Desertec Industrie, le
consortium né en Allemagne qui vise à produire de l'électricité verte au Sahara
et en exporter une partie vers l'Europe avait besoin d'un gros partenaire
réseau, pour acheminer ses futurs gigawatts. C'est fait depuis la signature
d'un accord à Bruxelles avec Medgrid, l'autre grand
consortium acteur, né en France, du plan solaire méditerranéen. Maghreb
Emergent et le Quotidien d'Oran ont demandé à Tewfik Hasni, expert énergétique et ancien PDG fondateur de NEAL, (énergies
nouvelles) de décrypter pour eux cet important accord.
Desertec et Medgrid ont signé un accord de coopération la semaine
dernière à Bruxelles dans le cadre du plan solaire Méditerranée. Peut on-dire que le projet d'exporter de l'énergie renouvelable
en Europe est relancé pour le Maghreb grâce à cet accord ?
Ce qu'il est
possible de dire c'est que deux acteurs majeurs du plan solaire ont tracé une
feuille de route, en attendant de tracer une route, à ces exportations
maghrébines. Les deux initiatives visent bien donc la sécurisation de
l'approvisionnement énergétique des pays Européens. La diversité des acteurs et
les enjeux en question expliquent le parcours chaotique de ces initiatives
chacune de son côté. Nous avons vu au départ de Desertec
la prédominance des acteurs du Photovoltaïque (PV) qui défendaient par la
priorité du PV l'indépendance énergétique de l'Allemagne, du moins c'est ce
qu'ils croyaient. Transgreen, le premier nom de Transgrid, anticipait sur la nécessité de renforcer la
sécurité d'approvisionnement de l'Europe, sachant que le transport est le
maillon le plus important au plan stratégique. Les deux initiatives avaient
vocation à converger. La difficulté de positionnement de Desertec
est que le domaine de l'énergie est hautement stratégique : alors un lobbying
qui ne vise que les acteurs classiques du marché n'a aucune chance d'aboutir. Il
faut se rappeler qu'initialement, le gouvernement allemand n'avait pas soutenu Desertec. Transgreen s'est
inscrit dans une démarche de prolongation de l'UpM (Union
pour la Méditerranée)
et son Plan solaire méditerranéen. L'effet Fukushima et le moratoire sur le
nucléaire en Allemagne ont rendu l'alternative solaire thermique indispensable
pour les besoins de l'Europe.
La route prévue
par Medgrid pour «sortir» l'excédent d'électricité
verte vers l'Europe est conventionnelle : Maroc, Espagne, France, Europe du
Nord. Est-ce qu'il y'a d'autres points d'entrée possibles en Europe ?
D'autres routes
d'approvisionnement seront nécessaires. La diversification des sources
d'approvisionnement et les limites de dépendance énergétique des pays européens
le veulent ainsi. La complexité des relations entre pays européens pour le
marché de l'électricité a tendu les rapports, comme l'illustre, par exemple, la
compétition entre l'électricité solaire et l'électricité nucléaire.
Ce qui peut
expliquer les difficultés d'introduction de l'électricité solaire d'Algérie. C'est
pour cela que je suis persuadé qu'un réseau de câble électrique en courant
continu sous-marin finira par s'imposer. Il devrait longer la côte atlantique
pour une facilité de passage et il sera moins couteux
que le transport équivalent en gaz. Le projet russo-européen
Southstream devrait coûter prés de 25 milliards, selon
les dernières estimations, dans la mesure où il arrive à trouver un droit de
passage. Ceci explique les raisons du tracé du Northstream
qui a choisi la voie sous-marine. Il y aura de la place à mon avis, en Europe, pour
l'électricité d'origine solaire thermique et aussi du nucléaire une fois que la
sécurité de cette source énergétique sera acquise. Il se trouve que la vision
de ce que sera le modèle de consommation énergétique de l'Europe en 2050 donne
une part au minimum de 50% aux énergies renouvelables et le solaire thermique
devrait représenter plus de la moitié de cette part. Les réseaux énergétiques
de demain seront donc majoritairement électriques. L'infrastructure de
transport est coûteuse et peu rémunératrice. L'intérêt de développer encore les
réseaux gaziers devient incompréhensible, sachant que les besoins seront plus
électriques et que les énergies fossiles comme le gaz vont atteindre une limite
prochaine.
La principale
filière de renouvelable dans les projets d'investissement de Desertec au début était le CSP (solaire concentré) devant
l'éolien. La filière du photovoltaïque (PV) paraît revenir en force depuis un
an. Quels enjeux industriels recouvrent cette lutte d'influence ? Aura-t-elle
une incidence sur les sites d'implantation des projets et sur le dessin des
réseaux de transport de l'électricité ?
Il faut revenir à
la réalité, la filière PV ne revient pas en force. Au contraire avec la fin des
aides des états européens, la filière est en crise et la mise en faillite de
plusieurs entreprises européennes liées à cette filière traduit les
conséquences de la crise économique européenne. Il faut avouer aussi que le
dynamisme chinois dans la fabrication des cellules photovoltaïques (PV) a fini
par achever l'industrie européenne. Le PV chinois est arrivé à un prix
inférieur à 1$ le watt. Cependant, il faut relativiser la part du PV dans la
contribution globale électrique. J'ai précisé que si la part des Energies
renouvelables pourrait atteindre 50% de la production électrique, le solaire
thermique seul est en mesure d'aller sur le réseau de transport et représenter
une alternative. Il représenterait ainsi près de 25% de la production. Le PV
est pénalisé par son coût et son intermittence, le marché de l'électricité ne
peut accepter cela et les énergies intermittentes comme l'éolien, le PV ne
pourront arriver globalement à une part de 20%. La dernière mesure prise par la France va dans ce sens, elle
fait une obligation de capacité de production électrique aux producteurs
français, ce qui favorisera le nucléaire.
La crise actuelle
de la zone Euro risque de retarder l'émergence d'un marché européen unique de
l'électricité. Il ne suffira pas de sécuriser les routes de l'électricité du
sud vers le nord. Pensez-vous que les investisseurs vont accepter d'investir au
Maghreb pour vendre de l'électricité verte sur un marché toujours cloisonné par
pays ?
En effet, la crise
actuelle va certainement créer des incertitudes sur le marché de l'énergie en
général. Le ministre algérien de l'Energie a d'ailleurs relevé que si l'Italie
est touchée, cela affectera sérieusement nos exportations gazières. Cela touchera
bien sûr le marché de l'électricité d'une façon générale. L'impact est double
sur l'électricité verte : en plus de la demande qui va baisser, la prise en
charge des aides destinées à cette électricité ne trouvera pas les moyens
financiers adéquats. La conférence de Durban (CO2) risque d'accoucher d'une
souris pour les mêmes raisons. Les crises ont toujours entraîné des risques
sécuritaires plus importants et la situation d'un Maghreb désuni ne manquera
pas de réduire les investissements étrangers dans notre région. L'Algérie sera
le plus gros perdant dans la mesure où le climat des affaires reste le plus
mauvais de l'ensemble des pays du Maghreb.
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Posté Le : 06/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com