Algérie

«Des maux et des remèdes par la gouvernance»



«Des maux et des remèdes par la gouvernance»
Jamais le débat sur la situation économique de l'Algérie n'a été aussi intense et présent. Gouvernement, experts, journalistes et citoyen lambda y vont chacun de sa logique pour cerner les contours de la complexité pesante et entrevoir les possibles voies de sortie d'une crise qui s'annonce stressante et dévastatrice, du moins pour la majorité des Algériens dont les revenus, déjà modestes, s'érodent chaque jour davantage et voient se contracter leurs chances d'accès à la décence socioéconomique.Dans une telle situation, l'urgence est à la réflexion sereine autour des causes d'une telle déliquescence de la chose économique et surtout autour des possibles pistes salvatrices à même d'ouvrir à l'économie algérienne de nouveaux horizons porteurs d'espoir et de confiance. Il convient donc de sérier les écueils qui auraient conduit à l'échec et d'y apporter quelques propositions modestes, susceptibles de redorer le blason d'une économie tourmentée.De la malgouvernance économiqueA voir l'évolution de l'action gouvernementale en matière économique, depuis l'indépendance à ce jour, l'on pourrait aisément faire état d'une inconstance désolante dans la définition des politiques publiques, véritables marqueurs du modèle économique souvent absent et aux contours jamais clairement définis. Chaque gouvernement fait table rase de l'action de son prédécesseur pour asseoir de nouveaux périmètres d'action, en totale contradiction et en opposition conflictuelle au «déjà fait».La primauté de l'idéologie politicienne sur la rationalité intellectuelle et universitaire a fini par ronger le peu de chance de voir émerger ce «modèle», dont l'absence a été fortement préjudiciable à la visibilité de ce que devraient être la stratégie économique et industrielle, les perspectives et les rôles dévolus aux différents acteurs. Nous en voulons pour preuve l'incapacité des gouvernements successifs à définir la place et le rôle du secteur privé productif dans le circuit économique national.La bureaucratie, la corruption et l'incompétence managériale ? celle-là très coûteuse, notamment dans le secteur public ? ont aggravé cette crise de lisibilité du modèle, rendant ainsi l'Algérie peu ou pas prisée par les porteurs de capitaux et les investisseurs, nationaux et étrangers soient-ils. La clientélisation des dispositifs de soutien à la création d'entreprise et du circuit bancaire, doublée d'une absence totale de mécanismes de contrôle, ont laminé toutes les possibilités de voir émerger un véritable tissu de PME innovantes et dynamiques à même de constituer une base industrielle puissante.De la dépendance «culturelle» au pétroleJamais une réflexion autour d'un renouveau économique ou de l'émergence d'une nouvelle économie n'a été menée indépendamment de la variable «pétrole». Tout se fait comme si la vie, en dehors de la ressource énergétique, était totalement impossible. Ceci relève d'une dépendance culturelle faisant que tout est relié aux cours du pétrole. Le gouvernement ne sait pas envisager d'alternatives indépendantes de la chose énergétique, comme si le capital humain algérien ne pouvait nullement trouver, en lui, la capacité à innover, à créer de la valeur en dehors de ce que lui offre «généreusement» le sous-sol. Preuve en est que même dans les moments d'euphorie, l'Algérie n'a pas su saisir les opportunités de la consolidation des bases d'une nouvelle économie hors hydrocarbures.Aucune démarche structurelle n'a été entamée dans des secteurs à fort potentiel de croissance, susceptibles de mettre l'Algérie sur les rails de la performance économique et de la compétitivité internationale. L'agriculture, l'artisanat, le tourisme, les ressources halieutiques et l'agroalimentaire sont, entre autres, ces secteurs victimes d'une vision étriquée de l'économie. Le système de subventions, saignant en permanence le Trésor public, a fini par installer les acteurs dans une logique rentière paralysante.De la fausse austéritéLe débat ayant précédé la divulgation des grands contours de la loi de finances 2016 a été marqué par la persistance des voix appelant à «l'austérité», notamment du côté du gouvernement, voulant préparer les Algériens à des années de disette et de fin de l'opulence dépensière où l'Algérie a dépensé sans compter.Il y a comme une visée pédagogique de la part du gouvernement voulant