprète-t-il en duo avec la chanteuse Drifa, un choix délibéré pour donner à la femme concernée une voix concernant les déchirures familiales que la situation engendre. La sortie du disque dans les années 70 a été saluée comme un événement artistique majeur, au point que le quotidien du parti unique El Moudhajid lui a consacré une double page. Depuis, tout en gardant son style musical malgré l'introduction de quelques instruments comme ici le banjo ou la flûte, il a surtout continué à explorer d'autres thèmes poétiques avec des textes plus élaborés sans se départir de son regard critique, comme dans la chanson ledzayer tamourth nagh (l'Algérie est notre patrie) qui fait tout aussi bien danser son public.
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