Des miettes et de la poudre aux yeux

«Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles.» Charles PéguyComme dirait l'autre, l'Algérie compte trente millions de sujets (sans compter ceux de mécontentement) qui n' ont pas de voix au chapitre. Pourtant, pour certains, malgré la diversité, la variété et le nombre de sujets d'une actualité brûlante, il est difficile de remplir la satanée page blanche qui s'impose chaque matin que Dieu fait, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse beau.C'est pour cela qu'en temps de pénurie de lait en sachet, d'informations croustillantes et de restrictions mentales, le pauvre chroniqueur est obligé de se rabattre sur les sujets qui ne fâchent pas ou qui risqueraient de faire froncer les sourcils de fonctionnaires tatillons qui ne demanderaient pas mieux que de faire subir au téméraire et littéraire plumitif un blâme sanctionné par une décision de justice. C'est pour toutes ces raisons que le pauvre scribe doit raser les murs qui sont déjà occupés par une armada de hittistes et de vendeurs à la sauvette afin d'éviter les pièges de la sincérité et de la naïveté. Alors, ne vous étonnez pas si vous trouvez ici des propos qui passeraient mieux pour un sondage scientifique avec des questions bateau, comme «que fera l'Algérien frustré des technologies qui lui sont offertes après des années d'attente et de tergiversations'». Déjà que la majorité des gens passent leur temps à tripoter leur minable téléphone mobile en tous lieux et par tous les temps le caressant et le retournant dans tous les sens, lui susurrant à l'oreille des mots doux ou des secrets inavouables... Quel sera maintenant leur comportement quand le nouveau joujou qu'ils paieront rubis sur l'ongle (en rognant sur le budget alimentation, chapitre produits laitiers). Le portable sera équipé d'une puce X ou Y ou des deux à la fois et leur permettra des applications qui vont s'élargir d'une manière exponentielle remplaçant d'un seul coup tous les encombrants accessoires qu'ils avaient jadis achetés avec des facilités de paiement qui font cruellement défaut par les difficiles temps qui courent: un véritable bureau ambulant qui tient au creux de la main. La soif de communication qui possède celui qui a été, des décennies durant, soumis au régime sec du parti unique, avec une chaîne unique, un téléphone souvent branché aux abonnés absents quand il ne l'est pas sur des oreilles curieuses à l'affût de liaisons dangereuses. Mais que coûtera vraiment cette nouvelle technologie à celui qui peine déjà à remplir son couffin' La cherté de la vie rendra-t-elle l'Algérien autrefois solidaire, plus égoïste' A cette question, je réponds non! trois fois non, car tous les jours, on peut mesurer sur le visage de chaque Algérien ou dans chaque soupir, chaque répartie, chaque inflexion de voix, la compassion qu'il a pour ses cousins de Palestine qui vivent un calvaire depuis plus d'un demi-siècle, et pour ses frères d'Irak qui sont en train de vivre la même tragédie. Il n'y a qu'à voir et à entendre la manière dont a été accueillie la délégation irakienne lors du défilé inaugural de «l'Année de la culture arabe», à la place des Martyrs: les slogans de solidarité avec les résistants irakiens ont fusé spontanément des poitrines opprimées, et la délégation irakienne, surprise, a marqué un temps d'arrêt. C'est la vox populi. Comme le disait un spécialiste de la manipulation des foules: «Jetons leur des miettes et de la poudre aux yeux, ils ne verront rien! Ou bien quand ils s'apercevront de quelque chose, il sera déjà trop tard: la prescription est une chose merveilleuse. On pardonne, on efface tout et on recommence.»