Les années se
ressemblent. Autant présenter des vÅ“ux pour une décennie, en une seule fois.
Ea première
décennie du vingt et unième siècle s'achève, pour l'Algérie, dans un
scepticisme général. Car même si le pays s'accroche, de manière tenace, à des
espérances qui lui permettent de tenir, il sera difficile de sortir du gris,
voire du noir, lorsqu'il faudra faire le bilan de la décennie écoulée. Et ce
n'est pas une victoire tardive en éliminatoires de la coupe du monde de
football, ni un pétrole suffisamment cher pour permettre au pays de ne pas
mourir de faim, qui vont changer ce tableau. Les grands moments de la décennie
sont là pour en témoigner. Des dix années qui se sont écoulées, l'histoire
retiendra en priorité des évènements déplorables, des faits négatifs, parfois
honteux, ainsi que des symboles qui marqueront durablement les esprits. Certes,
il y a eu une baisse sensible du terrorisme, ce qui constitue une différence
fondamentale avec les années 1990. Mais la baisse d'intensité de la violence ne
peut, à elle seule, occulter tout le reste, avec notamment l'apparition de
phénomènes dangereux qui menacent le pays, comme la violence sociale et la corruption,
mais surtout, cette incapacité du pays à y faire face. Ce qui donne
l'impression que le pays s'est résigné à admettre la violence comme facteur
central de la régulation politique et sociale.
De la décennie
qui s'achève, on retiendra de grands symboles de la déchéance morale. Avec, en
premier lieu l'affaire Khalifa, un scandale dans lequel ministres, hauts
dignitaires et responsables syndicaux se sont révélés d'une indignité et d'une
amoralité insoupçonnées. Pire que l'indignité, l'impunité qui a prévalu, aux
yeux de l'opinion, a disqualifié justice et personnel politique, tout en
détruisant définitivement toute idée de banque algérienne privée. Ceci a
évidemment laissé le marché financier algérien aux banques étrangères,
auxquelles le gouvernement a offert toutes les facilités, avant de se rendre
compte que sa politique allait permettre à ces banques étrangères de prendre le
contrôle de l'économie nationale. On notera dans ce parcours que ce sont les
mêmes responsables qui ont pris les décisions d'ouverture avant de se raviser,
sans que personne ne leur demande des comptes. Le plus célèbre d'entre eux est
sans doute M. Chakib Khelil, qui a défendu une option, celle de l'ouverture
tous azimuts dans le domaine des hydrocarbures.
Il a même fait avaliser une loi en ce sens,
avant de se raviser et de changer de cap sous la pression des évènements. M.
Khelil et son collègue de l'investissement, Abdelhamid Temmar, symbolisent
d'ailleurs la régression de la pensée économique effrayante durant la décennie
écoulée. Gérant leurs secteurs à coups d'annonces farfelues et de décisions
contradictoires, différentes équipes ont réussi l'exploit de ne pas faire
décoller un pays qui avait pourtant tout pour réussir : l'Algérie avait de
l'argent, un marché, et du personnel avide de formation. Tout ceci a été
orienté, par incompétence ou par bêtise, vers un seul créneau, le fameux «
import-import ». Jusqu'au jour où on s'est rendu compte, là encore, que les
importations ont atteint un seuil insupportable : elles ont été multipliées par
près de quatre en dix ans, alors que les exportations hors hydrocarbures ont
stagné. C'est le signe évident que tout l'argent injecté dans l'économie a eu
très peu d'efficacité.
Il sera toujours possible de dire que l'Etat
a massivement investi dans les infrastructures de base, qui ne donneront leur
plein effet qu'à long terme. Mais ces grandes infrastructures, lancées à des
coûts exorbitants, ne peuvent à elles seules sauver la mise. D'autant qu'elles,
sont, à leur tour, entachées par de nouveaux scandales. Les révélations
concernant le projet phare de la seconde moitié de la décennie, l'autoroute
est-ouest, risquent d'ailleurs d'occulter le projet lui-même, et de donner lieu
à l'affaire judiciaire de la prochaine décennie. Mais c'est sur le volet
politique que les craintes les plus sérieuses persistent pour les années à
venir, tant il est difficile de dire ce que sera l'Algérie de 2020. Aura-t-elle
avancé sur le terrain de la démocratisation, et de l'édification d'institutions
viables ? ou bien continuera-t-elle à être gérée selon l'humeur du moment ? De
la réponse à ces questions découle tout le reste : aucun développement durable
n'est possible sans institutions viables, et sans règles du jeu affichées et
respectées par tous. A contrario, un gouvernement qui change les lois au gré de
la variation des prix des hydrocarbures est définitivement disqualifié : il
constitue le premier obstacle au développement.
La décennie écoulée devait combler, au moins
partiellement, le fossé qui s'était creusé entre les Algériens et leurs
institutions. Elle l'a élargi. L'Algérie officielle s'est éloignée, de manière
presque irréversible, de l'Algérie réelle. La société a évolué, générant de
nouvelles règles, de nouveaux mécanismes, parfois positifs, le plus souvent
destructeurs, alors que les institutions restaient figées, incapables de
s'adapter à cette nouvelle Algérie qui émerge. On a alors abouti à une
situation ridicule, avec des ministres et des responsables faisant des discours
creux dans une Algérie fictive, alors que les citoyens vivaient ailleurs.
Ils vivent dans une société où la violence
est devenue omniprésente, et où l'argent a pris une place prépondérante. Mais
le pouvoir est resté incapable de produire la régulation nécessaire face à ces
bouleversements sociaux, car sa préoccupation était ailleurs : il cherchait les
moyens d'assurer sa propre survie.
Ceci est symbolisé jusqu'à la caricature par
le troisième mandat de M. Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci avait la possibilité,
en 2009, de se retirer en établissant des règles d'accès et d'exercice du
pouvoir. Il a préféré adapter les règles à son propre itinéraire, en amendant
la constitution.
On aurait tort de penser que ceci n'a qu'une
influence limitée sur l'économie. L'Algérie devrait, avec ses capacités,
connaître une croissance à deux chiffres. Elle aurait du doubler son PIB hors
hydrocarbures en six ou sept ans. Elle n'a réalisé que la moitié de ce qu'elle
pouvait faire. Les raisons sont connues : instabilité, manque de visibilité,
corruption, etc. Pourra-t-elle faire mieux d'ici 2020? Rien ne permet de
l'affirmer pour le moment. Pour une raison centrale: en l'état actuel des
choses, rien ne laisse envisager un changement du personnel, ni des règles de
gestion. Et lorsque M. Abdelaziz Bouteflika arrivera à la fin de son quatrième
mandat, l'Algérie aura à, peine doublé son PIB, alors qu'elle aurait pu le
multiplier par cinq.
Bonne année et
bonne décennie tout de même.
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Posté Le : 31/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com