Algérie

Désenchantements



Désenchantements
Nouvel opus d'une jeune littérature en langue arabe fraîche et pertinente...Dans les années 80, la télévision algérienne avait programmé une série d'entretiens avec les grands écrivains et poètes du monde arabe produite par la télévision égyptienne. Elle s'intitulait «Carnets de bord» et fut une occasion unique de découvrir des littératures méconnues de la même aire, souvent éclipsées par les monstres sacrés de l'Egypte tels que Naguib Mahfouz, Tewfik El Hakim, Youcef Idris et Ihcène Abdelqadous. Dans ces entretiens, le fait de la langue d'écriture revenait comme un leitmotiv avec cette question lancinante : faut-il écrire en arabe purement classique ou introduire des éléments de la langue parlée de tous les jours ' La majorité des intervenants penchaient surtout dans leurs œuvres à valoriser leurs parlers locaux. Ainsi, si vous lisez les romans de Tayeb Salih, le grand écrivain soudanais et, particulièrement, le roman qui l'a révélé, Les Noces de Zein, publié en 1962 et adapté au cinéma en 1977 par Khalid El-Seddik, vous risquez d'être dérouté par la langue d'écriture. Les protagonistes utilisent la langue parlée au quotidien par les Soudanais. Il suffit juste de quelques efforts pour se familiariser avec l'univers de cet auteur.C'est dire que ces écrivains n'avaient aucun complexe et la qualité des œuvres était indéniable. D'ailleurs, Edward Saïd, grand spécialiste en littérature comparée, avait placé ce roman de Tayeb Salih au firmament de tout ce qui a été écrit comme fiction dans le monde arabe. Cela amène à parler du nouveau roman du journaliste algérien Saïd Khatibi au titre iconoclaste, Le Livre des péchés, qui vient de sortir aux éditions ANEP. On constate une grande filiation avec ce qui a été dit plus haut : à savoir des personnages que l'on peut croiser tous les jours et une langue algérienne qui traduit des préoccupations très actuelles. Elle est faite de mots et d'expressions qui font mouche à chaque instant en nous renvoyant à nos travers et lâchetés humaines. C'est pourquoi ce roman frondeur et transgressif nous réconcilie avec la vraie littérature qui rompt avec les mièvreries et les bons sentiments. Kitab El Khataya, son titre original, est le roman du désenchantement de la jeunesse algérienne qui transparaît à travers le quotidien de plusieurs personnages, comme Toufik et Kahina.Dès le départ, l'auteur cède la parole à Kahina pour parler de sa trajectoire chaotique. Malgré un prénom prestigieux qui évoque la reine des Aurès, la vie de la jeune fille est semée d'embûches, elle est malmenée de tous les côtés. Le malaise de Kahina peut faire penser à cette histoire algérienne antique qui manque de visibilité et entretenue par une amnésie collective préjudiciable pour les jeunes générations. A travers le personnage de Kahina, c'est toutes les problématiques liées à une gestion hasardeuse du pays depuis l'indépendance qui s'expriment.Précarité de son emploi : malgré une formation de technicienne supérieure en informatique, elle se retrouve à faire la standardiste. Elle ne méprise pas son emploi ou le travail en général, mais se retrouver à faire quelque chose pour laquelle on n'est pas destiné, n'enchante guère. Cet exemple montre par ailleurs la difficulté de trouver un emploi si le réseau familial ou amical est en panne. C'est le paradoxe algérien, c'est-à-dire un pays où il y a tout à faire mais où les occasions de le faire sont rares. Sans oublier les problèmes urbains que pose la ville d'Alger à ses habitants : la difficulté de venir de la banlieue, celle de se restaurer sur place avec un petit salaire'le roman de Saïd Khatibi se montre efficace pour transcrire les nouvelles réalités algériennes. Kahina se révèle à travers son récit comme une observatrice privilégiée des évolutions de la société. Elle évoque les luttes démocratiques, les années post-terrorisme et le monde intellectuel du microcosme algérois à travers ses rencontres avec Toufik, le journaliste. Elle n'oublie pas ses amours et ses espoirs de trouver un jour l'âme s'ur. Enfin, des rêves simples comme ceux du petit lion de Jacques Prévert. Elle affirme tout cela sans fausse pudeur car son fiancé attitré, Samir, ne lui donne pas satisfaction. Il est un peu hors-sujet par son attachement à des traditions désuètes qui ne conviennent pas à l'époque actuelle. Le récit évoque toutes les déceptions amoureuses et le comportement incivil de certains hommes qu'elle décrit comme des prédateurs.A plus de trente ans, Kahina a peur que sa jeunesse ne se perde dans des combats inutiles que les relations avec sa mère rendent encore plus complexes. Ce roman de Saïd Khatibi est d'une fraîcheur extraordinaire où la langue orale dynamise le récit et permet de traiter les différentes thématiques abordées avec une sensibilité algérienne particulière. Il y a beaucoup d'ironie et une forme d'humour à l'algérienne qui déjoue les pièges du pathos. Les personnages sont attachants, très autonomes et doués pour certains d'une grande capacité à dépasser les écueils. Peut-être que c'est la force de notre jeunesse qui ne se résigne pas facilement et qui continue à croire qu'il y a toujours une manière ou une autre de s'en sortir. Sans oublier qu'il est temps pour elle de prendre son destin en main.Saïd Khatibi, «Kitab El Khataya» (Le Livre des fautes), roman. Ed. ANEP, Alger, 2013




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