On estime
généralement dans la zone euro que la crise est terminée. La forte inquiétude,
parfois de nature existentielle, du début de cette année quant à l'avenir de la
devise commune s'est dissipée et la situation est à nouveau sous contrôle,
croit-on.
Mais ce point de
vue est en complète contradiction avec la réalité. Les marchés obligataires
européens envoient à nouveau un signal inquiétant aux responsables politiques de
la planète. Avec la valeur des obligations des pays périphériques de la zone
euro qui continue à chuter, le risque souverain est plus élevé que jamais pour
l'Irlande, la Grèce et le Portugal. Le plan de sauvetage établi conjointement
en mai par l'Union européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et la
Banque centrale européenne (BCE) pour la Grèce et le programme d'achat des
obligations des pays périphériques de la zone euro mis en place par la BCE
n'ont pas changé la donne. Le FMI dont les assemblées annuelles ont lieu dans
quelques semaines (suivies par le sommet du G-20 à Séoul en novembre) cède aux
pressions et verse des sommes toujours plus élevées au profit de l'UE, en y
mettant de moins en moins de conditions.
La rhétorique
officielle essaye à nouveau de convaincre les marchés d'ignorer la réalité.
Patrick Honohan, le gouverneur de la Banque centrale irlandaise, a qualifié les
obligations d'Etat de son pays de «ridicules» (voulant dire en fait très
ridicules) et les chercheurs du FMI disent que la faillite de l'Irlande et de
la Grèce sont «inutiles, indésirables et improbables».
C'est
déconcertant, car cela rappelle les paroles de Jean-Claude Trichet au
printemps, lorsqu'il s'en est pris à un marché obligataire marqué par le
scepticisme et déclaré que la faillite de la Grèce était hors de question.
Mais aujourd'hui
les marchés estiment qu'il y a une chance sur deux pour que la Grèce fasse
faillite dans les cinq ans à venir – et une chance sur quatre pour l'Irlande.
La raison en est simple : la Grèce et l'Irlande sont probablement insolvables.
Le fiasco
financier de la Grèce est bien connu, mais il n'en est pas de même pour
l'Irlande, alors que ses problèmes sont encore plus graves. En deux mots les
dirigeants irlandais n'ont pas supervisé leurs banques, se contentant
d'observer (voire d'applaudir) passivement quand une frénésie de dépenses
alimentées par la dette a généré le «miracle celtique». A ce moment là
l'Irlande affichait le premier taux de croissance de l'UE et les prix de
l'immobilier les plus élevés de la planète.
Fin 2008, les
trois principales banques irlandaises avaient prêté des sommes qui
représentaient plus de trois fois le revenu national. Le crash s'est produit en
2009 quand la bulle immobilière irlandaise a éclaté, laissant le pays avec des
grandes banques insolvables, un écroulement des revenus fiscaux et le plus
grand déficit budgétaire de toute l'Europe.
Les banques
irlandaises avaient financé leur croissance rapide en empruntant aux autres
banques européennes. De ce fait, la santé du système financier européen avait
parti lié avec la survie de ces banques insolvables. Il n'est pas surprenant
que la BCE soit maintenant le premier créancier de l'Irlande par ses achats des
obligations d'Etat irlandaises. Selon les derniers chiffres (ils datent de fin
août), bien que sa taille ne soit que les deux tiers de celle de la Grèce,
l'Irlande a reçu plus de fonds de la BCE que cette dernière (à hauteur de 75%
du PIB irlandais), et cette tendance va s'accentuant rapidement.
