Algérie

«Des jours sombres guettent l'Egypte...»



«La scène politique est affligeante. Une armée de plus en plus clientélisée, un Parlement réduit au service minimum et enfin des partis politiques priés de soutenir ou de se taire», décrit le politologue Hasni Abidi qui vient de publier Moyen-Orient : le temps des incertitudesLes Egyptiens sont convoqués aujourd'hui aux urnes pour élire le président de la République. Dans quelles conditions politiques se déroule cette élection '
Il s'agit d'une élection inédite qui se réduit à un one-man-show. Même du temps de Moubarak, le pouvoir veillait sur la mise en scène électorale et insistait sur le formalisme dans la tenue des élections. La réélection d'Al Sissi est désormais une simple formalité.
La scène égyptienne est dominée par l'absence de programmes débattus publiquement et d'enjeux portés sur l'avenir. Le forfait forcé des autres candidats fait de ce scrutin un simulacre de démocratie. La réélection du Président sortant est présentée comme la seule ambition pour l'Egypte
La scène politique est affligeante. Une armée de plus en plus clientélisée, un Parlement réduit au service minimum et enfin des partis politiques priés de soutenir ou de se taire. La sortie de dix candidats de la course à la présidentielle, suite à des menaces sérieuses, laisse le candidat Al Sissi seul face à un destin. Il ne craint que l'abstention.
Comment l'Egypte est-elle retombée dans l'escarcelle des militaires après une révolution démocratique extraordinaire '
Quand Hosni Moubarak a quitté la scène politique contraint par la rue et les militaires, ces derniers avaient préféré sacrifier la tête du régime sans toucher au système. Les hommes de l'ancien régime sont restés en embuscade pour revenir au pouvoir et prendre leur revanche. L'arrivée de Mohamed Morsi a enthousiasmé les foules, mais loin de rassurer l'économie et surtout l'élite militaire, politique, judiciaire et économique. L'échec des Frères musulmans dans leur passage de la clandestinité au pouvoir a été fatal pour la transition démocratique et pour l'expérience égyptienne.
Certes, très courte et insuffisante pour juger son règne, mais le président Morsi a balisé le chemin devant Al Sissi en commettant une série d'erreurs stratégiques, offrant un alibi à l'armée pour reprendre le pouvoir. Morsi n'a pas réussi à s'affranchir de la tutelle de la confrérie, il a sous-estimé la capacité de nuisance des militaires et de certaines monarchies du Golfe décidées à mettre un terme à une nouvelle expérience de changement par le bas, en s'alliant avec les forces de la contre-révolution. Il s'agit d'une mise à jour de l'autoritarisme.
Abdelfattah Al Sissi est-il sur les pas de Moubarak '
Il a largement dépassé Moubarak. Difficile de faire plus que Moubarak. Cependant, le raïs déchu, tout en verrouillant l'expression démocratique, n'a pas suspendu l'action politique et sociale. Au fond de lui-même, il était conscient de l'utilité de maintenir des «soupapes» sous contrôle pour permettre aux Egyptiens de ne pas déserter la politique. Aujourd'hui, Al Sissi a fructifié l'héritage négatif et dilapidé le peu de positif restant de l'ère Moubarak.
Malgré le tour de vis autoritaire, le raïs jouit et dans une large mesure du soutien des puissances internationales, de Moscou jusqu'à Washington. Pourquoi, selon vous '
Vous oubliez un autre et non des moindres. Le président Macron qui a reçu Al Sissi à Paris et lui a manifesté égard et soutien. Ce n'est point surprenant. Le président Trump a fait état de son admiration pour les «hommes forts» en regrettant la mort de certains dirigeants du monde arabe. Il est persuadé qu'Al Sissi est en mesure de tenir la rue.
Ni les acquis démocratiques ni la bonne gouvernance ne font partie des priorités de Donald Trump. S'ajoute à cela un rejet obsessionnel pour la politique Obama, très critique à l'égard d'Al Sissi. Le président américain a mis en ?uvre cette rupture voulue et soutenue par Israël, un voisin pas comme les autres.
Quant à la Russie de Poutine, elle est mal placée pour prodiguer des leçons de démocratie. Elle se contente de soutenir un régime autoritaire et qui ne menace pas les intérêts russes au Moyen-Orient. Voilà qui allonge la durée de vie d'un régime, mais ne lui offre pas une garantie à vie.
L'espoir démocratique est-il définitivement enterré en Egypte ou une seconde révolte est-elle probable '
La révolte est l'aboutissement d'une accumulation de tensions politiques et sociales et la multiplication de contestations. Elle est donc inscrite dans la durée et non pas l'immédiateté. Al Sissi sera jugé sur ses promesses économiques et surtout sécuritaires. Les deux sont liées. La menace terroriste dans le Sinaï est loin d'être maîtrisée en dépit du discours officiel. L'économie est toujours en berne. Fait rare : le 30 janvier 2018, plusieurs partis politiques de l'opposition égyptienne rejoints par des personnalités indépendantes adoptent une déclaration commune appelant au boycott de ce qu'ils ont qualifié de «mascarade électorale».
C'était la première et la dernière manifestation libre. Plusieurs personnalités présentes ont été jetées en prison sans ménagement et leurs partis dissous, dont le candidat présidentiel Abdel Moneim Aboul Foutouh. C'est dire de l'Egypte d'aujourd'hui.
C'est un tournant. Si le président Al Sissi parvient à améliorer le quotidien sécuritaire et social des Egyptiens, ses concitoyens pardonneront le reste, si l'espoir d'améliorer les droits économiques et sociaux s'envole comme les libertés publiques et privées, alors des jours sombres guettent le pays.
L'Egypte doit privilégier une sortie de crise politique basée sur la réconciliation, la justice et la participation de tous les acteurs politiques.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)