Tout semble nous échapper dans un système social et politique fermé
sur lui-même, faisant fi de nos passions et de nos convictions plurielles, pour
fonctionner en vase clos, dans un mélange de cynisme politique, d'autoritarisme
sans normes légitimes et d'une éthique bafouée.
Le principal échec du système sociopolitique, au delà des inégalités
sociales dans la
répartition de la
rente, de l'inversion des valeurs, donnant le primat au
clientélisme et à la cooptation, est d'avoir
brisé nos rêves. Nous avons été trop idéalistes pour croire naïvement que le
changement social serait une Å“uvre collective, oubliant les multiples ruses du
système sociopolitique. Il n'a en réalité besoin de fonctionner et de se
reproduire à l'identique que d'une nomenklatura nationale et locale prête à
toutes les concessions pour se maintenir dans les rouages des pouvoirs, par la médiation de la rente pétrolière.
Appréhender la
société comme une cruche vide qu'il suffit mécaniquement de
remplir d'objets de consommation, ou de corpus idéologiques anachroniques, a été une folie meurtrière. Comment peut-on imaginer qu'une
telle façon d'administrer la
société puisse produire des relations sociales valorisant
l'Homme? Force est de reconnaitre que celui-ci n'a jamais été considéré comme
un acteur porteur de projets de transformation de la société. Tout a été
fait, au contraire pour l'exclure et le marginaliser dans un système
sociopolitique nourri et soutenu par une majorité d'acteurs idéologiques
(Althabe) sans épaisseur intellectuelle et politique.
La société n'est pas régulée, mais infantilisée. Elle est prise dans l'engrenage
de l'injonction administrative et politique qui opère dans l'opacité en
l'absence de toute vision claire et débattue du mode de fonctionnement des
institutions. Cinquante ans après l'indépendance, le «récit» du chiffre
représente le leitmotiv dominant, pour nous rappeler de façon docte et distante
que tout va bien dans le meilleur des mondes. Ces données fabriquées sans
rigueur et sans autonomie, présentées avec arrogance et certitudes, conduisent à la
défiance et au doute quant à la véracité du taux de
chômage avancé, du nombre de logements construits, du taux d'inflation, etc.
L'essentiel est occulté : Comment les personnes instaurent-elles
quotidiennement leurs rapports aux différentes institutions ? Quelles sont
leurs attentes ? De quoi se plaignent-elles? Que préconisent-elles pour
redonner un autre sens à leur vie quotidienne ? Force est de constater que ce
n'est pas le registre de doléances déposé de façon très anonyme dans nos
institutions, qui permettra d'améliorer le quotidien des personnes. Il masque
en réalité, l'absence d'écoute de la population par les pouvoirs publics. Pourtant, la prise en compte de la parole profane est
centrale pour comprendre, analyser et transformer une société. A partir de nos
récentes enquêtes de terrain, notamment dans le champ de la santé (1), il nous semble
possible d'indiquer que les personnes se perçoivent à la marge du système de la santé. Les
professionnels de la santé et
les patients, indiquent leur exclusion du mode d'administration du système de
soins. Les patients anonymes mettent l'accent sur le rapport de distanciation
des institutions de santé à leur égard, en référence à une triple absence : la dignité sanitaire,
l'accueil humanisé et l'interaction de proximité avec les responsables de la santé, les contraignant à
l'errance thérapeutique, à l'incertitude et au désarroi face à la maladie chronique.
Toutes ces plaintes profondes et pathétiques exprimées par les
personnes, montrent profondément l'absence de reconnaissance sociale et
politique de l'Homme et donc du Citoyen. C'est précisément l'un des enjeux
sociopolitiques majeurs dont souffre la société algérienne.
Notons quelques effets pervers sur son mode de fonctionnement : une profonde
défiance pour certains ou un opportunisme pour d'autres à l'égard de l'ordre
sociopolitique, une distance sociale ou une appropriation forcée des pans de
l'espace «public», un sentiment d'étouffement d'une majorité de personnes par
absence de perspectives socioprofessionnelles, politiques et culturelles.
En l'absence de règles légitimes et reconnues par ses agents, la société produit
ses propres normes pratiques. Confrontée aux institutions dépourvues de toute
âme, en grande partie par absence d'autonomie et de décentralisation effective,
s'enracinant dans la
routine et la
médiocrité, la population est contrainte de déployer ses propres
tactiques, pour reprendre l'expression de De Certeau.
Elle est à la quête d'une médiation individuelle (piston) pour
tenter de passer au-travers de la bureaucratie difforme.
On entend souvent les propos suivants : «Je n'ai pas où me plaindre» ; «Bled
hamla». Autrement dit, les personnes assurent dans l'invisibilité un ensemble
d'activités sociales et professionnelles non reconnues qui permettent la reproduction du
système social. Par exemple, si l'hôpital fonctionne, il le doit en grande
partie au travail de santé des familles (Cresson, Mebtoul, 2010). Ce travail de
la société sur
elle-même a été sous-analysé et occulté, étiqueté avec mépris et distance par
les pouvoirs publics, se positionnant sur le plan de la morale et du
paternalisme politique : «pas d'éducation» ; «ils ne travaillent pas» ; «pas de
civisme», etc. C'est une lecture superficielle de la réalité sociale
plus complexe qui renvoie à l'absence de légitimité sociopolitique ou
professionnelle. Cette dimension est pourtant l'une des clés pour comprendre
les logiques d'éclatement et de ruptures entre d'une part les acteurs
idéologiques attachés à la
fiction politique et d'autre part, la majorité de la population désemparée
en l'absence de toute reconnaissance sociale qui l'autoriserait à prendre en
main sa destinée.
*Sociologue
Note :
(1) Mebtoul M, 2011 (sous la direction), «Les prestations de soins de santé
essentiels en Afrique, réalités et perceptions communautaires : le cas de
l'Algérie», soutenue par l'OMS Afrique, 213 pages.
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Posté Le : 29/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohamed Mebtoul*
Source : www.lequotidien-oran.com