Algérie

Des minorités, et ce qu'il en reste



On ne sait pas de quoi il est mort, mais on peut supposer qu'il a peut-être succombé au Covid-19, et cette maudite pandémie, non contente de tuer, supplante aussi sa victime dans l'actualité. Pour ceux qui ne le savent pas ou ne veulent pas savoir, «Baba Cheikh» Khurto Hadji Ismaïl, chef spirituel de la communauté yézidie d'Irak, est mort jeudi dernier à Erbil, à l'âge de 87 ans. Pourquoi en parler ' D'abord, parce que les Yézidis ont été les premières victimes du fléau de Dieu, plus connu sous le nom de Daesh, ou l'Etat islamique, avec Mossoul pour capitale. Deuxièmement, parce que les mercenaires islamistes, armés et équipés de matériels venus des Etats-Unis, ont enlevé des milliers de femmes yézidies, devenues des esclaves sexuelles. Ce qu'on sait moins, c'est que la tradition millénaire yézidie excommunie les femmes mariées, même de force, avec des étrangers, et c'est Cheikh Khurto qui a permis leur réintégration. Après le retour des réfugiés qui avaient fui les horreurs des milices islamistes, le cheikh a convoqué le conseil spirituel, la haute autorité religieuse yézidie, et a fait sauter le fameux verrou. Enfin, parce que les Yézidis ont un modèle de gestion laïque de leurs affaires, avec un cheikh chargé de guider les âmes et un chef séculier qui supervise les affaires de la vie terrestre.Et surtout gardons-nous de voir des similitudes avec une région particulière d'Algérie, où les chefs coutumiers n'arrivent toujours pas à faire sauter un verrou, vieux d'à peine deux siècles !
Les Yézidis ont été opprimés, leurs femmes réduites à l'esclavage et leurs enfants contraints à porter des armes et à tuer leurs semblables au nom d'une idéologie intolérante et meurtrière. Ce qui nous ramène à l'éternel sujet du sort des minorités ethniques et religieuses dans les pays arabes où les Etats sont érigés en clergés et leurs chefs en imams, hors de tous critères. Lors de la dernière saison des feuilletons, nous avions évoqué la polémique autour de certaines productions comme celle du Koweït, Oum Haroun, sur la vie d'une famille juive. Et comme nous parlons d'Irak et du Kurdistan, le magazine libanais Shaffaf évoque le sort de la communauté juive et plus précisément du destin de ses membres et de leurs mausolées. Il s'agit plus précisément de la reprise d'un long article paru récemment dans le quotidien londonien Al-Arab, article non signé pour on ne sait quelle raison, et qui parle des juifs d'Irak. L'article daté d'Erbil au Kurdistan ne donne pas de chiffres concernant les membres de la communauté juive qui vient encore dans la ville, parce qu'il y en a qui pratiquent leur religion en cachette.
Pourtant, le Parlement local a adopté en 2015 une loi considérant le judaïsme comme une religion protégée, mais les statistiques disponibles montrent que 400 familles se sont converties à l'Islam. D'importantes communautés juives vivaient également dans les autres villes d'Irak comme Mossoul et Baghdad, et dans la capitale les juifs représentaient près de 40% de la population. Aujourd'hui, plus de 200 000 d'entre eux vivent en Israël, où ils ont émigré en grand nombre en 1948, puis lors de périodes de tension, mais ils sont toujours attachés à leurs racines irakiennes. L'auteur cite ainsi le fils du musicien Shlomo Salah Al-Koweiti qui raconte que son père avait quitté l'Irak en 1951 sous les pressions conjuguées de sa femme et de ses beaux-parents. D'ailleurs, le musicien était resté très nostalgique de l'Irak, où il vivait et travaillait avec son frère David, artiste comme lui, parce qu'ils avaient été très malheureux en Israël. Les deux musiciens avaient monté le premier orchestre de la radio irakienne, lors de son lancement en 1932, et Shlomo, natif du Koweït, avait composé pour tous les grands noms de l'époque. C'est ainsi qu'il avait composé plus de 500 titres pour les grandes vedettes de la chanson, comme Zakia Georges, Afifa Iskander, ou Salima Mourad qui avait refusé de le suivre en exil.
Alors qu'il insistait pour l'emmener avec lui, Salima Mourad(1) lui avait répondu : «Pour qui je chanterais en Israël ' Ma vie est en Irak avec mon public. Il n'y a pas de vie pour un artiste sans son public.» Selon Adon Shaker, un exilé des années soixante-dix, les autorités irakiennes refusent toujours la nationalité à tous les juifs d'Irak. Il y aurait plus de 450 000 juifs irakiens de par le monde qui n'auraient pas droit à la nationalité irakienne, il y a une dizaine tout au plus qui la possèdent. Mais plus que la nationalité, il revendique surtout, au nom des siens, de retrouver les archives du Judaïsme irakien et la remise en état de ses mausolées et de ses édifices de culte. Adon Shaker se souvient que dans son quartier natal de Batrawin, à Baghdad, musulmans sunnites, chiites, juifs, chrétiens et d'autres confessions vivaient en bonne intelligence. «Quand je jouais avec mes camarades, je ne savais pas à quelle religion ils appartenaient.» Le quartier populaire de Batawin, au centre de Baghdad, sert justement de cadre au roman de Ahmed Saadawi Frankenstein à Bagdad(2), et c'est là que vit la chrétienne Oum Daniel. Cette vieille dame qui a perdu son fils unique à la guerre (mort pour l'Irak), et qui refuse de rejoindre sa fille exilée, illustre parfaitement le drame des minorités en pays arabes.
A. H.
(1) Salima Mourad, née en 1905, est effectivement décédée en Irak le 22 février 1974, après un demi-siècle de chansons, dont celles composées par Salah Al-Koweiti et son frère David. Elle avait été mariée à un autre grand artiste irakien Nadhem Al-Ghazali (1921-1963).
(2) Ahmed Saadawi - Frankenstein à Bagdad - Editions Piranha.


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