préparer les Algériens à des augmentations en cascade des prix et à un désengagement progressif de l'Etat des mécanismes de subventions. Mais à y voir de près, ce serait de la fausse austérité, puisque les dispositions de la future loi de finances ne bouleversent nullement les m?urs de la gestion de la chose publique, bien au contraire, puisque la plupart des ministères ont vu leurs allocations reconduites, notamment pour la partie «fonctionnement» ; le peu de ponctions observées sont faites au registre des équipements.En d'autres termes, le rythme dépensier de l'Etat va subsister encore. Les ministères budgétivores ou à grande allocation budgétaire ne souffriront plus ; sinon comment expliquer que le budget de la défense ait été rehaussé de 10% sans qu'un quelconque débat n'éclaire une telle posture ' Aussi, le gouvernement reconnaît volontiers le gouffre budgétaire causé par la multiplication des allocations à des fonds et comptes spéciaux ainsi que des dotations aux multiples établissements publics à caractère industriel et commercial, souvent déficitaires et échappant à tout contrôle.Pour des réformes structurelles profondesLa solution n'est ni ponctuelle ni immédiate. Elle se résume en un processus de longue haleine fait de renoncements, de chocs, de bouleversements et surtout de courage et de créativité. Il y a, en premier lieu, la nécessité d'un consensus autour des questions économiques profondes et des balises idéologiques qui doivent fonder le modèle économique propre à l'Algérie. En cela, le renoncement aux positions dogmatiques et l'abandon de fausses convictions sont plus qu'impérieux. Les institutions doivent être refondées autour de nouvelles missions et d'objectifs clairs, avec une obligation de performance élevée. Ainsi, le remodelage du circuit administratif rationalisera le poids et les rôles de chacune d'elles.En guise d'exemple, l'on doit se poser la question de la régionalisation, de la reconfiguration des collectivités territoriales à même d'en faire des fers de lance de l'action économique. La débureaucratisation de l'économie passera, aussi, par l'élimination des institutions parasitaires, à l'image du Conseil national de l'investissement dont le rôle bloquant a été plus que dévastateur sur la création de la valeur et l'émancipation entrepreneuriale en Algérie.Pour un nouveau système de valeurL'Algérie gagnerait à imprimer à notre économie une nouvelle trajectoire, empreinte de valeurs porteuses comme l'amour du travail, la confiance, la transparence, la libre initiative et l'innovation. Cela passe par un bouleversement des habitudes déjà très ancrées dans les institutions et le replacement de la compétence, du mérite et de l'intelligence au centre du choix des décideurs et des managers.Bien des réflexes disparaîtront et des perceptions vont changer, notamment vers ce que devraient signifier l'effort, la richesse, le denier public, le service à la collectivité et la solidarité. En cela, la réforme des institutions est impérative par des processus de démocratisation. Le patriotisme ne sera plus réduit à l'achat d'un produit local, mais signifiera un engagement pour la construction d'un destin et d'un avenir communs.Le citoyen au centre du développementNulle ressource ne peut distinguer l'économie nationale en dehors de la ressource humaine. L'expérience économique récente vécue par notre pays a montré que le problème n'est pas dans les ressources, mais dans leur agencement et leur allocation. Les 1000 milliards de dollars engrangés grâce à l'euphorie pétrolière et dépensés allègrement n'ont pas fait que du bonheur. L'on comprend que ce n'est pas l'argent qui fonde une économie, mais les procédés de son allocation et surtout la ressource humaine qui en a la charge.Sur ce plan, deux éléments s'imposent : donner confiance au citoyen en lui libérant le champ de libertés, balisé par une véritable justice sociale et une capacité à jouir de son effort, puis libérer l'initiative nationale autour de l'acte d'entreprendre, car c'est seulement dans cela que réside le salut de notre économie. L'intelligentsia nationale peut être mobilisée en vue de définir les contours de cette nouvelle économie. Il serait vain de continuer à décider dans un microcosme fermé, borné sur des convictions dogmatiques désuètes. C'est à ce prix que s'arrachera une place dans le concert des économies émergentes.




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