En contrepartie
de cet argent «facile» de la BCE, le gouvernement irlandais doit protéger les
créanciers européens qui sans cela subiraient de grosses pertes. En raison du
sauvetage massif des banques qui s'en est suivi, du déficit budgétaire qui se
prolonge et de la baisse du PIB nominal, la dette de l'Irlande atteint des
sommets, alors qu'elle est presque incapable de rembourser. Naturellement les
investisseurs réagissent à une dette excessive en vendant leurs obligations,
jusqu'à ce que les taux d'intérêt deviennent «ridicules». Elevés, ces taux
d'intérêt étranglent les ménages et les entreprises, ce qui contribue à
l'effondrement de l'économie et rend la dette encore plus intenable. Pour
arrêter cette spirale infernale, il faut mettre fin au risque d'insolvabilité
de l'Irlande. Il faut soit que les banques fassent défaut sur leurs obligations
seniors soit que l'Etat fasse défaut au même titre que les banques. Dans les
deux cas, de nouvelles mesures d'austérité seront nécessaires et l'Irlande aura
besoin de financements relais conséquents.
Les dirigeants
irlandais et européens devraient être les premiers à prendre ces décisions
difficiles, mais ceux qui sont actuellement en place ne vont pas le faire.
A la place, l'UE,
la BCE et l'Irlande ont noué un marché faustien qui maintient l'Irlande à flot
(elle reçoit des euros), mais ne fait rien pour mettre fin à la probabilité
croissante d'insolvabilité du pays (autrement dit son incapacité croissante à
rembourser ces euros dans l'avenir). Au lieu de s'opposer à cet accord dangereux,
le FMI prévoit d'ouvrir encore plus largement le robinet financier (avec des
fonds chinois, américains, et ceux d'autres pays) aux pays insolvables. Le 30
août, il a aboli le plafonnement de sa Ligne de crédit flexible (LCF) créé en
2009 pour renflouer rapidement les pays en crise momentanée.
Il a également
annoncé la création d'un nouveau plan de financement, la Ligne de crédit de
précaution qui permettra d'accorder des fonds plus facilement et avec encore
moins de conditions – même aux pays en mauvaise santé financière et sans
supervision financière efficace. Il espère aussi établir un nouveau Mécanisme
de stabilisation mondial pour ouvrir des lignes de crédit à des regroupements
régionaux tels que l'UE.
Comme c'est un
homme politique européen qui est à la tête du FMI, son conseil d'administration
donne une importance exagérée à l'Europe compte tenu de son envergure
économique très relative. Et il se précipite pour assouplir les conditions de
prêt à l'Europe précisément au moment où les pays membres de l'UE ont de gros
problèmes d'insolvabilité. Il existe une meilleure solution qui date des années
1970, lorsque les USA ont trop prêté à l'Amérique latine. La dette souveraine a
finalement été restructurée par la création des obligations Brady. Le stratagème
consistait à proposer aux banques d'échanger leurs créances à l'égard des pays
(insolvables) d'Amérique latine contre des obligations de maturité à long terme
avec coupons peu élevés, garanties par des bons du Trésor américain.
Avec une garantie
de cette qualité, les banques pouvaient maintenir ces dettes au pair sur leur
bilan. Cela réduisait également les obligations de remboursement de la dette
des pays en difficulté, ce qui leur permettait de se redresser.
L'Europe pourrait
suivre cet exemple. Plutôt que de continuer à accumuler de nouvelles dettes sur
leurs mauvaises dettes, le fonds de stabilisation de l'UE pourrait servir à
garantir cette nouvelle forme d'obligations.
Les créanciers se
verraient proposer ces obligations au pair ou des obligations à plus court
terme, mais avec un coupon plus élevé – avec un principal de la dette révisé à
la baisse. On pourrait leur donner un nom sur lequel tout le monde
s'accorderait, par exemple les obligations Trichet, les obligations
Merkel/Sarkozy ou encore les obligations Honohan.
Traduit de
l'anglais par Patrice Horovitz
*- Simon Johnson
est professeur au MIT Sloan et membre de l'Institut Peterson pour l'économie
internationale.
*- Peter Boone est président d'Effective Intervention
au London School of Economics' Center for Economic Performance.
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Posté Le : 23/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Simon Johnson* & Peter Boone *
Source : www.lequotidien-oran.com