Algérie

DES RUINES, DES CHÈVRES, DES BATEAUX DE CORINNE CHEVALLIER



Malek et Nedjma au pays des «Roums»
L’enfant se sent grandi quand il passe de l’ordinaire à l’imaginaire. Ainsi que le psychologue averti, je veux dire celui qui, instituteur expérimenté et plein d’humilité, a découvert, étudié et analysé les besoins de l’enfant, l’auteur d’ouvrages pour la jeunesse sait que l’enfant méprise la flatterie et les mièvreries des histoires qu’on lui fabriquerait sur mesure en se persuadant de l’éduquer et l’instruire. En effet, l’expérience prouve que l’enfant a foi en son imagination personnelle. Alors, l’instituteur, dont je parle, devient conteur exceptionnel et passeur de plaisir nouveau. Il est le premier enfant, le premier à imaginer le monde que son jeune lecteur ou son jeune auditeur, va découvrir et peut-être ce monde va faire bondir son esprit. Sinon, comment nos grands-mères ont-elles réussi à nous faire aimer ce que nous sommes, sinon comment nos souvenirs d’enfance ont-ils résisté à l’altération de notre patrimoine, comment adultes avons-nous fini par échapper à la pire sottise de certains beaux esprits civilisateurs qui, encore aujourd’hui, échafaudent des systèmes et combinent des méthodes pour que notre imagination reste ou redevienne errante, éternellement.Aussi, dois-je reconnaître que je trouve de beaux degrés d’intelligence dans le roman Des ruines, des chèvres, des bateaux (*) que Corinne Chevallier vient de rééditer, dans la collection Junior de Casbah éditions, avec des illustrations au trait qui éveillent l’imagination de ses jeunes lecteurs sans les priver de construire eux-mêmes leur rêve. Le dessin ramène à l’idée expressive, libère les passions vives d’une réalité à portée de la main et cependant insaisissable. Le roman laisse, ici, le champ vaste, fertile et fructueux, au juste ton du conte.La vertu de cet ouvrage pour la jeunesse est au milieu de la mémoire collective de tous nos enfants: l’histoire n’est pas dans les livres ni dans les archives, elle est dans l’imagination «imaginante»; et c’est cela la raison, le vrai lien entre passé, présent et futur.Corinne Chevallier nous a tricoté un récit magique. J’y crois, car c’est vrai qu’«il y a l’histoire avant l’histoire» comme il y a bien des manières d’écrire l’histoire. Et peut-être, en s’adressant aux jeunes, sérieusement, on les délivre d’un enseignement où tout est leçons sèches, décolorées, déconnectées, vidées du vrai sens des événements qui sont des faits, des dates, des vies, des cultures,...un savoir!Voici donc le jeune Malek, qui n’a pas encore quinze ans, mis, «un jour étincelant de juillet», par le destin sur le chemin de l’histoire de son pays. Voici Nedjma, une petite chevrière de dix ans, sortie d’un fourré: «L’étrange créature... était si maigre que l’on aurait pu compter ses os à travers ses haillons.» «Étoile», ainsi nommée, la fillette va être, pour Malek, un fil conducteur subtil et charmant dans une aventure partagée, houleuse, intéressante, pleine de questionnements et de réponses sujettes à révision. Et, peu à peu, le chemin de terre, s’élargissant, se développe en un parcours parsemé de points d’histoire: ainsi la Ville Blanche, ainsi Charles-Quint, ainsi la baie pleine de navires espagnols, ainsi le bateau de la Grande Dame, ainsi Barberousse, ainsi le mystère «éducateur» remet l’histoire à l’endroit...Un soupçon de sentiments, une douceur liquide coule dans le coeur de l’adolescent et de la fillette devenus amis puis héros. L’histoire de Nedjma a du sens, d’autant que «Les choses étaient allées très vite» pour résoudre l’énigme de la Grande Dame qui a longtemps animé le récit, et que Malek a enfin retrouvé son vrai chemin de bonheur personnel en emmenant avec lui Nedjma, loin des «Roums» - car «Ces monstres étaient bel et bien des assassins!» -, vers ses propres horizons...Le mystère a ainsi nourri l’histoire.Je m’en voudrais de ne pas dire que la langue du récit est juste (elle est, par endroits, pensée en arabe parlé algérien, ce qui est ici pertinent) et de ne pas signaler quelques maladresses dans l’usage de certains mots et expressions qui ne correspondent pas à la psychologie de nos jeunes personnages, par exemple: «ma cocotte» (Malek s’adressant à Nedjma, p. 31) et le rappel fait par Malek de l’histoire détaillée des conquérants romains (p. 41 et ss) et surtout, ce qui a certainement fait souffrir l’auteur, tout à son corps défendant, quelques fautes négligées par les correcteurs: «Quelques temps» (sic), «L’homme mangeait bruyamment, Malek sentait flotter jusqu’à lui l’odeur de la soupe, dont (sic) l’autre trempait son pain.», «Il se trouvait devant deux (sic) alternatives, aussi peu séduisantes l’une que l’autre.», etc. Mais il est vrai que les éditeurs sont parfois comme la plus belle fille du monde qui ne peut donner que ce qu’elle a. En dépit de cette «chose-là», il ne faut pas oublier que les jeunes lecteurs ont déjà du mal à saisir les nuances de style, et tout comme nous les adultes parfois...l’orthographe!Cela dit, si ces légères observations ont été faites à contrecoeur, croyez-moi l’ouvrage Des ruines, des chèvres, des bateaux a tout mon coeur.(*) DES RUINES, DES CHÈVRES, DES BATEAUXde Corinne ChevallierCasbah Éditions, Alger, 2008, 153 pages.


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